Michel Bussi : "Les fans ne hurlent pas mon nom"
Des interviews, il en donne par camions entiers. Pourtant, Michel Bussi prend le temps de répondre. Réellement. Détaille, décortique. Raison de plus pour le voir ce soir à l’espace Fontmaure à 18 heures à Chamalières avec la coscénariste de l’adaptation de Rien ne t’efface, tournée dans le Puy-de-Dôme.
Personne n’écrit pour devenir riche et célèbre, et pourtant… Ça fait quoi d’être une rock star de la littérature ?
C’est plus facile d’être une rock star de la littérature qu’une rock star tout court. On est plutôt tranquille. Il n’y a que sur les signatures qu’on a des fans. Et encore… Ils ne hurlent pas mon nom quand j’arrive.
C’est un cliché, mais vrai : il y a beaucoup de solitude dans ce métier. Nous ne sommes pas, comme les acteurs, dans un collectif. Surtout quand on écrit des pavés avec beaucoup de lieux, d’infos. Parce qu’on aime tout maîtriser. C’est très artisanal. Les lecteurs préfèrent souvent un livre bien fait, à une centaine de pages écrites en transe. Et puis, j’ai connu le succès à 50 ans, ça aide à garder la tête froide.
Vous parlez d’un besoin de tout maîtriser…
Oui. Quand on en discute entre auteurs, nous avons tous ça. Ceux qui se sont essayés à écrire pour le cinéma ou la télé savent la frustration. Parce qu’on est confronté à des limites. La grande richesse de l’écriture, c’est de n’avoir aucune contrainte. Ça permet d’avoir une imagination sans borne. Moi, si je veux écrire qu’on jette un corps dans le lac Pavin, je peux. Mais pour l’adaptation télé, peut-être qu’on n’a pas le droit de naviguer sur le Pavin. Si je veux une éruption sur Clermont, je peux.
La contrainte stimule la créativité pourtant.
Oui, mais vouloir des twists et des rebondissements dans mes livres, c’est une contrainte. Que je m’impose. Que le lecteur ne trouve pas le coupable au bout de trois pages aussi.
Concrètement, comment écrivez-vous ?
J’écris en trois couches d’écriture. Une première couche au kilomètre. Pas écrite, c’est la matière brute, au fil de la pensée. C’est la partie la plus difficile, la plus créative. Je dois être dans ma bulle. Il faut beaucoup de temps devant moi. Mais il faut se préserver de la lassitude. On peut écrire un mois en apnée. Avec le temps, on apprend à aller se coucher.La deuxième couche est plus littéraire. C’est très agréable, mais plus stylistique.Et puis la troisième, ce sont toutes les vérifications, la documentation. Le nom des rues, les costumes… C’est plus fastidieux mais plus mécanique.
Comme les grands peintres, vous pourriez laisser les détails à vos élèves.
Et mon plaisir de tout maîtriser ? Je sais qu’un chapitre est clos quand la couleur des volets est la bonne, le troisième prénom du personnage est bon. C’est le moment où il y a un vrai plaisir. Je fais partie de ces auteurs qui peuvent passer une demi-journée pour trouver le nom d’un personnage.
Vous aimez les incursions de l’irrationnel dans le quotidien.
J’adore trouver des trucs à la limite du rationnel. Mais toujours explicable à la fin. Rien ne t’efface, par exemple, traite de la réincarnation. Certains lecteurs, qui croient en la réincarnation, seront déçus à la fin, mais pour moi, dans un policier, le coup de baguette magique du fantastique, c’est trop facile. On croyait qu’il était mort ? Mais il est sort de sa tombe. Personne ne pouvait entrer ou sortir dans la chambre du meurtre ? Mais il pouvait passer à travers les murs.
Beaucoup de vos titres sont des références à la musique française. Vous écrivez en musique ?
Non. Je le faisais au début. Mais je préfère le silence maintenant. Sauf en train, bien sûr, où je mets mes écouteurs.
Sinon, vous pensez être remplacé par une IA un jour ?
Non, je ne crois pas. Elles vont remplacer beaucoup de choses. Mais pas ce qui a trait à l’humain, tous ces métiers pour lesquels nous avons besoin de voir quelqu’un. Un humain. Et puis, dans l’art aussi. Nous avons besoin de savoir que cela a été créé par un être humain.L’IA peut travailler en faussaire. Créer « à la façon de ». Et le faire en connaissant un succès. Mais elle ne remplacera pas les auteurs.Je pense même l’inverse. Plus il y aura de créations formatées, plus nous aurons besoin de génies, de genre hors les clous, qui pensent avec un pas de côté.
Propos recueillis par Simon Antony