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Equateur: la science en péril face à la narco-violence

La crainte d'un possible enlèvement a contraint le biologiste à suspendre les recherches qu'il menait dans la ville minière de Camilo Ponce Enriquez, dans la province d'Azuay, une région du sud du pays convoitée par les narcotrafiquants.

Ses investigations portaient sur la présence du perroquet Conure d'Orcés (Pyrrhura orcesi), dont on estime à mille le nombre de spécimens, et qui selon l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) est en danger d'extinction.

"Faites votre travail ailleurs parce que c'est dangereux ici", lui a lancé un homme un soir d'avril dans la cité minière. Cette nuit-là, le maire de la ville a été abattu.

Quelques mois plus tard, un affrontement entre groupes criminels a fait cinq morts. Les autorités ont retrouvé deux corps décapités et un autre brûlé.

Le spécialiste des oiseaux à l'Institut national de la biodiversité (Inabio) a alors voulu poursuivre ses recherches dans une ville voisine, mais par une macabre coïncidence son maire a également été abattu. Il a fait ses valises et est rentré à Quito.

En raison de ses gisements aurifères, la ville de Camilo Ponce Enriquez est une enclave du gang de Los Lobos qui se finance en partie avec l'exploitation minière illégale, une activité qui génère jusqu'à un milliard de dollars par an dans le pays.

Du fait de la présence de violents gangs criminels liés au narcotrafic, l'Équateur, coincé entre la Colombie et le Pérou, principaux producteurs au monde de cocaïne, a atteint un record de 47 homicides pour 100.000 habitants en 2023, contre six en 2018.
"Frustration"
Le biologiste étudie le perroquet d'Orcès depuis une vingtaine d'années, travaille à sa conservation et s'engage dans la gestion durable de ses habitats, mais la ville de Camilo Ponce Enriquez lui est désormais interdite.

"Nous restons dans l'incertitude et la frustration", dit-il à l'AFP, évoquant "un biais pour la conservation car il pourrait s'agir de zones importantes pour des espèces endémiques ou menacées".

Du fait de la violence, les déplacements de chercheurs sur le terrain sont de plus en plus courts ou ont lieu dans des zones "miroirs", où les scientifiques peuvent trouver des espèces similaires tout en courant moins de risques.

"Les niveaux de violence ont entraîné une restriction totale dans certaines régions", en particulier sur la côte et dans les zones d'exploitation minière, assure Mario Yanez, autre biologiste de l'Inabio.

La violence dans ces zones "limite malheureusement les fonds de coopération internationale qui permettraient de mener des actions de conservation", regrette-t-il en outre.

La réserve privée de Lalo Loor, dans la province de Manabi, dans l'ouest du pays, abrite l'une des dernières forêts tropicales sèches de la région côtière, également bastion de groupes criminels.

Du fait de cette présence, des universités américaines ont annulé la visite annuelle de chercheurs et étudiants. Si cela se poursuit, nous devrons "fermer car nous ne pourrons pas couvrir les salaires" de notre personnel, déplore Mariela Loor, administratrice de la réserve.

Judith Denkinger, biologiste à l'université privée San Francisco de Quito, a mis entre parenthèses en 2022 les recherches qu'elle menait depuis deux décennies sur les baleines au large des côtes de la province d'Esmeraldas (nord-ouest), une région également en proie à la violence des gangs.

Depuis, aucune image ni enregistrement acoustique des baleines à bosse qui viennent dans le Pacifique équatorial pour s'accoupler et mettre bas ne lui est parvenu, dit-elle à l'AFP depuis son Allemagne natale.

Pour Daniel Vizuete, spécialiste en études sociales de la science et de la technologie à l'université Flacso de Quito, la recherche liée à l'environnement "est peut-être la plus érodée précisément parce qu'elle se produit (...) dans des endroits où le cadre institutionnel est le plus faible".

"Cela signifie que la vie même des chercheurs peut être menacée", conclut-il.

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