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La Nouvelle-Calédonie ou le Caillou gaulois sur terrain de jeu anglo-américain (5/7)

La Nouvelle-Calédonie est située sur un terrain de jeu historiquement anglo-américain. La question de son accession ou non à l’indépendance ne peut se passer de prendre en compte cet état de fait. En effet, pour l’heure, elle apparaît comme un caillou gaulois dans la chaussure des Américains. Au regard de cela, qu’en serait-il d’elle si elle acquérrait sa souveraineté pleine et entière ? Il nous faut, pour répondre cette interrogation, englober la question des enjeux stratégiques autour de l’accession ou non de l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie à l’histoire ainsi qu’à la stratégie mise en œuvre, par les Américains, au sein de cette région du monde. Cela, notamment au sein de la péninsule coréenne, où cette dernière joue un rôle central dans le déploiement de la stratégie politique américaine au sein de l’Asie Pacifique.

La guerre de Corée

Les États-Unis jouent un rôle prépondérant dans la stratégie de politique extérieure des deux Corées.

La Corée est prise en tenailles entre l’archipel nippon, et l’empire chinois. C’est donc par un long processus sociopolitique, souvent contrarié, qui s’étend de ses origines au XVIe siècle, qui a permis à la Corée de s’ériger pour la première fois en un État homogène et centralisé. Elle a ensuite rencontré toutes les difficultés du monde à se faire entendre au sein du concert des nations, entre les XVIe et XIXe siècles. Elle dut faire face aux invasions mandchoues puis mongoles. Ensuite, de la fin du XIXe siècle jusqu’en 1945, elle se retrouva sous le joug du Japon de l’ère Meiji. Avant, finalement, de se retrouver séparée en deux entités politique distinctes, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale.

Au nord, cette péninsule se caractérise par des paysages arides et montagneux. Son sous-sol est riches en matières premières. Le Sud, lui, est davantage clairsemé de plaines qui se prêtent aisément à la riziculture. Durant la colonisation japonaise, la Corée fit d’ailleurs, entre autres, office de grenier à riz pour le Japon. C’est durant cette période que les premières divisions entre Coréens naquirent. En effet, c’est notamment grâce à la collaboration des grands propriétaires terriens du sud que le Japon put asseoir sa domination coloniale. Cela, lorsque le Nord, région plus difficile d’accès et moins aisément contrôlable, fut le lieu où des maquisards y trouvèrent refuge. Parmi ceux-ci figurait Kim Il-Sung.

À l’issue du second conflit mondial, la Corée n’avait pas subi les bombardements qu’ont connus le Japon et Taïwan. C’est la guerre de Corée, entre 1950 et 1953, qui allait la ravager. Le niveau de destruction qu’a connu la Corée à cette occasion fut encore plus important que ceux effectués sur l’Allemagne et le Japon. C’est surtout la Corée du Nord, industrieuse, qui subit d’importants bombardements américains, à cette occasion.

Avant cela, en 1948, fut tracé le 38ème parallèle. Il mit le Nord sous tutelle sino-soviétique, et le Sud sous tutelle américaine. Le 15 août 1948, la République de Corée (Corée du Sud) est proclamée. Trois semaines plus tard, c’est la République démocratique de Corée (Corée du Nord), qui s’érige officiellement. Déjà, les paysans du Sud s’étaient rebellés contre l’occupation américaine. Le gouvernement réprima cette révolte non sans engendrer un grand nombre de victimes, ainsi que l’exode d’une part massive de la paysannerie appauvrie en direction du Nord.

De ce fait, la lutte contre l’impérialisme américain et la soumission du sud de la péninsule à celui-ci furent les élément sur lesquels s’appuya Kim Il-Sung pour entrer en guerre contre la République de Corée. Au Sud, cette guerre trouvait sa justification dans le fait de vouloir mettre un frein définitif aux ambitions expansionnistes de Kim Il-Sung, déterminé à imposer le communisme à l’ensemble de la péninsule.

Au Nord le paradis, au Sud l’enfer

À la fin de la guerre de Corée, Séoul est rasée à 65 %, et Pyongyang à 80 %. L’une comme l’autre va donc avoir besoin de l’aide de ses alliés pour se reconstruire. Ainsi, en octobre 1953, Séoul signe avec Washington un traité de défense mutuelle. Grâce à ce dernier, la Corée du Sud bénéficia d’un soutien militaire et financier américain. Cet État est d’ailleurs la nation d’Asie ayant reçu l’aide la plus massive de la part des États-Unis.

Quant à la Corée du Nord, sa reconstruction fut en grande partie financée à la fois par l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS), la Chine et l’Allemagne de l’Est. La Corée du Nord ne tomba pas sous la dépendance exclusive d’une seule entité politique et joua sur les rivalités internes au Bloc de l’Est. Contrairement à sa rivale du Sud qui, elle, se trouvait en situation de complète dépendance financière vis-à-vis de Washington.

Aussi, Kim Il-Sung inaugura-t-il une troisième voie. Celle-ci consistait à apporter à la fois un soutien au développement au secteur agricole et à celui de l’industrie lourde et légère. L’Union soviétique prônait la coexistence pacifique. De ce fait, des relations commerciales purent être mises en place, entre le Japon et la Corée du Nord. Cela, alors qu’il fallut attendre juin 1965, pour qu’un traité d’amitié et de commerce soit signé entre Tokyo et Séoul.

En somme, les années 1950 correspondent à une période de prospérité pour la Corée du Nord, et de pauvreté pour la Corée du Sud.

Un peuple de Corée mais deux régimes coréens

L’opinion publique coréenne, elle, n’acceptait pas la partition de la Corée en deux États distincts. Sud-Coréens et Nord-coréens se voyaient comme un seul et même peuple. Pour cause, la partition de la Corée, à l’instar de celle de l’Allemagne, a séparé des membres de mêmes familles. Les chefs d’État des deux Corées l’ont très bien compris. C’est ainsi que chacun d’entre eux s’attelait à s’ériger en artisan d’une réunification prochaine, sous leur égide et idéologie propre.

Au Sud, la paysannerie n’est absolument pas plus encline à accepter l’occupation américaine, qu’elle ne l’était à accepter celle des Japonais. Ce qui ne fut pas sans engendrer d’importantes révoltes paysannes. Le régime en place mata celles-ci dans le sang, avec l’aval de la puissance étasunienne. La fracture entre une Corée agricole au sud et industrielle au nord qui avait résisté à l’envahisseur continua donc à déployer ses effets, à l’aube de la Guerre froide, après la signature de l’armistice en Corée et le tracé du 38ème parallèle.

Park Chung-hee est reconnu comme étant le fondateur de la Corée du Sud. Cela, bien que durant la période de colonisation japonaise, il fut un instituteur portant l’uniforme japonais. Aux yeux de Kim Il-Sung, il n’était donc rien de plus qu’un « collabo » à la solde de l’étranger. Au Nord se dressa alors un capitalisme d’État très nationaliste. Et au Sud, un régime foncièrement pro-américain, économiquement libéral et politiquement anticommuniste se mit en place.

L’abondance de matières premières couplée à l’aide de pays tels que la Chine, la République fédérale d’Allemagne (RFA), ou encore l’URSS, qui fournissait la Corée du Nord en pétrole, permit à cette dernière de connaître une importante croissance économique, dans les années 1950. La collectivisation de l’agriculture et de l’artisanat ordonnée par le leader nord-coréen porta ses fruits. En échange de durs labeurs, paysans et prolétaires recevaient tout gratuitement de la part de l’État. En termes de produit intérieur brut (PIB) par habitant, la Corée du Nord était plus riche que sa voisine sud-coréenne. Cet état de fait perdura jusqu’en 1975.

Miracle sur le Han

En effet, la guerre de Corée avait pulvérisé la République de Corée sur le plan industriel, agricole et financier. Les perspectives de croissance économique pour le pays s’annonçaient donc nulles. Lorsque le Ghana prit son indépendance en 1957, il affichait un niveau de développement supérieur à la Corée du Sud. Celle-ci vivait donc sous assistance respiratoire américaine. La tutelle américaine, à l’instar de l’occupation japonaise, s’appuyait sur quelques grands entrepreneurs sud-coréens. Il s’agissait d’héritiers de grandes dynasties foncières qui purent faire fortune en réapprovisionnant l’armée américaine. Pour le reste, l’armée était la seule institution qui tenait encore debout. Des firmes étasuniennes effectuèrent également des investissements privés en Corée du Sud. Ils ne servaient, cependant, qu’ à acheter armes, équipements, denrées alimentaires et matières premières exclusivement aux États-Unis. Ce qui eut donc pour effet d’accroître encore davantage la dépendance de la Corée du Sud vis-à-vis des États-Unis.

Park Chung-hee, homme politique et général d’armée, prit le pouvoir en Corée du Sud à la suite d’un coup d’État le 16 mai 1961. Il permit à son pays de connaître ses premières envolées économiques. La compétence des entrepreneurs fortunés Sud-coréens étaient nécessaire au redécollage économique de la Corée du Sud. Park Chung-hee, pragmatique, l’avait bien compris. Pauvre en matières premières, la Corée du Sud disposait cependant d’une main d’œuvre qualifiée. Ainsi, il autorisa les grandes firmes à sous-payer celle-ci afin de donner un avantage comparatif extrêmement important à son pays.

Foncièrement anticommuniste, Park Chung-hee instaura une dictature militaire, néolibérale économiquement parlant. Sa ligne directrice visait la croissance économique quitte à sacrifier le bien-être de sa population. Il avait également le souci de réduire la dépendance économique de son pays vis-à-vis des États-Unis et de trouver de nouveaux partenaires commerciaux. Il signa donc en juin 1965 des accords commerciaux avec le Japon. Ce dernier octroya une aide au développement de 300 millions de dollars, à la Corée. À cela s’ajoutait un prêt bancaire d’un montant de 500 millions de dollars.

La NordPolitik de Corée du Sud

Durant tout le règne de Park Chung-hee, qui durera jusqu’en 1979, la péninsule coréenne abritait deux dictatures militaires. Le Sud était soumis à régime autoritaire et économiquement libéral. Il justifiait ses mesures antisociales au nom de la lutte contre le communisme. Seul l’accès à l’université était démocratisé. Le Nord, dont l’économie reposait sur l’industrie lourde, était soumis à un régime collectiviste foncièrement anti-américain. Cette opposition idéologique entre ces deux régimes coréens constituait, autant pour l’un que pour l’autre,  un moyen de justifier son existence et de mobiliser sa population respective, face à la menace que représentait le camp adverse. Par la même occasion, elle légitimait pleinement l’ingérence des Américains en Corée du Sud, et celles des Chinois et des Soviétiques, en Corée du Nord.

Au Sud, la dictature de Park Chung-hee prit fin avec l’assassinat de ce dernier, le 26 octobre 1979. Entre temps, à la fin de la décennie 1970, la Chine et les États-Unis avaient normalisé leurs relations. Ainsi, Séoul s’autorisa à son tour à se rapprocher de Pékin. Rapprochement qui se traduisit, en 1992, par l’établissement de relations diplomatiques entre la République populaire de Chine et la République de Corée. Ceci permettait à la Corée du Sud d’escompter une augmentation de ses exportations en territoire chinois. En effet, la Corée du Sud avait rejoint le rang des puissances industrielles. Cela, alors que la Corée du Nord ne cessait de s’appauvrir. Isolée sur le plan international, hautement dépendante de la Chine, soit tout ce qu’elle ne voulait absolument pas, la Corée du Nord inspirait désormais davantage la commisération que la peur. Cela, d’autant plus dans un monde où l’URSS avait disparu.

De surcroit, à partir de 2003, la Chine était devenue le premier partenaire commercial de la Corée du Sud. Cette dernière, devenue 13ème puissance économique mondiale, se sentait désormais investie de la mission de venir en aide économiquement à la Corée du Nord, indépendamment des provocations et violations des droits humains commises par cette dernière. Il s’agit de la Nordpolitik initiée par le président sud-coréen Roh Tae-woo, à la fin des années 1980.

Le destin brisé de la Corée

Aussi, à l’aube de la première décennie du XXIe siècle, le président sud-coréen Roh Moo-hyun envisageait-il la Corée comme devant assumer un rôle prédominant en Extrême-Orient. Selon lui, Séoul devait se rapprocher de Pyongyang et faire office de médiateur entre un axe américano-nippon et un axe sino-russe. Privant ainsi de facto les Américains de la relation privilégiée qui était la leur avec la Corée du Sud. Ce qui n’a donc pas été sans engendrer des frictions entre la Maison-Bleue et la Maison-Blanche. À  la suite des attentats du 11 septembre, le discours sur l’État de l’Union de George W. Bush en janvier 2002 reléguait d’ailleurs la Corée du Nord au rang des États voyous. Alors même que la Corée du Nord, à l’instar de l’Irak et de l’Iran, n’avait nullement pris part à la fomentation des attentats du 11 septembre 2001.

Tout en s’efforçant d’amadouer la Chine avec laquelle elle avait conclu un traité de libre-échange en juin 2015, le gouvernement sudcoréen de Park Geun-hye céda aux pressions de Washington. En décembre 2015, la Maison-Blanche somma la Maison-Bleue de se rapprocher de Tokyo au détriment de ses relations avec Pékin. La Corée du Sud s’exécuta. Puis, au mois de juillet de l’année suivante, les États-Unis prétextèrent vouloir répondre à la menace nord-coréenne pour implanter, sur le territoire sud-coréen, un système antibalistique américain THAAD (Terminal High Altitude Area Defense). La Chine se sentit alors directement visée. En réponse, elle organisa le boycott des stars sud-coréennes du hallyu. De surcroit, automobiles et téléphones coréens furent, quant à eux, vandalisés. En outre, Pékin conseilla-t-il à sa population de trouver d’autres destinations touristiques que la Corée du Sud. Autant de mesures de rétorsion qui mirent à mal l’économie sud-coréenne.

La Corée, un débarcadère américain au sud, un glacis protecteur chinois au nord

La division de la péninsule coréenne a plusieurs conséquences dans la région Est Asiatique. Tout d’abord, elle fait office de glacis protecteur pour la Chine, au nord. Deuxièmement, elle sert de prétexte aux Américains pour s’ingérer dans la stratégie de politique extérieure sud-coréenne. À cela s’ajoute qu’une réunification de la Corée sonnerait le glas du régime économico-politique dirigiste de la dynastie des Kim, du fait son niveau de développement économique d’autant plus faible, comparé à celui de la Corée du Sud. Idéologiquement, le régime nord-coréen se maintient essentiellement sur la base de la détestation des Américains et de ses alliés. Et économiquement, il ne tient essentiellement que grâce à l’aide financière chinoise et l’aide internationale humanitaire.

Pour la Corée du Sud, ménager ses relations avec la Chine et tendre la main à la Corée du Nord est une stratégie qui répond à des impératifs économiques. En effet, la Corée du Sud doit trouver un nouveau moteur de croissance. Le Nord, territoire où tout est à reconstruire, fait figure d’important débouché commercial. Les entrepreneurs sud-coréens l’ont bien compris.

La Corée séparée de l’intérieur au profit de l’extérieur

Ainsi, avons-nous une péninsule coréenne divisée entre deux États. Ces derniers sont techniquement toujours en guerre depuis l’armistice de 1953. Au Nord, nous avons un territoire dont les sous-sols sont riches en ressources naturelles mais insuffisamment exploités en raison de son déficit technologique et de son isolement sur la scène internationale. Au Sud, nous avons une main d’œuvre hautement qualifiée au service d’une industrie de haute technologie. Une réunification de la péninsule coréenne allierait donc le capital technologique à haute valeur ajoutée sud-coréen et les matières premières nord-coréennes. Ce qui renforcerait drastiquement la position à la fois politique et économique de la Corée en Asie de l’Est. Elle pourrait, par la même occasion, renouer avec le rôle de grande puissance régionale qui fut le sien au temps du royaume Silla.

Toutefois, dans un tel cas de figure, la Chine perdrait alors son glacis protecteur. S’ajoute à cela la fait que la dynastie des Kim s’éteindrait définitivement, et les Américains perdraient la relation privilégiée et leur influence sur la Corée du Sud. Objectivement parlant,  la République de Corée est donc la seule à qui profiterait potentiellement une fusion des deux Corées. Nonobstant que, en l’état, Séoul se voit contrainte de mettre à mal ses intérêts économiques et commerciaux avec la Chine. Ceci, afin de répondre aux exigences d’alignement stratégique émanant des États-Unis. Ces derniers étant, jusqu’à présent, son principal allié militaire. De ce point de vue, la dynastie des Kim et leur « protecteur » chinois, ainsi que les Américains, forment une alliance objective entravant le plein développement de la puissance diplomatique et économique sud-coréenne.

5/7

Sources

  • Dayez-Burgeon, Pascal, 2019, Histoire de la Corée: des origines à nos jour, Tallandier
  • Guex, Samuel, 2023, Histoire de la Corée, Flammarion
  • Laïdi, Ali, 2016, Histoire mondiale de la guerre économique, Perrin

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