La Gueuze, "bière primitive", attire à Bruxelles les curieux du monde entier
La brasserie Cantillon se positionne sur la marché des "lambic", une spécialité régionale caractérisant des bières acides issues d'une fermentation à l'air libre qui se poursuit ensuite des mois, voire des années, dans des barriques de bois.
A la fin des années 1970, les dirigeants de Cantillon ont fait de leur brasserie un "Musée de la Gueuze", qui accueille aujourd'hui plus de 30.000 visiteurs par an. Un lieu dans lequel les amateurs peuvent jeter un œil au brassin et déambuler au milieu des cuves de cuivre rouge, avant la séquence dégustation.
Ce matin-là, les curieux qui ont poussé la porte du vieux bâtiment, dans la commune bruxelloise d'Anderlecht, sont italiens, français, japonais ou venus d'Angleterre, tandis que résonne dans les couloirs bas de plafond l'accent québecois de deux stagiaires canadiens.
Isabelle Gignac, qui travaille dans une microbrasserie sur le littoral de la Gaspésie (Québec), explique à l'AFP être envoyée là par son employeur pour s'inspirer du "savoir-faire" de Cantillon en termes d'assemblages et de maturation de la bière.
"Ici on brasse toujours la même bière mais on la fait maturer plus on moins longtemps dans des barriques différentes (...) il y a une multitude de produits basés sur la même recette", souligne la trentenaire, venue en stage pour cinq semaines.
"Ces bières sont ancrées dans un terroir, ça explique leur très forte réputation auprès des amateurs", fait valoir John Gallagher, un visiteur irlandais, en dégustant une variété aux fruits rouges.
Il dit avoir hérité d'un oncle voyageur le goût pour la culture belge de la bière, alors qu'"en Angleterre, les recettes traditionnelles se sont perdues", selon ce chercheur à l'université de Leeds.
"Les bières d'avant la pasteurisation"
Griottes, camerises, abricots, fleurs de sureau: Cantillon varie les arômes fruités dans ses assemblages de Lambic, des macérations qui interviennent après la première fermentation naturelle, dite "spontanée", se produisant par temps froid avec la multitude de levures et bactéries présentes dans l'air ambiant.
"Le lambic est ce qui ressemble le plus aux bières primitives, c'est-à-dire aux bières qui étaient élaborées avant que Louis Pasteur et les grands microbiologistes de la seconde moitié du XIXe siècle ne maîtrisent la levure", raconte l'un des dirigeants, Jean-Pierre Van Roy.
"On est avant la pasteurisation, on a du lambic à l'état pur", s'enthousiasme cet octogénaire.
Dans un pays de 11,8 millions d'habitants, où ont été consommés 6,5 millions d'hectolitres (hl) de bière en 2023, la production de Cantillon est plutôt confidentielle: 2.500 hl/an en moyenne.
Elle est vendue aux deux tiers à l'étranger, selon la direction. Et n'a pas besoin de la vitrine du "Belgian Beer World", le centre d'exposition dédié aux bières belges ouvert l'an dernier en plein centre de Bruxelles.
Jean-Pierre Van Roy explique que Cantillon a refusé d'être associé à ce lieu, selon lui surtout destiné à servir les poids lourds de l'industrie brassicole comme AB InBev.
"C'est leur droit", estime Krishan Maudgal, directeur du syndicat des brasseurs belges, qui comprend la "fierté" de Cantillon, pièce du patrimoine bruxellois avec son musée établi "dans la dernière brasserie historique du centre".