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Alexis Perakis-Valat (L’Oréal) : "Grâce à l'IA, tout le monde aura une conseillère beauté dans la poche"

Alexis Perakis-Valat, l’un des directeurs généraux de L’Oréal, peut afficher un grand sourire. Sa division grand public, qui regroupe des marques comme L’Oréal Paris ou Garnier, pèse plus de 15 milliards de dollars, soit 36,8 % du chiffre d’affaires de l’entreprise en 2023 – la part la plus importante, juste devant le luxe - et vient d’annoncer au premier trimestre des chiffres de croissance record, notamment dans les pays émergents avec + 24 %. Alors que le luxe patine un peu en Chine, le géant de la beauté se taille de plus en plus la part du lion avec ses produits grand public. Alexis Perakis-Valat se vit comme un dirigeant "de première ligne", au fait des produits et des hommes ou femmes qui les vendent.

Agé de 53 ans, ce polyglotte franco-grec, diplômé d’HEC, a occupé de nombreux postes de direction chez L’Oréal en trente ans, œuvrant notamment pendant six ans en Chine. Impliqué dans les questions de développement durable - une équation compliquée dans un marché de masse -, il affiche de grandes ambitions pour la division qu'il dirige depuis 2016, visant la conquête d’un milliard supplémentaire de consommateurs. Des nouveaux clients qu’il espère piocher dans les marchés émergents. Pour L’Express, il revient sur sa stratégie et les défis posés par les questions environnementales et technologiques.

L’Oréal vient de publier ses résultats du premier trimestre, avec une croissance importante de la division grand public (+ 11,1 %). Est-ce une tendance de long terme ?

Alexis Perakis-Valat C’est dans la continuité d’une très bonne année 2023 et d’une bonne année 2022. J’apprécie aussi que les résultats de cette division soient très équilibrés, car nous avons une croissance à deux chiffres sur nos quatre marques mondiales - L’Oréal Paris, Garnier, Maybelline, Nyx - et sur trois catégories mondiales - le cheveu, la peau, le maquillage. Ce type de croissance harmonieuse donne de la confiance pour le futur. Par définition, tout ne se dégrade pas d’un coup. Ces résultats sont tirés par les pays émergents, mais aussi, c’est un peu plus contre-intuitif, par l’Europe, où le marché de la beauté est très dynamique. Par ailleurs, il y a l’incroyable effet accélérateur des réseaux sociaux : j’ai un chiffre en tête, celui du nombre de vidéos sur la beauté vues l’année dernière dans le monde, 442 milliards, soit le double par rapport à 2022. L’impact des réseaux est énorme.

D’où vient cette montée en puissance des pays émergents ?

Il y a d’abord l’expansion de la classe moyenne, un phénomène global dans ces pays. Ensuite, l’accélération due au digital et aux réseaux sociaux. Le troisième facteur, c’est la distribution. Partout apparaissent des canaux modernes avec lesquels on travaille pour faire en sorte qu’ils expriment le potentiel de la beauté de la manière la plus intelligente. La croissance de l’e-commerce y contribue aussi. A travers le monde, si l’on en croit les données du World Data Lab, il y a 2,4 milliards de personnes qui ont les revenus et le style de vie leur permettant d’accéder à nos marques. Et aujourd’hui, même si c’est difficile à calculer de manière très précise, on estime avoir un peu plus d’un milliard de consommateurs.

Les tensions géopolitiques ne semblent pas avoir d’impact sur le développement du secteur de la beauté ?

Les faits prouvent que le monde est devenu plus angoissant ces trente dernières années, et que, parallèlement, le marché de la beauté a plutôt accéléré sa croissance. Je crois beaucoup à l’effet "dopamine" [NDLR : le lipstick effect, en anglais, selon lequel plus les choses vont mal, plus les personnes ont besoin de se faire du bien]. Par ailleurs, l’avènement des réseaux sociaux a fait monter en expertise les consommateurs. Dans les pays développés, c’est une bulle de plaisir au milieu d’un quotidien parfois un peu terne. Dans les pays émergents, c’est une manière d’accéder à un style de vie supérieur, un marqueur social, un petit luxe pas très cher, moins cher que d’acheter une voiture. Ce sont les mêmes personnes qui s’offrent un smartphone, un écran plat et des produits de beauté… Une manière de dire : voilà, je suis arrivé à quelque chose.

Vous êtes présents dans des pays où la condition de la femme fait face à énormément de défis. Or, vos campagnes mettent en avant l’empowerment féminin. Pour quel but ?

C’est un point clef, d’abord pour des raisons éthiques, en résonance avec nos valeurs. Chez L’Oréal Paris, "parce que je le vaux bien", c’est un slogan féministe. Mais on voit aussi une corrélation entre l’emploi des femmes et le développement de la beauté. Si vous regardez les facteurs qui sont le plus liés au marché de la beauté dans un pays, il y a la croissance du PIB, l’urbanisation et surtout l’autonomie professionnelle des femmes.

Alexis Perakis-Valat

Les shampooings solides ne marchent pas très bien, le rechargeable non plus. Vous avez aussi essayé l’après-shampooing qui ne se rince pas, sans grand succès. A part faire des bouteilles en plastique recyclé, comment réduire l’empreinte environnementale de vos produits ?

Je suis convaincu qu’il y a encore beaucoup de choses à essayer, qu’on peut apprendre de ses échecs et avancer. Nous avons des usines waterloop [NDLR : où l’eau est en grande partie réutilisée], par exemple au Mexique. On a pris le pari de passer tous nos shampooings en plastique recyclé, ce qui constitue un gros investissement sur le plan financier, car nous produisons beaucoup d’unités, et que le plastique recyclé est sensiblement plus cher que le plastique vierge. Mais là où vous avez raison, c’est que c’est invisible pour le consommateur.

Ces initiatives environnementales, vous les prenez par obligation ou selon une logique économique ?

Il y a, en premier lieu, une conviction profonde du groupe. Notre première politique environnementale est sortie en 2012, il y a douze ans, avec déjà des engagements assez forts. C’est aussi lié au modèle d’une entreprise comme L’Oréal, avec une même famille qui possède une grande partie du capital. Sur le long terme, on a besoin d’un monde qui continue à tourner, et on sait très bien que les Etats, si les entreprises ne se bougent pas, vont agir à leur place. J’ai pris la décision de tout passer en plastique recyclé dans les shampooings il y a cinq ans, ça a coûté très cher, et je savais que ça n’allait pas nous faire vendre un flacon de plus. Il n’y a pas un Etat qui ait passé pour le moment une loi interdisant le plastique vierge. Notre rôle consiste à convaincre les consommateurs et trouver l’intersection entre développement durable et désirabilité. Il y a une différence entre ce que les gens disent et ce qu’ils font.

L’appétence des consommateurs pour des produits aux effets scientifiquement prouvés est forte aujourd’hui. Avec des mésaventures parfois, comme celle de Guerlain, qui s’est fait épingler pour sa crème "quantique". Comment éviter les fausses promesses ?

Il y a une chose très simple à comprendre : quand vous achetez un produit pour la première fois, vous l’achetez. Mais si vous le rachetez, c’est parce que c’est le meilleur que vous ayez essayé de votre vie, sinon vous tentez autre chose. Nos produits ne peuvent pas mentir. Notre foi en la science se traduit par le milliard et demi d’euros investi chaque année dans la recherche. On gagne de l’argent seulement lorsque les gens rachètent nos produits, car chaque lancement est coûteux. Quand on affiche une promesse, il faut la tenir sur le fond, on ne peut pas se contenter d’un marketing habile.

La tendance de la beauty tech va-t-elle s’installer dans les habitudes des consommateurs, ou est-ce un phénomène gadget qui va passer ?

Si vous y réfléchissez, c’est quoi le mass market ? C’est un monde de libre-service. Le mass market naît d’une vente assistée. Le digital, pour une division comme la mienne, peut jouer un rôle absolument déterminant, parce que c’est une manière absolument géniale de mettre du service à grande échelle. Comment utiliser l’intelligence artificielle, générative ou non, et la réalité augmentée pour installer une conseillère beauté dans la poche de milliards de personnes ? Deux exemples. Aujourd’hui, quand vous rencontrez sur un site de vente de maquillage un outil d’essayage virtuel, votre conversion vers l’achat est significativement supérieure à celle sur un site sans outil, c’est prouvé. Il y a un autre exemple, plus prospectif, que nous avons présenté au Consumer Electronics Show de Las Vegas, le Beauty Genius de L’Oréal Paris. C’est une conseillère beauté virtuelle. On pourra lui poser des questions. Pour éviter le côté gadget, il faudra répondre à l’attente des consommateurs derrière cela. En 2027, le QR Code va remplacer le code-barres. Dans ce QR Code, on mettra ce que l’on veut. Ce sera une autre manière d’industrialiser le service, dans un monde de libre-service.

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