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Christophe Quillien plonge dans les mystères de Mœbius

Une volumineuse biographie revient sur la carrière mouvementée du dessinateur français Jean Giraud, aussi à l’aise dans le western de “Blueberry”, que dans la science-fiction de “L’Incal” sous son pseudonyme de Mœbius. Entre l’envie de spiritualité et l’obsession pour la sexualité, ce portrait rend un hommage fascinant et multiple à un génie du dessin.

Quel artiste français a influencé toute la science-fiction mondiale, a côtoyé les plus grands dessinateurs japonais quand le manga était encore mal aimé, a collaboré avec un cinéaste comme Ridley Scott, été exposé avec Hayao Miyazaki, suscité l’admiration de Fellini, de George Lucas ou Stan Lee ? Le dessinateur Jean Giraud, plus connu sous le pseudo de Mœbius, est une des plus grandes figures de la BD mondiale mais son influence va bien au-delà tant son imaginaire et son coup de crayon génial l’a installé comme un génie, un vrai, un De Vinci moderne et barré. Né en 1938, Giraud s’est fait connaître grâce à la série western Blueberry avec Jean-Michel Charlier au scénario mais s’est vite évadé du carcan franco-belge, a cofondé le magazine Métal Hurlant, et participé à la conception graphique de films aussi fondateurs que Alien et Tron. 

Bizarrement, 12 ans après sa mort, personne n’avait encore osé s’attaquer à raconter sa vie. Certes, Numa Sadoul avait publié de très instructifs livres d’entretiens et Giraud avait signé une autobiographie en 1999. Mais pour connaître son histoire mouvementée, entre Paris, Tahiti et L.A., il fallait un limier qui confronte les témoignages de ses proches avec les déclarations souvent contradictoires du premier intéressé. Depuis 2015, le journaliste et auteur Christophe Quillien, déjà coauteur de Mes Moires avec Jean-Pierre Dionnet, planche sur la vie de Giraud/Mœbius, éclairant les zones d’ombre et les non-dits. S’appuyant sur près d’une centaine de témoignages, sa biographie est à la mesure d’un personnage dont l’influence n’est pas près de s’estomper – Taika Waititi va adapter en film L’Incal, la série culte de Giraud/Mœbius avec Alejandro Jodorowsky au scénario. 

Du Mexique à Tahiti

Gir, Giraud, Mœbius et même Lazlo Parker lors d’une ultime tentative de devenir peintre… Le dessinateur français a multiplié les avatars. “Ce n’était pas artificiel ni une simple histoire de signatures, explique Christophe Quillien. Il fallait qu’il se réinvente, qu’il se remette en question. À part l’Incal et Blueberry – qui, soyons lucide, lui permettait de vivre –  il n’aimait pas trop les séries et, au contraire, excellait dans les histoires courtes. Il était constamment à la recherche de l’élargissement de son univers mental. C’était aussi vrai dans sa vie, il a beaucoup bougé”.

Paris, le sud de la France, Tahiti, Los Angeles, retour en banlieue parisienne… avec femme et enfants, Giraud a toujours été en mouvement. D’ailleurs, selon Christophe Quillien, deux voyages au Mexique réalisés en 1956 et 1964 ont été spécialement importants, notamment pour sa découverte de la spiritualité. 

Secte et sexe

Cette biographie précise et fourmillante met aussi en lumière le besoin du dessinateur d’être sous la coupe de mentors peu fréquentables. Avec sa première femme, Claudine, il se rapproche un temps du mouvement sectaire Iso-Zen puis se met à l’“instinctothérapie”, une pratique alimentaire discutable lancée par Guy-Claude Burger, un gourou pédocriminel que la justice française condamnera en 2001, bien après que Giraud l’a fréquenté, à 15 ans de réclusion criminelle pour viols sur mineur. On découvre aussi dans le livre une passion beaucoup plus inoffensive pour la pornographie. “Cette obsession nait très tôt, précise Christophe Quillien. Ado, Giraud faisait des dessins pour s’exciter, ce qu’il a continué adulte. Claudine, sa première femme, m’a confirmé que ça allait très loin dans l’expression d’une forme de violence. Quand elle était tombée sur ses carnets, elle lui avait dit que ça ne la dérangeait pas, il fallait juste les cacher des enfants. Le grand regret c’est qu’il ait tout détruit, il resterait juste un carnet qui est la propriété de sa première fille, Hélène”. 

Dans ce portrait qui évite l’hagiographie et le manichéisme, on se rend compte du goût de la compétition du dessinateur. “Il n’avait pas envie d’avoir des rivaux, confirme Christophe Quillien. Il a raconté à Christophe Blain (Un Monde sans fin, ndr) que, dans chacune de ses planches, il glissait au moins un dessin que les autres ne pourraient pas faire. Pire, quand il jugeait le travail d’autres dessinateurs, il pouvait se montrer extrêmement dur. Il commençait par dire : ‘il est vachement bien ton dessin, je serais incapable de faire ça’. Puis, à force de corriger le même dessin, à la fin il n’en restait plus rien”. Pas de doute, cette biographie va faire référence, même si Alejandro Jodorowsky – dont la carrière de scénariste doit pourtant beaucoup à Mœbius – a refusé de parler comme la dernière épouse du dessinateur, Isabelle Giraud. “Des gens ont émis des critiques à son sujet mais je ne les ai pas reprises, car j’aurais voulu qu’elle donne son point de vue”, regrette Christophe Quillien. Peut-être pour la réédition ?

Jean Giraud alias Moebius de Christophe Quillien (Seuil), 592p., 26€ 

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