Espagne - Argentine : récit d’une crise diplomatique en quatre actes
En quarante-huit heures, une brouille a éclaté et pris une telle proportion qu’elle secoue désormais la relation diplomatique entre l’Argentine et l’Espagne, qui menace en l’absence d’excuse de rompre ses relations avec le pays sud-américain. Si la dispute, partie d’une attaque visant la femme du Premier ministre Pedro Sanchez, peut paraître superficielle, elle s’encre en réalité dans un terreau de tensions croissantes entre l’Etat européen socialiste et le dirigeant argentin fraîchement installé en 2023. Récit d’une brouille en quatre actes, dont le dénouement n’est pas encore connu mais pourrait être fatal aux relations entre les deux pays.
Acte I : le terreau fertile de la brouille diplomatique
C’est sur fond d’ambiance déjà particulièrement tendue qu’éclate aujourd’hui la brouille diplomatique. En visite de trois jours en Espagne, le président argentin Javier Milei n’a rencontré ni le roi Felipe VI, ni le Premier ministre socialiste Pedro Sánchez, qui avait soutenu son rival Sergio Massa lors de la présidentielle argentine.
Il y a quelques semaines déjà, une controverse avait pris de l’ampleur : Oscar Puente, le ministre espagnol des Transports, avait ouvertement suggéré que Javier Milei se droguait. La présidence argentine avait réagi en accusant Pedro Sánchez d’avoir "mis en danger la classe moyenne avec ses politiques socialistes qui n’apportent que pauvreté et mort". Des critiques jugées à leur tour "infondées" par Madrid. Cette passe d’armes avait finalement été considérée comme "terminée" par la présidence argentine et par Oscar Puente lui-même, qui avait admis avoir fait une "erreur" et n’avoir pas eu conscience des répercussions de ses déclarations.
Acte II : la "femme corrompue" de Pedro Sanchez
C’est finalement l’une des habituelles phrases chocs du président argentin qui a mis le feu au torchon entre Madrid et Buenos Aires, dimanche 19 mai. En conflit ouvert, depuis plusieurs mois donc, avec le gouvernement espagnol, c’est durant une visite en tant qu’invité d’honneur au congrès "Europa Viva 24" organisé par le parti d’extrême droite espagnol Vox qu’il s’attaque, comme à son habitude, au "socialisme" du parti de gauche au pouvoir en Espagne. Mais pas seulement : cette fois, c’est aussi à la femme du Premier ministre espagnol Pedro Sanchez, Begoña Sanchez que le vigoureux politique argentin s’en prend verbalement, la qualifiant — sans la nommer directement — de femme corrompue.
"Les élites mondiales ne réalisent pas à quel point la mise en application des idées du socialisme peut être destructrice. Elles ne savent pas le type de société et de pays que cela peut produire et le type de gens accrochés au pouvoir et le niveau d’abus que cela peut générer", déclare-t-il. Et d’ajouter : "quand vous avez une femme corrompue, vous vous salissez et vous prenez cinq jours pour y réfléchir". Des propos perçus comme une allusion claire à la récente décision de Pedro Sánchez de suspendre toutes ses activités durant cinq jours pour réfléchir à une démission — option finalement écartée — après l’ouverture d’une enquête préliminaire pour "trafic d’influence" et "corruption" contre sa femme.
Acte III : rappel de l’ambassadrice pour "attaque sans précédent"
La réaction se fait peu attendre. Dans la foulée, le ministre des Affaires étrangères José Manuel Albares annonce, dès dimanche, le rappel jusqu’à nouvel ordre de l’ambassadrice d’Espagne en Argentine après les "paroles extrêmement graves" de Javier Milei, considérées comme une attaque "sans précédent dans l’histoire des relations" entre l’Espagne et l’Argentine. "Il est inacceptable qu’un président en exercice en visite en Espagne insulte notre démocratie", tance le ministre dans une déclaration lue à la télévision, en évoquant une entorse aux "coutumes diplomatiques" et aux "règles les plus élémentaires de coexistence entre les pays".
Le même jour, Buenos Aires rétorque : c’est à Pedro Sánchez de s’excuser pour ce que le gouvernement espagnol a dit sur Javier Milei, accusé notamment vendredi par la numéro trois du gouvernement espagnol de semer la "haine". "Il n’y a aucune excuse à faire. Aucune excuse. Je pense, au contraire, que le gouvernement espagnol devrait présenter des excuses pour ce qu’il a dit de Milei", affirme alors le ministre argentin de l’Intérieur Guillermo Francos, à la chaîne TN.
Acte IV : vers une rupture des relations diplomatiques ?
Partie d’une phrase choc, la dispute diplomatique atteint des proportions plus que conséquentes ce lundi 20 mai, tandis que la tension continue de monter entre les deux pays. En l’absence de geste de la présidence argentine, c’est l’ambassadeur du pays en Espagne qui a été convoqué au petit matin pour être messager d’une nouvelle demande d’excuses. "Je vais lui faire part de la gravité de la situation et exiger à nouveau des excuses publiques de la part de Javier Milei", a expliqué le ministre espagnol des Affaires étrangères sur la radio Cadena Ser.
Interrogé explicitement sur la possibilité d’une rupture des relations diplomatiques si le président argentin ne s’excusait pas, le ministre espagnol n’a pas écarté cette éventualité. "Nous ne voulons évidemment pas prendre ces mesures", a-t-il assuré. "Mais s’il n’y a pas d’excuses publiques, nous le ferons".
En milieu de journée, le Premier ministre Pedro Sanchez a lui même pris la parole pour dénoncer les propos de son homologue argentin, l’accusant de ne pas être "à la hauteur" des "liens fraternels" unissant l’Espagne et l’Argentine. "Je suis conscient que celui qui a parlé hier ne l’a pas fait au nom du grand peuple argentin", a ajouté Sanchez lors de sa première prise de parole publique depuis le début de la brouille.