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I’m in love with Marie-France Garaud

Elle était l’une des dernières gaullistes, ère pompidolienne. Ce mercredi 22 mai 2024, Marie-France Garaud est décédée à l’âge de 90 ans. Femme la plus puissante de l’histoire de la Vème République pour les uns, génie de la cruauté caustique dans la grande tradition des moralistes français pour les autres, MFG était un peu les deux à la fois.


Dans la Fête des fous, ouvrage paru en 2006, Marie-France Garaud se demandait qui avait bien pu tuer la Vème République. Mendésiste dans sa jeunesse, elle avait elle-même voté non au référendum de 1958. C’est en 1967 que Pierre Juillet, conseiller de Georges Pompidou, la recrute. C’est le début d’un fameux duo qui va préparer la campagne de l’ancien Premier ministre du Général de Gaulle, non sans avoir désamorcé l’affaire Markovic. Avec Edouard Balladur, pendant la maladie puis après la mort de Pompidou, le triumvirat est aux manettes de la France : les quelques mois durant lesquels la France a été le mieux géré de son histoire.

Une cruelle éleveuse de champion

Il y avait, chez les gaullistes historiques, Chaban-Delmas notamment, une tentation de se rapprocher des thèmes de gauche, pour éviter l’alternance. C’en est trop pour le duo Juillet-Garaud, marqué davantage à droite, qui tente de lancer Pierre Messmer dans la présidentielle de 1974. Le binôme pousse ensuite le jeune député corrézien Chirac et 42 autres parlementaires gaullistes à lâcher le maire de Bordeaux au profit du candidat Giscard, pourtant resté aux yeux de beaucoup comme le traître du référendum de 1969. Chaban finit péniblement au-dessus des 5%, Giscard est élu. Derrière le premier grand « assassinat » politique de Jacques Chirac (qui file directement à Matignon, où Garaud sera sa conseillère), il y a l’ombre du duo maléfique.

Jacques Chirac n’est pas encore le Bonisseur De la Bath que l’on a connu plus tard mais plutôt un grand échalas perdu et peu sûr de lui. Marie-France Garaud est tout le contraire. Elle transforme son poulain en étalon. Quand il est élu maire de Paris en 1977, il remercie sa conseillère, elle glisse : « C’est bien la première fois qu’un cheval remercie son jockey ». Cette phrase, et quelques autres, font déjà partie du panthéon des plus belles vacheries de la Vème République. Philippe de Villiers, qui a siégé au Parlement européen avec elle, a déclaré : « Elle se délectait de cruautés comme d’autres de gourmandises. »

Elle dissuade Chirac de divorcer afin d’éviter de compromettre ses chances de devenir un jour président de la République. Bernadette Chirac ne fut que modérément reconnaissante, en déclarant : « Elle a beaucoup de mépris pour les gens. Elle les utilise, puis elle les jette. Elle me prenait pour une parfaite imbécile ». Si Chirac divorce, c’est plutôt d’elle. Il lui reprocha d’avoir tenu le crayon, quand, coincé à l’hôpital de Cochin après un accident de voiture, en 1978, il signa l’appel du même nom, aux accents souverainistes. En 2006, elle répond à la journaliste du Monde, Raphaëlle Bacqué : « Comprenez bien : lorsque Chirac a conquis la Mairie de Paris, nous nous sommes un peu retrouvés (avec Pierre Juillet) comme des parents soulagés d’avoir casé le petit dernier. D’ailleurs, d’habitude, on ne sort jamais de la Mairie de Paris pour aller plus haut. Vous conviendrez que ce n’est pas de veine… ».

La bataille de Maastricht

En 1981, elle fait campagne à part, contre son ancien poulain. Le candidat François Mitterrand y met du sien pour qu’elle obtienne ses parrainages. Le couloir gaulliste est déjà bien encombré puisque Michel Debré, le fondateur de la Vème République, est lui aussi candidat. On l’a oublié, mais André Glucksmann et Bernard Kouchner, qui ont gardé de leur gauchisme de jeunesse une hostilité primaire à l’URSS, soutiennent la candidate, elle-même à ce moment très atlantiste. Le score final, 1,33%, est assez anecdotique.

Dans la décennie suivante, Marie-France Garaud est plutôt aimable avec le président Mitterrand, qui la reçoit deux fois à l’Élysée. Entre l’étatisme gaullien et l’étatisme socialiste, il pouvait y avoir quelques convergences. Jusque 1992 : avec Villiers, Pasqua et Seguin, elle prend la tête du combat contre Maastricht. Le terme « souverainisme » n’existe pas encore (c’est quand la souveraineté s’en est allée qu’il a fallu mettre le mot). En 1996, elle débat sur le service public, contre son amie Simone Weil et Jacques Attali, aux côtés de Jean-Pierre Chevènement. L’esquisse d’une reconfiguration de la vie politique autour d’un affrontement entre souverainistes et euro-fédéralistes ? Finalement, personne n’ose vraiment franchir le Rubicon. Le clivage droite-gauche n’explosera qu’en 2017, au profit d’un antagonisme entre élitisme et populisme – une version un peu bas de gamme du débat des années 90. L’ancien maire de Belfort, autre conscrit de Maastricht, a salué lui aussi Marie-France Garaud, dans un style plus ou moins fluide : « La mort de Marie-France Garaud ranime la nostalgie d’une droite nationale et souverainiste dont l’un des enjeux de la période qui s’ouvre est de savoir quelle force pourra s’en saisir. »

Un flirt gâché par un camping-car

Marie-France Garaud passe cinq ans au Parlement de Strasbourg, de 1999 à 2004. Elle écrit et décrit dans Impostures politiques, en 2010 comment la cour de Karlsruhe a su maintenir la constitution allemande au-dessus des traités européens : avec un peu de courage, nos propres constitutionnalistes auraient pu en faire autant. Elle passe chez Frédéric Taddeï, où, citant Jean Bodin, elle explique que la France n’a plus vraiment d’État et n’est plus vraiment un État. Après dix années de chiraco-sarkozysme, elle est de nouveau tentée de flirter avec la gauche, et notamment avec Arnaud Montebourg, candidat aux primaires de 2011 et qui remet au goût du jour des thématiques productivistes et protectionnistes. En décembre 2011, face à Nathalie Kosciusko-Morizet elle termine, chez Yves Calvi, avec le député de Saône-et-Loire, les phrases du Général. La lune de miel avec la gauche de retour au pouvoir est bien courte. Un proche d’Arnaud Montebourg confie : « Un jour, elle m’appelle : « Vous avez-vu les photos de Jean-Marc Ayrault avec son camping-car ? Vous aussi vous avez un camping-car ? » Je lui ai dit que non mais le mal était fait ». Pour l’ancienne conseillère de Pompidou, c’était la faute de goût de trop.

Femme la plus puissante de la Vème République, d’après Sarah Knafo, elle n’a cependant été élue qu’une fois, en 1999, sur la liste Pasqua-Villiers. Alors que Margaret Thatcher s’apprêtait à botter les fesses des généraux argentins, elle obtenait un score famélique à la présidentielle. Dommage : elle aurait pu être une version à la française de la Première ministre britannique, c’est-à-dire en plus étatiste, et nous aurions pu adapter la chanson du groupe Notsensibles : I’m in love with Marie-France Garaud.

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