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Peut-on "faire barrage" tout en étant un repoussoir ? Message à la gauche de bonne foi, par Anne Rosencher

Peut-on

Quoi qu’il arrive, disons-le d’emblée : nous vivons une période affligeante. Aucun citoyen animé par l’envie de bonne foi que la France aille mieux ne peut traverser ce moment de peu de raison et de peu de gloire sans la boule au ventre. La campagne éclair qui commence promet de jeter plus de sel encore sur les plaies d’une société déjà à vif, et cela n’a rien de rassurant. Qu’est devenue la politique ?

Et regardons à gauche, d’abord, où la crise de nerfs a été érigée en morning routine. A chaque jour, sa douche écossaise : lyrisme des grands soirs, petits matins des purges lambertistes. L’heure, nous dit-on, est à la grande "clarification". Où est-elle ? Que dit cette nouvelle union des fondements et des promesses de la gauche ? Que dit-elle de la défense du progrès ? De l’émancipation par le savoir ? De la laïcité ? De l’instruction ? De la lutte contre les communautarismes ? Que dit-elle de la protection des plus faibles, et notamment des classes populaires, qui se sentent si peu représentées qu’elles ont pour la plupart basculé depuis longtemps au RN ou dans l’abstention ? La gauche des partis est de plus en plus constituée de gens qui se sont arrogé le monopole de la définition de "la gauche" – avant tout : une lettre de noblesse – et qui, à force de mépriser moralement et intellectuellement les diagnostics d’une partie des Français a chassé le peuple de son électorat. Beau bilan.

Malgré le lyrisme des slogans, la période n’y change rien. La vérité du Nouveau Front populaire ce n’est pas la clarification, mais l’arithmétique. Le seul programme commun, c’est de mettre toutes les "divergences" de côté pour faire barrage à l’extrême droite. Personnellement, j’ai encore du mal à comprendre comment l’antisémitisme peut être une divergence que l’on mettrait de côté, mais il paraît que je chipote. Que se passe-t-il, cependant, quand il y a plus de poussière que de tapis ? Je sais bien que beaucoup de sympathisants de ce Nouveau Front populaire, en rien antisémites, en rien sectaires, pensent que l’accord permettra de marginaliser le pire de LFI grâce à la dynamique créée par l’union. Ils croient pouvoir "faire du judo" avec Mélenchon et sa secte. Mais on ne fait pas de judo avec un crocodile. Ils ne sont pas à la hauteur, et l’apprendront à leurs dépens. Je doute, enfin, et par-dessous tout, de l’efficacité du nouvel attelage pour lutter contre le RN : peut-on faire barrage quand on devient soi-même un repoussoir pour beaucoup de Français ?

Macron, l'aveugle et la psychologie

Un coup d’œil au centre, maintenant. Où l’on a voulu croire au dépassement des clivages par le "pragmatisme" à bullet points. C’était tout l’objet du macronisme originel, et c’est tout son échec. L’effondrement du clivage horizontal "gauche-droite" a donné lieu à une recomposition verticale : en gros, la France qui va bien contre la France qui va mal. Plutôt que d’en tirer les conclusions, Emmanuel Macron a préféré voir en sa réélection de 2022 le signe que sa magie opérait encore. Il n’y a pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. Outre la base de ses fidèles du premier tour – mais on ne dirige jamais un pays sur l’étiage de ses indéfectibles –, Emmanuel Macron n’a été reconduit que par la coalition des "fautes de mieux" et du barrage à Marine Le Pen, comme l’ont montré les législatives dans la foulée.

Le président réélu avait la responsabilité historique de gouverner en partie contre la sociologie de ses électeurs – qui s’en seraient remis. Au lieu de quoi, il a tenté d’expliquer (comme il y a un mois encore dans nos colonnes) que "[sa] stratégie était la bonne". Pour finir par dégainer au pire moment – au pire ! – une dissolution qui plonge le pays dans une intensité dramatique hautement inflammable. Le président semble avoir une inclination psychologique pour la tragédie que beaucoup de ses proches décrivent depuis longtemps, qui s'est exprimée cette fois plus que jamais.

Marine Le Pen et ses "zigzags opportunistes"

A l’extrême droite de l’échiquier, enfin, le populisme nationaliste de Marine Le Pen fait la chattemite. Plus le débat politique s’abîme dans le bruit et la fureur, plus le lepénisme se donne des airs de miel. Le programme et les promesses changent chaque jour, en fonction des heures, des critiques, des sondages ou de la météo, mais ces zigzags opportunistes ne semblent pas enrayer la dynamique dont bénéficie désormais le parti. Le Rassemblement national a construit au fil des années une popularité en surfant sur le mépris dont se sentent désormais faire l’objet beaucoup de Français des classes moyennes et populaires. La droite républicaine est au tapis. La cote dont bénéficie le RN sera désormais difficile à fissurer tant que les électeurs jugeront qu’eux, "au moins, on n’a pas essayé".

Sur quoi cette situation débouchera-t-elle ? Impossible de le prédire. Le pire n’est jamais certain, mais compte tenu de l’état de notre pays et de ses fractures, le meilleur semble désormais exclu. Restent la France, ses citoyens et ses institutions, qui inspirent souvent plus confiance que les appareils. Hauts les cœurs, et en avant !

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