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Quel était ce projet fou de mer intérieure en plein désert rêvé par le creusois Elie Roudaire ?

Né à Guéret le 6 août 1836, où son père, botaniste, était conservateur du cabinet d’histoire naturelle de la ville, François Élie Roudaire, après avoir été clerc de notaire, embrassa la carrière militaire.

Sorti de l’École d’État-Major avec le grade de lieutenant, le 1er janvier 1858, Élie Roudaire fut affecté à des travaux topographiques et géodésiques dans le sud de l’Algérie. Frappé par la position du chott Melrir, au-dessous du niveau de la mer, il acquit la conviction que les chotts algéro-tunisiens formaient autrefois un bassin communiquant avec la Méditerranée par le golfe de Gabès.

Des sondages géologiques apportèrent la preuve que cette région avait été submergée. Élie Roudaire conçut alors le projet de creusement, à travers les dunes, d’un canal qui relierait entre eux ces chotts, étendues d’eau saumâtre peu profondes, et la Méditerranée, afin de créer une mer intérieure qui rendrait au Sahara sa fécondité. L’article qu’il publia en mai 1874 dans la Revue des Deux-Mondes retint l’attention de Ferdinand de Lesseps. Le « père » du canal de Suez, inauguré en 1869, devint son plus fidèle soutien, prêt à exécuter les travaux, évalués à 150 millions de francs, à ses risques et périls.

L’Assemblée nationale vota à Roudaire un crédit de 10.000 francs pour poursuivre son étude. En décembre, il repartit en Afrique à la tête d’une mission et à son retour, en 1875, présenta ses conclusions : par l’inondation d’environ 13.000 km2 de terrain (22 fois la superficie du lac de Genève), en reliant entre eux les chotts Nérouan, Melrir, Rharsa, Djérid et Fedjedj, on obtiendrait une mer intérieure de 400 km de longueur est-ouest pour 60 km de largeur nord-sud, grâce au creusement d’un canal de 18 km à travers les sables du seuil de Gabès.

Mais un grain de sable bloqua la machine, quand de nouvelles études révélèrent que le chott Djerid n’était pas au-dessous du niveau de la mer mais 25 mètres au-dessus, ce qui ramenait la « mer intérieure » à 250 km de longueur et faisait passer le canal à creuser de 18 à 170 km. En 1881, le gouvernement français rejeta le projet, son coût étant supérieur à ce qu’il pourrait rapporter. Convaincu qu’il était réalisable, de Lesseps, prêts à investir ses propres fonds, soutenait Roudaire.

Emporté par la mort avant d'avoir achever le canal

La « mer intérieure » de Roudaire avait aussi des adversaires, avec à leur tête un botaniste, membre de l’Académie des Sciences, Ernest Cosson. Il jubila quand, à Blois, lors du congrès de la Société française pour l’avancement des sciences, un certain docteur Rouire, ingénieur civil, docteur ès-sciences en archéologie, pointa une erreur qu’aurait commise Roudaire.

L’Abeille de la Creuse s’en fit l’écho le 22 juin 1884 : « Au moment où le colonel Roudaire semble toucher au but et pouvoir réaliser avec le puissant concours de M. de Lesseps, la mer intérieure d’Afrique sur l’emplacement qu’il croit être la baie du Triton des Anciens, un médecin militaire doublé d’un savant, M. le docteur Rouire, vient de retrouver l’ancienne baie dans le lac Kelbiah, situé au nord de Sousa (Sousse) et non pas au golfe de Gabès ».

Cette « révélation » n’eut aucune conséquence sur le projet de Roudaire, qui avait raison quant à la position du lac Triton, comme l’ont démontré deux spécialistes de l’Afrique du nord antique, Jean Peyras et Pol Trousset, dans l’ouvrage qu’ils lui ont consacré à la fin du siècle dernier.

Le lac Triton est l’ancien du nom du chott Djérid. Le lac Khelbiah et l’oued Bagla n’ont donc rien à voir avec le lac Triton. Néanmoins, le projet de mer intérieure saharienne d’Elie Roudaire, demeura un mirage, son auteur décédant à Guéret le 14 janvier 1885. Seule consolation, Jules Verne s’inspira de ses travaux pour écrire son roman, L’Invasion de la mer.

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