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À Brive, l'incroyable destin de Jeanne, qui vient de fêter ses 103 ans

À Brive, l'incroyable destin de Jeanne, qui vient de fêter ses 103 ans

Née le 26 juin 1921, Jeanne Caumel Vergoz vient de fêter ses 103 ans. Avec un talent certain pour le récit, la centenaire raconte sa vie : un siècle de péripéties, de Madagascar au Chili, jusqu’à Brive (Corrèze).

Elle a 103 ans, mais paraît 20 ans de moins. « J’ai toujours fait plus jeune que mon âge. Je suis bien conservée… une belle boîte de conserve ! », plaisante la centenaire, qui n’a perdu ni son humour, ni son autonomie : elle habite seule dans un appartement coquet de Brive (Corrèze). 

Pour l’aider, Marie-Lisianne, en charge des repas, et Maria, sa femme de ménage, depuis 20 ans à son service : « Je l’adore, on s’entend très bien. » Même enthousiasme pour Anaïs, infirmière. « Elle me donne de l’affection », confie Jeanne tandis qu’Anaïs ne tarit pas d’éloges sur sa patiente : « C’est la plus âgée et, contrairement aux autres, elle va de mieux en mieux ». Une santé de fer ! Pourtant, sa vie ne fut pas un long fleuve tranquille. Car cette élégante dame a vécu sur trois continents, souvent déracinée, toujours courageuse.

Une enfance africaine

Jeanne Caumel Vergoz naît à Paris en 1921 dans une famille qui a fait carrière « dans les colonies ». Peu après sa naissance, ses parents, qui se sont connus à La Réunion, quittent la région parisienne pour Madagascar. Trente jours de traversée, puis des années aussi joyeuses qu’aventureuses sur l’île africaine. Mais à 4 ans, le couple doit rentrer en France et la famille s’établit à Versailles. « Je suis devenue une véritable Versaillaise », dit-elle avec des étoiles dans les yeux à l’évocation de sa jeunesse là-bas, avec ses frères adorés. Des frères dont elle doit s’occuper, pour aider sa mère qui travaille, son père s’étant fait la malle.Les étés se passent dans la propriété des grands-parents dans l’Oise. Là, elle fait la connaissance d’Edmond, jeune garçon d’une famille de réfugiés chiliens, hébergés par ses grands-parents en échange du gardiennage de la demeure. Edmond lui confie vouloir devenir prêtre. Il devient ce compagnon de jeu qu’elle retrouve chaque été. Un jour, le jeune homme vient la voir à Versailles. « En fait, il ne voulait pas être prêtre. » Ainsi démarre leur histoire : 

« Je ne pensais qu’à lui, vous savez, quand on a 17 ans… »

C’est le grand amour. Mais c’est aussi la guerre. Celle de 1939. À peine les fiançailles prononcées qu’Edmond fuit au Chili. Jeanne s’accroche à son amour lointain. Elle apprend l’espagnol et refuse les autres prétendants. « Quand j’y repense, je demandais des nouvelles par la Croix-Rouge, je m’inquiétais alors qu’il était tranquille au Chili. Lui ne cherchait même pas à savoir comment j’allais, alors qu’on était en guerre ! »

La grande traversée

La guerre terminée, Jeanne part rejoindre son bien-aimé. À la vingtaine, la voilà donc qui embarque sur un paquebot au Havre, direction Buenos Aires, en Argentine, en passant par le Panama. « Très intéressant, vous allez voir, le bateau ! » Jeanne raconte sa vie comme les épisodes d’une série. « Il fallait du courage pour effectuer cette traversée seule. Surtout que des garçons me poursuivaient. Je me barricadais dans la cabine, je vois encore la porte », témoigne la centenaire. 

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À Buenos Aires, Edmond l’attend. Entre la métropole moderne et le train pour Santiago du Chili emprunté par des populations indiennes, rien ne ressemble à ce qu’elle connaît. S’ensuivent des années difficiles dans la capitale chilienne. Ses deux fils naissent rapidement, mais Jeanne se sent coincée entre un mari volage et une belle-mère digne des marâtres des contes de fée. Quatre-vingts ans plus tard, sa colère pour cette femme est intacte. « C’était un chameau et moi j’étais la loque-à-terre », dit-elle d’un jeu de mots. 

En 1952, elle finit par rentrer en France avec ses fils sous le bras. Mais deux ans plus tard, Edmond vient la chercher. Patricia, leur fille, naît en 1957. Avec l’aide de l’ambassade, Jeanne divorce et trouve un emploi d’enseignante à l’université. « J’adorais donner des leçons, j’avais du succès. » Mais la santé de Patricia est fragile alors Jeanne finit par rentrer en France. Nous sommes en 1965 et le nouveau franc est en vigueur. « Des gens en ont profité pour me berner. Je me retrouve pauvre et perdue dans mon pays. »

Nouvelle vie

Mue par son courage, Jeanne reprend des études pour obtenir une licence d’espagnol et travailler comme professeure, sa passion. Elle rencontre Jean, son second mari et, à 50 ans, obtient son permis de conduire. « J’allais à Paris en voiture seule, j’avais du culot ! » Jean décède quelques années plus tard. Alors à la retraite, Jeanne quitte Versailles pour Chambéry, où Patricia s’est installée. Jeune senior, elle profite de la douceur de vivre et se fait de nombreuses amies. Mais sa fille part vivre dans le Lot, où habite également son fils. Pour se rapprocher d’eux, Jeanne déménage. Encore. Un dernier déracinement, à 85 ans, pour Brive. « J’ai été plus longtemps à la retraite qu’au travail. Je ne suis pas intéressante pour la caisse de retraite ! », rit-elle. 

Elle a commencé à écrire ses mémoires, mais ne fait pas le bilan de sa vie. « C’était ce que je devais vivre », estime-t-elle, philosophe. Quant à préférer une époque plutôt qu’une autre : « Je ne compare pas, je m’adapte. Ça a été ça, ma vie, m’adapter. » 

« Je ne compare pas, je m’adapte. Ça a été ça ma vie, m’adapter. »

Elle utilise tablette et smartphone. Pratique pour garder le lien avec ses huit petits enfants et ses six arrière-petits-enfants.

Emmanuelle Mayer

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