[Cet article est à retrouver dans le magazine têtu· de l'été, disponible en kiosques ou sur abonnement] Sénatrice écologiste de Paris, Anne Souyris est de tous les combats LGBT+ à la chambre haute.
En ce jour de mai, dans la voix d’Anne Souyris, une pointe d’agacement et une ironie lasse se mêlent à l’accent francilien – née à Angoulême, elle a grandi à Maisons-Alfort, Val-de-Marne, aux portes sud de Paris. C’est que la nouvelle sénatrice parisienne, élue en octobre 2023, s’est sentie bien seule, à gauche, pour porter le fer contre le lobby réac lors des auditions préalables au débat sur la proposition de loi échafaudée par la droite pour interdire l’aide médicale aux mineurs transgenres. "Ça me semble pourtant primordial que les bonnes questions soient posées aux experts et aux personnes concernées", souffle l’écologiste de 59 ans à l’issue d’une pénible journée d’auditions, ses yeux bleus démentant néanmoins son découragement.
À lire aussi : Au sommaire du têtu· de l'été avec Antoine Dupont
Sa passion du militantisme est un héritage maternel. Sa mère, qui a élevé seule sa fille unique (elle ne connaîtra son père qu’à l’âge de 15 ans), diététicienne à l’hôpital Saint-Antoine à Paris, était engagée auprès du syndicat SUD pour défendre les droits des salariés. Quand, en tant qu’adjointe parisienne, Anne Souyris deviendra vice-présidente de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP), elle repensera à celle qui, disparue en 2015, avait manifesté devant le siège du plus gros employeur d’Île-de-France.
Dès l’âge de 13 ans, Anne adhère pendant quelques mois aux Jeunes Communistes : "Je me disais que si je ne m’impliquais pas, si je ne me révoltais pas, c’est que j’étais une collabo", se souvient-elle. L’adolescente est toutefois déçue par l’esprit moutonnier de ses camarades, elle qui pensait engager avec eux des débats enflammés.
Aujourd’hui, la méthode Souyris est plutôt simple : "Quand on fait de la politique, on doit avant tout suspendre son jugement moral, et partir du vécu des personnes qui vivent le sujet sur lequel on travaille, pour se demander comment améliorer concrètement leur vie", expose-t-elle, attablée dans un café à deux pas du parc des Buttes-Chaumont, son quartier dans le nord-est de Paris, d’où elle repartira immanquablement à vélo.
À l'écoute du monde et des minorités
C’est le journalisme qui lui a enseigné cet empirisme. Lors d’un stage au Monde en 1989, elle croise la route de Frédéric Edelmann, décédé en janvier 2024, qui embauche cette jeune journaliste prometteuse au Journal du sida qu’il vient de cofonder. Pour l’un de ses premiers reportages, il l’envoie faire une enquête sur le Bus des femmes, une association francilienne d'auto-support de travailleuses du sexe. La reportrice veut en interroger la dirigeante, qui avant l’interview la fait patienter dans une grande salle où sont installées des dizaines de prostituées, la forçant à discuter avec elles. "Après avoir été confrontée à ces expériences, je ne pourrais jamais être abolitionniste, je vois bien que ce n'est pas une bonne réponse à la situation dans laquelle sont ces femmes", en retire-t-elle. Cette écoute comme leitmotiv, et sa défense absolue du droit à disposer de son propre corps, l’amènent également à défendre l'autorisation de la gestation pour autrui (GPA) : "Il existe une GPA éthique, solidaire, éloignée des considérations financières. En encadrant en France ce qui nous paraît acceptable, on évitera le recours à l’étranger à des pratiques qui ne le sont pas." Son premier slogan de campagne (perdue), comme suppléante aux législatives de 2002 à Paris : "Les minorités font la majorité."
Élue conseillère régionale d'Île-de-France en 2004 puis conseillère de Paris en 2014 (Europe Écologie – Les Verts), son expérience des enjeux de santé lui permet d’être élue en 2017 adjointe chargée de la santé à la maire de Paris, Anne Hidalgo. Sensibilisée à la dépendance, Anne Souyris défend une augmentation des taxes sur l'alcool – un comble, pour celle dont une partie de la famille restée en Charente travaille dans le vin. En mars 2021, en pleine pandémie de covid, elle pousse à une campagne d’affichage public pour alerter sur les risques associés au chemsex, ainsi qu’à réunir les acteurs de santé pour travailler à un plan cohérent. "À cause du covid, le chemsex explose, ainsi que tous les sujets qui y sont associés : dépendance, désocialisation, dépression, constate-t-elle alors auprès de têtu·. Il va falloir trouver comment aller vers toutes ces personnes pour faire de la prévention." Quand le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, répète à l’envi que "la drogue, c’est de la merde", Anne Souyris pointe "une posture morale qui n’a jamais sorti quelqu’un de l’addiction". S'inspirant des résultats positifs de l'expérience décennale allemande, elle préfère ouvrir des salles de consommation à moindre risque pour limiter la transmission du VIH et les overdoses.
Ces derniers mois, c’est dans sa propre cuisine que la mère célibataire a dû tenir meeting pour convaincre son aîné de 18 ans – son cadet a 14 ans – de voter écologiste aux élections européennes. Mais c’est l’apprentissage de l’esprit d’indépendance qui a primé : il a conservé son vote secret…
À lire aussi : Dossier : la transphobie nous attaque toustes
Crédit photo : Camille Nivollet pour têtu·