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Yann Bourgueil : "La France pourrait difficilement se passer des soignants d’origine étrangère"

Dans son programme pour la dernière élection présidentielle, le Rassemblement national affichait clairement sa volonté de "réduire drastiquement le nombre de médecins ayant obtenu leur diplôme hors de l’Union européenne". Depuis, le parti de Marine Le Pen est resté d’une discrétion de violette sur cette question après, déjà, la polémique suscitée par ses positions sur les binationaux. Mais il n’empêche : si la présence des soignants d’origine étrangère devait à un moment ou à un autre être remise en cause, c’est tout le système de soin qui se trouverait en difficulté. Et en particulier les zones aujourd’hui déjà les plus concernées par la désertification médicale. Explications avec Yann Bourgueil, médecin de santé publique et conseiller scientifique à la chaire santé de Sciences Po.

L’Express : Quelle est la part de soignants diplômés à l’étranger dans le système de santé français ?

Si l’on s’en réfère aux statistiques de l’Ordre des médecins, notre pays comptait en 2023 12,5 % de médecins titulaires d’un diplôme obtenu hors de France, dont 7 % hors de l’Union européenne, principalement en provenance d’Algérie, de Tunisie et de Syrie. Au total, ils sont 29 238. C’est une proportion assez faible par rapport à d’autres pays. Historiquement, le système de soins français n’a pas fait appel de façon explicite à de la main-d’œuvre étrangère contrairement à d’autres Etats qui ont toujours fonctionné de cette façon, comme le Royaume-Uni et le Canada.

Outre-Manche par exemple, il y a toujours eu la volonté de rationner l’offre pour maîtriser les dépenses de santé. Le nombre de professionnels de santé en formation a donc toujours été contrôlé encore plus étroitement qu’en France, et les ajustements se faisaient traditionnellement en faisant appel à des soignants provenant d’autres pays, qui représentent aujourd’hui de l’ordre de 25 % des effectifs. Avec ses anciennes colonies, le Royaume-Uni dispose en effet d’un important réservoir de main-d’œuvre potentielle car le système de formation instauré lors de l’époque coloniale est resté en place, avec par conséquent des équivalences de diplômes.

Avant le Brexit, les Britanniques avaient aussi pris l’habitude de faire appel à des médecins européens, notamment les Polonais, qui alternaient périodes de travail sur l’île et périodes de repos dans leur pays. Avec la sortie de l’Union européenne, ces flux se sont brutalement interrompus, et cela a occasionné d’importantes difficultés de fonctionnement pour le système de soins outre-Manche.

La France ferait-elle également face à des difficultés si la présence des médecins étrangers était remise en question ?

Bien entendu, car même si ces professionnels représentent une part limitée des effectifs, beaucoup d’entre eux exercent dans des zones où les soignants sont peu nombreux, dans les petits hôpitaux à l’écart des grandes villes où les postes vacants sont nombreux, ou en libéral dans les secteurs les plus désertifiés. Une étude très récente de l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes) montre qu’en 2023, la majorité des "primo-inscrits" en médecine générale à l’Ordre des médecins, nés et diplômés à l’étranger, est installée dans les marges rurales (41,6 %), puis dans les espaces périurbains sous-dotés (21,5 %). A titre de comparaison, leurs homologues formés en France sont 11,9 % à s’installer dans les marges rurales et 22,3 % dans les espaces périurbains. Si ces professionnels diplômés hors de France n’étaient pas là, l’accès aux soins dans les zones les plus reculées serait donc encore plus difficile qu’aujourd’hui : notre système de santé peut donc difficilement s’en passer.

Les centres hospitalo-universitaires accueillent aussi beaucoup de médecins étrangers en formation

Les centres hospitalo-universitaires se trouveraient en difficulté également, car ils accueillent beaucoup de médecins étrangers qui viennent se former notamment dans les spécialités médicales et chirurgicales chez nous dans le cadre de leur cursus, avant de repartir dans leur pays. Ils participent aux travaux des équipes de recherche, aux services de pointe, mais aussi aux soins. Même si ces personnels ne restent pas en France, ces flux sont continus, et leur absence poserait un problème.

Qu’en est-il des personnels non médicaux ?

Il y avait eu une tentative voilà une vingtaine d’années de faire venir des infirmières espagnoles, mais cela n’avait pas très bien fonctionné et la plupart n’étaient pas restées. Les dentistes en revanche sont très concernés. Beaucoup de diplômés français se sont tournés vers l’implantologie ces dernières années, car les prothèses étaient bien plus rémunératrices que les soins courants, devenus de fait moins accessibles à la population.

En réaction, des centres de santé ont été créés à l’initiative d’investisseurs privés, qui font souvent appel à des professionnels formés à l’étranger. Et il ne faut pas oublier tout le secteur médico-social au sens large, avec les personnels des Ephad, l’aide à domicile et la garde d’enfants, où les personnels étrangers représentent aussi une part non négligeable des effectifs, les niveaux de rémunérations étant particulièrement faibles.

En même temps, n’est-il pas pénalisant pour les pays d’origine de voir leurs soignants s’exiler ?

La France a longtemps défendu ce point de vue, en augmentant le nombre de professionnels formés dans notre pays (infirmières et avec une certaine inertie les médecins) et en poussant même à l’adoption d’un code de bonne conduite au niveau de l’Organisation mondiale de la santé sur cette question. Mais des spécialistes des migrations indiquent aujourd’hui qu’il ne faut peut-être pas raisonner uniquement en termes de "brain drain". Les soignants qui se déplacent ne pourraient peut-être pas exercer dans de bonnes conditions dans leurs pays où les systèmes de santé sont délaissés. Souvent, ils envoient aussi de l’argent à leur famille, ce qui participe à l’économie locale. Les Philippines se sont fait ainsi une spécialité dans la formation d’infirmières, qui sont nombreuses ensuite à aller travailler à l’étranger. La migration ne doit pas toujours être vue comme un problème, pas plus pour les pays de départ que d’arrivée.

Pour l’instant, pour lutter contre les déserts médicaux, le Rassemblement national propose d’exonérer d’impôts sur le revenu les médecins retraités qui reprendraient une activité. Qu’en pensez-vous ?

C’est une bonne piste, mais elle est déjà à l’œuvre, par des mécanismes facilitant le cumul emploi-retraite. Il n’y a donc là rien de nouveau, ni de nature à changer la donne pour les territoires concernés. Nous avons de toute façon encore plusieurs années difficiles devant nous, avant que les effets de la hausse du numerus clausus ne commencent à se faire sentir.

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