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La Chine joue son Vanuatu : comment, à coups de millions, Pékin a mis la main sur ce micro-Etat du Pacifique Sud

La Chine joue son Vanuatu : comment, à coups de millions, Pékin a mis la main sur ce micro-Etat du Pacifique Sud

Avec moins de 300.000 habitants éparpillés au beau milieu de l’océan Pacifique, le Vanuatu ne brille pas a priori par son attractivité. La surpuissante Chine y multiplie pourtant les investissements. Dernier en date ? Un palais présidentiel flambant neuf.

Un complexe rutilant comprenant un imposant bâtiment central et plusieurs dépendances, d’une superficie totale de près de 3.000 m2, sur un vaste terrain clos abritant jardins et court de tennis, au sommet d’une colline dominant la capitale Port-Vila. Une fois encore, la Chine n’a pas fait dans la demi-mesure.

Le palais présidentiel symboliquement livré au Premier ministre du Vanuatu, ce mardi, aurait coûté au bas mot 21 millions de dollars à Pékin, selon un think tank australien. Une somme rondelette qui couvre également la construction d’un nouveau ministère des Finances et la rénovation du département des Affaires étrangères de l’archipel.

"Totalement disproportionné"

« L’ensemble, pharaonique, fait penser au palais de Cléopâtre dans Astérix. C’est totalement disproportionné », s'amuse Marc Tabani, chargé de recherche eau CNRS et grand spécialiste du Vanuatu, où il a vécu et séjourne chaque année.

Le décalage tient autant à la petitesse du pays – moins de 300.000 habitants éparpillés sur 83 îles dans le Pacifique Sud – qu’à son système politique, « une république parlementaire dans laquelle le président, auquel le complexe est dévolu, n’a en réalité qu’un rôle extrêmement limité ».

Mais ces considérations pèsent peu face aux ambitions du géant. « L’objectif immuable est de marquer les esprits et de s’assurer que tout le monde, tout le temps, puisse constater et admirer sur place la grandeur de la Chine », souligne l’anthropologue, qui relève au passage que le nouveau palais a été érigé en lieu et place de l’ancienne résidence du haut-commissaire français. « Tout sauf un hasard, évidemment… »

Emmanuel Macron avait effectué une visite officielle au Vanuatu en juillet 2023. Photo AFP

L’offensive n’est pas nouvelle. L’archipel a beau se dresser à 7.000 kilomètres des côtes de la deuxième puissance économique mondiale, celle-ci y est à l’œuvre depuis une quarantaine d’années déjà. « Dès l’indépendance, en 1980, qui mettait fin au condominium franco-britannique sur ce qui s’appelait alors les Nouvelles-Hébrides, la Chine a montré un fort intérêt », souligne Marc Tabani.

Le Vanuatu, qui voit là l’opportunité d’accélérer son développement tout en mettant sous pression ses ex-colonisateurs, et plus largement le camp occidental, mord volontiers à l’hameçon. Le rapprochement se traduit par de premiers contrats « d’amitié et de coopération », puis par l’implantation, dès 1989, d’une ambassade de la République populaire à Port-Vila.

D'innombrables projets "made in China"

La politique des grands travaux, toujours visibles, souvent fastueux, prend vite le relais. En plus d’investissements dispendieux en matière de santé, d’éducation ou de télécommunications, un Parlement, de multiples infrastructures sportives, des collèges, un campus universitaire et d’innombrables routes « made in China » sortent de terre au fil des ans. Pékin dépense sans compter. Et tant pis si les projets ne collent pas forcément aux besoins réels ni aux capacités du pays.

« On l’a vu notamment avec le palais des congrès construit en 2016-2017. Le Vanuatu s’est retrouvé avec un bâtiment énorme, démesuré, mais sans l’argent nécessaire pour payer l’électricité et faire fonctionner l’ensemble ! »

Dans la population locale, cette emprise sans cesse grandissante suscite des grincements de dents récurrents, dérivant parfois jusqu’à un « racisme ouvertement exprimé au café du commerce », selon le chercheur. Mais Pékin peut toujours compter sur le consentement plus ou moins tacite et désintéressé des autorités locales. Avec, depuis les années 80, une constante de taille : le payeur ne réclame aucune contrepartie.

« Alors que les Occidentaux conditionnent souvent leur soutien financier des exigences éthiques, à des engagements en matière de démocratie, de respect des minorités, etc., les Chinois, eux, s’en fichent totalement, pointe Marc Tabani. Leur approche, en gros, c’est “dites-nous ce que vous voulez, on vous dira ce que l’on vous donne”. Point barre. C’est une aide au développement qui se fait sans aucun dialogue interculturel. »

L'Indo-Pacifique, une zone stratégique

Question : qu’est-ce qui se cache alors derrière la générosité sans limite de la République populaire ? Même si l’archipel est inondé de produits manufacturés chinois, « ce n’est évidemment pas l’attractivité du marché intérieur du Vanuatu qui peut justifier de telles dépenses », observe Philippe Aguignier, spécialiste de la Chine, enseignant à l’Inalco et à Sciences Po. Le pays n’abrite pas non plus des ressources naturelles exceptionnelles, susceptibles d’exciter la convoitise de Pékin. L’explication est donc plutôt stratégique, dans une région indo-pacifique qui fait l’objet d’une lutte d’influence féroce entre Occidentaux – Australie et États-Unis en tête – et Chine.

« Quand on regarde une carte, reprend Philippe Aguignier, on voit bien que la Chine est bordée par une première ligne qui comprend notamment Taïwan et les Philippines. Son horizon est un peu bouché. C’est la raison pour laquelle elle cherche à pousser ses pions et à avoir des relais dans le Pacifique Sud. » Dans cette optique, « tous les micro-États du secteur prennent une importance particulière. Ils peuvent servir de points de ravitaillement pour la marine, ou même accueillir une base militaire. »

Ce palier n’a pas (encore ?) été franchi au Vanuatu. « À ce stade, seul un quai d’amarrage très grande taille, en capacité d’accueillir un porte-avions chinois, a été construit sur l’une des îles », précise Marc Tabani. Autre facteur de poids : chaque micro-État de la zone (îles Salomon, Fidji, Tonga, Nauru…) compte pour une voix à l’ONU, au même titre que les grandes puissances.

« Avec ces investissements, la Chine s’assure de leur loyauté aux Nations Unies, relève Philippe Aguignier. C’est un argument non négligeable, notamment lors des votes concernant Taïwan, un sujet absolument central pour Pékin. »

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