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Eloi : “J’ai grandi avec des parents qui m’ont dit : ‘si le FN passe, il faut partir’”

Comment as-tu réagi aux résultats du premier tour ? 

Ils sont tombés trente minutes avant que je ne monte sur scène pour la Pride. C’était un contexte très particulier pour tout le monde. J’ai tout de suite dit au public que je me sentais dans un état étrange, comme dissociée. Pour nous défouler, nous avons fait des slogans en chansons. Au milieu d’un riff de métal d’un morceau, nous avons chanté ensemble “la jeunesse emmerde le front national” pendant plus de cinq minutes. C’était un beau moment au milieu de l’angoisse. 

Tu as aujourd’hui 26 ans, à quand remonte ton engagement politique ? 

Il a commencé dans mon milieu familial. J’ai grandi dans une famille de gauche. Mon père est métis, mes parents sont dans le milieu de la culture, ma grand-mère était prof… bref un environnement traditionnellement de gauche. J’ai commencé à m’approprier cet héritage en arrivant en école d’art, en trainant dans des squats et surtout à partir du moment où j’ai fait mon coming out. Mon identité m’a naturellement dirigée vers le militantisme.

Quand as-tu voté pour la première fois ? 

J’ai voté Macron en 2017, à 19 ans. Je crois que j’étais séduite par sa jeunesse, sa façon de communiquer sur les réseaux sociaux et j’étais aussi influencée par mes parents. Mais je ne réalisais pas à quel point il était du côté du libéralisme et des puissants. Assez vite, j’ai capté qu’en fait mes idées étaient plus proches de LFI. Même si j’ai vraiment du mal avec Jean-Luc Mélenchon et avec les partis politiques de façon générale. Mais dans le contexte actuel, je suis vraiment du côté de l’unité. Pour moi Mélenchon représente une idée assez ancienne et paternaliste de la politique. 

Quelles sont les personnalités politiques qui t’intéressent ? 

François Ruffin et surtout Marine Tondelier. J’aurais vraiment aimé qu’elle fasse le débat contre Jordan Bardella. J’aime sa façon de s’exprimer et ce qu’elle incarne. 

À quel point les réflexions sur la politique occupent-elles ton esprit en ce moment ? 

On parle énormément de ça avec mes ami·es. Je crois que la situation politique n’a jamais occupé autant mes pensées que cette année, parce qu’il ne faut pas oublier la situation internationale non plus. Mais si on s’en tient au contexte français, je suis d’autant plus concernée parce que je suis une femme queer, racisée, intermittente, musicienne… je n’ai pas le choix d’être militante aujourd’hui, parce que je suis clairement en danger, comme plein d’autres personnes. Nous n’avons pas le choix. 

Est-ce que tu as réfléchi à une façon de mobiliser ta communauté via tes réseaux ou tes performances scéniques? 

Oui, je préfère le contact direct avec les gens quand même. Quand tu es face à 2000 personnes, c’est un peu le moment de dire quelque chose, il faut en profiter. En plus, en festival, il n’y a pas que ton public, mais aussi des gens issus de milieux super divers, donc c’est un endroit particulièrement important. Je suis convaincue que dans certains festivals où je joue, il y des gens qui votent RN. On ne s’en rend pas forcément compte en vivant dans nos milieux de gauche à Paris. Mais durant mon enfance et mon adolescence, j’ai fait plein d’écoles différentes, notamment en Picardie, à Compiègne ou à Paris dans le XVIe, là c’était assez hardcore, j’ai été en contact avec certains milieux vraiment racistes et homophobes. 

Et sur les réseaux sociaux? 

Quand j’ai fait un post de soutien au Nouveau Front populaire, j’ai eu en réponse des gif de Jordan Bardella. Mais de façon générale, les gens qui me suivent partagent mes valeurs politiques et je fais attention à ne pas trop m’exposer. 

Récemment, Bilal Hassani a reçu des menaces de mort, a dû annuler un concert, tandis que le clip qu’il a fait avec Alexis Langlois avait déclenché une campagne de harcèlement en ligne. Tu as toi aussi tourné un clip avec iel récemment, dans lequel tu embrasses ta copine. Est-ce que tu t’es sentie la cible de l’extrême droite? 

On n’a pas du tout le même degré de popularité avec Bilal, ni le même public ou la même façon de communiquer. Et je pense aussi que les lesbiennes sont moins la cible des fachos. Tandis que les gays touchent à leur vision de la masculinité. 

Dans quel état d’esprit es-tu à la veille du second tour? 

Il ne faut pas se laisser abattre. Quand j’en parlais avec mon frère, nous avons évoqué le fait de quitter le pays. C’est des questions qu’on se pose. Mais déjà, il faut avoir conscience que la possibilité de partir fait de nous des privilégié·es. Les gens qui seront le plus en danger n’auront pas cette possibilité. J’ai grandi avec des parents qui m’ont dit : “Si le FN passe, il faut partir.” J’ai ça dans la tête depuis toute petite. Mais je vais continuer de faire ce que j’aime, d’aimer des gens autour de moi, de défendre nos droits et de ne rien lâcher. J’ai de l’espoir. 

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