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Cadres, juges et... même ministre : au Kazakhstan, l’âge d’or des voyantes

Cadres, juges et... même ministre : au Kazakhstan, l’âge d’or des voyantes

Tous les matins, elles se retrouvent sur les bancs de l’allée Pouchkine, à Almaty, pour lire l'avenir des passants. Sous les arbres de cette rue passante, Aïna, la soixantaine passée, pratique la divination "depuis plus de 36 ans", dit-elle, assise face au Bazar vert, le plus grand marché de la capitale économique du Kazakhstan. En remuant des pierres de médiums sur une plaque en plastique, elle répond à toutes les questions qu'on lui pose : amour, argent, santé… Tarif d’une consultation : quelques milliers de tenge, la monnaie nationale (entre 4 et 10 euros). Un prix largement abordable par rapport à certains devins, qui demandent une centaine d’euros pour leurs services.

Car une clientèle aisée, voire très riche, s’adresse de plus en plus à des diseuses de bonnes aventures. Tarologues, astrologues, liseuses d’avenir dans le marc du café… "Au Kazakhstan, ce ne sont plus seulement les classes populaires qui sont leurs clients, mais aussi des femmes et des hommes éduqués et d’influence", confirme Dinara Jangjekova, sociologue à l’Association d’études politiques, à Almaty.

Les confidentes de l'élite

Même des hommes d'Etat en consulteraient, selon certains témoignages. Responsable d’un magasin de produits ésotériques dans un quartier branché d’Almaty, elle-même voyante et tarologue, Diana Bayalan le confirme. "Cadres, juges, avocats et patrons font régulièrement appel à des voyantes, témoigne-t-elle dans sa boutique. Mais jamais ils ne l’avoueraient publiquement."

En avril dernier, l’un d’entre eux a pourtant été identifié : l’ex-ministre de l’Economie, Kuandyk Bichimbaïev, tristement célèbre pour avoir tué son épouse. Lors d’un procès historique diffusé en direct sur Internet, le monde entier a découvert qu’avant d’appeler les secours pour sa femme, l’ancien ministre avait contacté… sa voyante. Celle-ci, originaire de Chymkent, dans le sud du pays, conseillait l’ancien ministre depuis plusieurs années sur des questions d'investissements, en échange de quelques centaines d’euros.

Phénomène TikTok

Au point de devenir son éminence grise ? Difficile à dire. Une chose est sûre, la profession de voyante connaît un réel essor, notamment sur les réseaux sociaux. Sur TikTok et Instagram, les diseuses de bonnes aventures qui offrent leurs services en ligne ou par téléphone, constituent une tendance lourde, qui se traduit de façon sonnante et trébuchante. Dans les librairies, les guides pour devins sont en tête de gondole et dans des boutiques, amulettes et talismans s’achètent à prix d’or. Certains bars d'Almaty proposent même des consultations avec des voyantes tout en sirotant un cocktail !

Président de l’Association des guérisseurs traditionnels du Kazakhstan, Zyadan Kazhy Kojalymov voit d’un mauvais œil cet afflux soudain. "Elles nuisent à notre profession, qui est censée se transmettre par les ancêtres !", s’emporte-t-il dans son bureau aux murs couverts de diplômes. Fondée en 1991 et reconnue par le ministère de la Santé kazakh en 2004, cette association rassemble une communauté de 7 000 membres, tous adeptes de médecine alternative. Pour Kojalymov, l’important est de préserver la continuité l’œuvre d’un certain Oteyboydak Tleukabyluly, scientifique kazakh du XVe siècle connu pour ses dons de guérison.

Retour aux traditions

Car le retour aux traditions ancestrales du peuple kazakh est central dans la popularité soudaine des voyantes et plus largement, des pratiques ésotériques, explique Dinara Jangjekova. "Depuis l’effondrement de l’URSS, et tous les bouleversements qui ont suivi, les gens ont envie d’avoir des réponses concrètes sur leur destin, explique-t-elle. Il y a aussi un besoin de retour aux racines, celles de l’époque préislamique et des tribus nomades turco-mongoles."

Aujourd’hui pays à majorité musulmane, le Kazakhstan a été, durant l’Antiquité, traversé par des croyances polythéistes, qui ont donné naissance au courant tengri, soit la vénération de la nature, de l'eau et du ciel. "Aujourd’hui la jeune génération souhaite de plus en plus ce retour aux sources, témoigne la voyante Diana Bayalan. Je le vois à l’âge très jeune de mes clients et, dans les rues, aux tatouages d'ornements tengri." Entre musulmans et partisans du tengrisme, des débats éclatent parfois - d'autant que l’islam interdit strictement les chamanes et diseuses de bonnes aventures. Sans aller toutefois jusqu'au conflit religieux : à Almaty, les voyantes de l’allée Pouchkine travaillent à deux pas de la mosquée centrale de la ville.

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