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« La gauche a gagné deux duels sur trois face au RN et le parti présidentiel trois sur quatre », renseigne le politologue Gaël Sliman

Le front républicain, que l’on disait enterré, est revenu du diable Vauvert pour renverser la table, emportant tous les pronostics sur son passage. Le « tout sauf l’extrême droite » a soufflé si puissamment sur ce deuxième tour des législatives (67,5% de participation) qu’il a relégué le Rassemblement national à une troisième place (142 députés) impensable au soir du premier tour. Et le barrage a propulsé le Nouveau Front populaire en tête (179 députés) devant Ensemble, le parti présidentiel (164 députés).

Consignes suivies à la lettre

Ce scénario inouï, les sondages, pourtant très clairvoyants jusque-là, ne l’ont pas vu venir. « En fait, on a assisté à deux élections. Cela arrive parfois au niveau local. Mais on n’a jamais observé un tel phénomène à ce point-là au niveau national, explique Gaël Sliman, président d’Odoxa. Pour faire simple, le soir du premier tour, on a retrouvé les résultats attendus avec une majorité relative ou absolue pour le RN. Et c’est précisément cette perspective de le voir l’emporter qui a produit, sur les 300 triangulaires, 200 désistements républicains, là où le parti de Jordan Bardella était en tête et le plus menaçant. Le résultat projeté était donc déjà rendu caduque avec une cinquantaine ou une soixantaine de députés perdus. »

«L'exemple est venu d'en haut »

L’efficacité de cette dynamique, qui a fait fondre les triangulaires au profit de duels, se lit en deux chiffres : sur les duels RN-Renaissance, le parti présidentiel en a gagné trois sur quatre, et quand la gauche était face au RN, le Nouveau Front populaire en a remporté deux sur trois, renseigne le sondeur. Cela signifie que les électeurs ont remarquablement suivi les consignes alors qu’ils soutenaient mordicus, depuis des années, qu’ils ne voulaient plus du front républicain. Pourquoi ? « Parce que l’exemple est venu d’en haut. Ce sont les candidats à la députation qui se sont sacrifiés. C’est très différent que de laisser les électeurs faire cet effort par eux-mêmes ou spontanément. »

La gauche appelant à voter pour Élisabeth Borne alors qu’elle n’a cessé de la combattre lors de la réforme des retraites, l’appel à se désister du candidat présidentiel en faveur de François Ruffin (LFI), le vote d’Édouard Philippe pour le candidat communiste ont pu aussi marquer les esprits.

« Brebis galeuses »

Mais un autre élément est venu précipiter les ambitions de Jordan Bardella et Marine Le Pen : une fin de campagne où « les brebis galeuses » sont remontées à la surface. « Les enquêtes de milieu de semaine montraient un énorme reflux du RN. Mais la dégringolade s’est encore accentuée avec le spectacle affligeant donné par le Rassemblement national, confirme Gaël Sliman. On a bien compris que les fameuses brebis galeuses, qui ont tenu des propos racistes ou antisémites, n’étaient pas quatre ou cinq mais jusqu’à quatre-vingt selon les décomptes des médias. Et puis il y a aussi toutes ces vidéos qui ont circulé sur les réseaux sociaux ou à la télévision où on a vu, en régions, des candidats RN complètement à côté de la plaque, qui ânonnaient, qui étaient incapables de réciter convenablement leurs éléments de programme, bref, qui n’avaient objectivement pas le niveau de pouvoir postuler à un poste de député. Là, ce sont des dizaines et des dizaines d’images qui ont été désastreuses pour le RN car elles ont mis en lumière son impréparation. »

« Grande incertitude »

La gauche est devant. Mais ce sont surtout trois forces politiques qui se sont installées. « Pour le moment, il n’y a aucune majorité réelle, aucune capacité de créer un gouvernement qui ne sautera pas à la première motion de censure », note le politologue.  Une donnée retient l’attention de Gaël Sliman : « Entre les deux tours, si on réunissait le RN et LFI, on était à environ 300 et là on se trouve avec au moins 300 députés en dehors du RN et des Insoumis. En théorie, l’idée d’un arc républicain devient possible. Une deuxième possibilité serait de tenir sur des majorités de projet. Tout cela est très laborieux, on va avancer en marchant. On peut vivre une IVe République dans une Ve République. Ou bien connaître un gouvernement de coalition, comme en Allemagne. Mais notre Ve République n’est pas faite pour ça. Cela ouvre une grande période d’incertitude. » 

Nathalie Van Praagh

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