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Un été littérature – 1) Grands classiques de la littérature

Un peu de littérature classique pour commencer, autour de quelques œuvres particulièrement connues… Par Johan Rivalland

Après Stefan Zweig, dont nous vous avons fait découvrir les nouvelles et romans en juillet-août 2017, à travers une série en 20 volets, puis Jirô Taniguchi, dont vous avez pu découvrir l’œuvre atypique en août 2019, à partir de la présentation de 18 de ses créations, la rédaction de Contrepoints m’a proposé de profiter une nouvelle fois de l’arrivée de l’été pour lancer une nouvelle série lecture.

J’ai choisi de retenir une série thématique, articulée autour de la présentation de trois ou quatre œuvres en moyenne à chaque fois, sans ordre particulier et de manière purement ponctuelle. L’occasion de découvrir quelques auteurs, et surtout peut-être de donner envie de lire ou, en tous les cas, susciter de nouvelles idées de lecture.

 

La Peste, d’Albert Camus

Je l’ai relu au début de l’été 2020, peu après le premier confinement lié à l’apparition du covid. L’occasion de mieux ressentir la portée du roman, à travers cette plongée dans l’épidémie vue de l’intérieur.

Tout y est : les premiers signes, au départ inconnus, de ce qui va se révéler être une épidémie ; l’étonnement qui laisse place à la stupéfaction ; les premiers doutes : serait-ce une épidémie de… peste ? Puis les discussions au sein des autorités sanitaires pour déterminer si c’est bien là ce à quoi certains pensent, et s’il convient ou non de prendre rapidement des décisions administratives fortes (la fermeture de la ville, en premier lieu).

Les hésitations laissent place aux décisions. Mais on part encore dans l’inconnu, même si la maladie ne l’est pas tout à fait. Il convient aussi de se lancer au plus vite dans la recherche d’un sérum.

Les questions pratiques se posent de surcroît : comment gérer les pénuries ? Comment organiser un isolement des malades et une mise en quarantaine de leurs proches ? Et un peu plus tard, comment résoudre le problème de l’amoncellement de cadavres, ainsi que la gestion de leur dépouille ?

Mais il y a aussi tout le reste : le comptage des cas, l’élaboration et la communication des statistiques, le rôle de la presse, la réaction des habitants, ceux qui cherchent des passe-droits. Sans oublier l’approvisionnement de la ville.

Bref, tout y est : on retrouve les différentes phases de ce qu’implique une épidémie, la surprise, l’impréparation, les désaccords, devant laisser place à l’harmonisation, la place de l’improvisation et des décisions à prendre en urgence, l’impuissance de la médecine, le rôle de la communication, les comportements de la population.

Et c’est sur ce dernier point qu’Albert Camus insiste. Il s’intéresse à la psychologie de ses personnages, à l’état d’esprit de la population, aux différentes phases dans l’état moral des uns et des autres, aux singularités, à la place de la religion, aux interprétations mystiques, mais aussi à ce qui rapproche les être humains face à la situation de détresse collective.

Beaucoup ont lu ou relu ce célèbre roman à la lueur de l’épisode de la Covid-19, et y ont certainement trouvé de très nombreuses analogies. Elles sont en effet frappantes lorsqu’on observe le déroulement des différentes phases de cette épidémie.

En revanche, il ne s’agit ni de la même époque ni d’une épidémie de la même ampleur ou sévérité.

Oran en 1940, confinée, n’est pas la même chose qu’une pandémie mondiale, à l’ère de la société d’information et de communication, où l’on n’est ni véritablement entièrement coupé des êtres qui vous sont chers ni tributaires d’une information détachée du reste du monde.

L’une de mes tantes m’avait brièvement conté un épisode similaire où elle fut confinée, étant jeune, dans une petite ville coupée du reste du monde, où chaque jour apportait son lot de morts et de nouveaux malades, dus à une épidémie de peste. Voilà qui a ici, pour moi, une certaine résonance et un parfum d’authentique. Et il n’est pas nécessaire d’avoir attendu l’épisode de la covid pour en convaincre : notre humanité demeure fragile. Quel que soit le sentiment d’invincibilité que nous croyions pourtant pouvoir éprouver.

Albert Camus, par sa présentation très philosophique de l’événement et les questions qu’elle suscite, pose ainsi les jalons d’une réflexion de fond inhérente à notre condition, quels que soient l’époque et le lieu.

— Albert Camus, La peste, Folio, 288 pages.

 

Jane Eyre, de Charlotte Brontë

Fabuleux roman, qui m’a tenu captif chaque soir pendant quelques semaines (le livre compte tout de même 833 pages dans cette version Poche). Le premier que je lis de l’une des soeurs Brontë, après avoir failli pencher pour Les Hauts de Hurle-Vent d’Emily Brontë, que je remets à plus tard.

C’est une autre Charlotte qui m’a d’abord captivé : l’auteur de la préface, Charlotte Maurat, dont la plume et la composition sont délicieuses. La naissance de l’œuvre, son analyse très fine dans le contexte de vie des sœurs Brontë, font de cette préface un joyau de lecture.

Puis le roman commence. Les 80 premières pages environ sont passionnantes, à ne pas pouvoir se séparer de sa lecture. Plusieurs temps se succèdent ensuite, fondant une véritable épopée qui entraîne le lecteur dans une véritable évasion et une autre époque.

Raymond Las Vergnas conclut le recueil par des commentaires critiques particulièrement vifs et stimulants, synthétisant à la fois ses propres impressions tout en croisant les grandes critiques qui ont été faites en différentes époques de ce roman. Une manière de sceller la lecture par la mise en perspective des impressions fugaces qui ont pu être les nôtres lors de la lecture sans qu’on les ressente de manière forcément pleinement consciente.

— Charlotte Brontë, Jane Eyre, Le livre de poche, 833 pages.

 

Vipère au poing, d’Hervé Bazin

Il s’agit là d’un roman autobiographique d’une très grande force.

Enfant, j’ai apprécié l’adaptation cinématographique de ce monument de la littérature française qu’est Vipère au poing, avec une Alice Sapritch dans le rôle de Folcoche qui a marqué des générations.

Mais je ne crois pas avoir lu le roman d’Herbé Bazin. Ou peut-être en avais-je à peine commencé la lecture, je ne sais plus.

Toujours est-il qu’il ne faut pas se laisser décourager par les quelques premières pages qui, comme c’était assez souvent le cas dans les romans de l’époque (il a été édité en 1948), commence par planter le décor et présenter les personnages dans des descriptions qui peuvent paraître un peu longues.

Car une fois ces quelques pages passées, on se laisse entraîner aisément par la lecture, au point de ne pas lâcher le livre.

L’écriture est alerte, d’un style soutenu et plaisant. Grâce à la plume acerbe, cynique, écorchée vive, de l’auteur, on ressent au plus profond de son âme les sentiments brisés, les traumatismes de l’enfance volée, qui laissent place à la haine et à la révolte profonde qui s’emparent du jeune Brasse-Bouillon (Jean). Sentiments qui sont décrits de manière poignante à travers ce réquisitoire sans fard à l’encontre de cette mère tyrannique et machiavélique, qui voue une véritable haine à ses enfants et n’est jamais à court d’idées pour les martyriser, terrorisant et paralysant tous les membres de son entourage, sur lesquels elle exerce une influence inouïe.

Il ne s’agit pas seulement d’un simple classique. C’est surtout un grand roman, incarné, d’une puissance exceptionnelle. Dont je ne puis que conseiller la lecture. Pénétrante, absolument marquante.

— Hervé Bazin, Vipère au poing, Le livre de poche, 240 pages.

 

Le Père Goriot, d’Honoré de Balzac

Bien que cette lecture m’ait été imposée en classe au collège ou au lycée, à une époque où j’avais la fâcheuse tendance à rejeter ce qui m’était imposé, et à ne pas vraiment lire ce qui devait pourtant ensuite être étudié en classe, ce roman est parvenu à faire exception. Sans doute l’obligation n’était-elle, cette fois, pas aussi forte. Mais ce sont certainement surtout la force du roman et sa profondeur qui m’ont conduit à l’époque à le dévorer résolument.

L’histoire horrible d’un père qui a tout fait pour ses filles, qui ne le lui rendent pas, puisqu’elles se conduisent à l’inverse comme deux filles gâtées et parfaitement ingrates, qui vont le mener tout droit jusqu’à la mort, si je me rappelle bien.

Ce dont je me souviens en tous les cas, c’est de l’impression forte que j’en garde et de l’envie que j’aurais de le relire dès que possible. Un roman magnifique et qui se lit à ne pouvoir lâcher le livre.

— Honoré de Balzac, Le Père Goriot, Le livre de poche, 445 pages.

 

Candide, de Voltaire

Pauvre Candide ! Chassé du château dans lequel il menait une vie paisible et à l’abri de tous les maux extérieurs, qu’il ignorait largement, ce dont on ne peut lui en vouloir, il va être plongé aussitôt dans un véritable abîme de violence et de cruauté.

Dans une succession de circonstances invraisemblables, alternant chance et malchance, il va se laisser transporter et secouer par les événements de la vie. Au cours de son périple à travers la planète, il ne va découvrir que champs de ruines, guerres absurdes, maladies et catastrophes naturelles. Peu de repos pour lui, comme pour le lecteur, dans une fable enlevée et au rythme trépidant, où l’on se régale des multiples métaphores, antiphrases et autres figures de rhétorique que l’auteur manie à la perfection.

Derrière l’histoire, un véritable pamphlet en faveur des libertés, de la condamnation de l’esclavage et de la manière dont les droits les plus élémentaires des êtres humains en général sont trop souvent bafoués ; une profonde satire de la société, ses dérives autoritaires voire totalitaires, la prégnance infondée de certains ordres au mépris d’autres qui leur sont dévoués et de la terrifiante cruauté humaine.

Voltaire use à merveille de l’ironie pour dénoncer les nombreuses tragédies qui se profilent derrière l’intolérance et le fanatisme, ou plus simplement encore le règne de la superficialité et des apparences (voir, au passage, un intéressant portrait de quelques mentalités bien françaises, que dépeint l’auteur avec une certaine justesse empreinte de sens de la parodie), qui mène à une conception par trop matérialiste de la société, où l’avidité engendre trop souvent la corruption, avec en exergue un véritable questionnement sur le bonheur.

Une satire de l’époque, où la recherche de l’Eldorado se mêle à l’irrationnel et les illusions sur les promesses du Nouveau Monde. Avec en arrière-plan, une magnifique attaque en règle contre l’optimisme excessif de certains philosophes de l’époque et les dérives utopistes auxquelles elles peuvent mener.

Un ouvrage très souvent recommandé pour les lycéens, mais que je ne regrette pas d’avoir lu sur le tard (si l’on peut dire…), tant le recul dont on peut disposer par rapport à une certaine connaissance du monde peut se révéler utile pour d’autant mieux apprécier la portée de l’ouvrage. Il n’est donc pas trop tard, si vous avez passé le cap des études, pour découvrir cette intéressante œuvre pleine de révolte et d’esprit critique.

Un grand classique à apprécier avec du recul.

— Voltaire, Candide ou l’Optimisme, Folio, 272 pages.

 

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À lire aussi, nos autres séries d’été :

Et si on (re)lisait Stefan Zweig cet été ? Dernier épisode !

Jirô Taniguchi, esquisse d’une œuvre poétique et atypique (1) : Quartier lointain

 

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