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“Here” : Bas Devos ou l’art de sublimer les trivialités du quotidien

Une biologiste inspecte à l’aide d’un microscope des cellules végétales issues de mousses de forêt, des petites plantes très anciennes qui sont comme les mémoires vivantes du monde, apprend-on. Sur l’image, des formes vertes ondulantes crépitent, tantôt abstraites, tantôt dans un plan aérien ressemblant à un champ de verdure. Tout cohabite dans Here dans une parfaite harmonie : l’immensément grand et l’immensément petit, la nature et le paysage urbain, l’abstraction et le caractère concret des éléments, le fort et le fragile, les langues et les gens, le visible et l’invisible.

Pour son quatrième long métrage, Bas Devos, cinéaste belge maître dans l’art de sublimer les trivialités quotidiennes, filme la rencontre progressive de deux solitudes à Bruxelles : d’un côté, un ouvrier roumain sur le départ, qui prépare ses vacances en vidant son frigo ; de l’autre, une chercheuse scientifique d’origine chinoise. Vider son frigo, préparer une soupe, s’accroupir dans la rue ou dans la forêt pour saisir et observer une plante, ces gestes deviennent chez Devos précis et chargés d’une puissance d’incarnation particulière, des actes poétiques et politiques en soi.

L’action qui consiste à se baisser pour regarder ce qui se trouve, fragile, à nos pieds, rappelle l’entreprise d’Agnès Varda dans Les Glaneurs et la Glaneuse, où la cinéaste explorait cette cueillette ancestrale qui permet aujourd’hui de sauver fruits et légumes hors calibre, destinés aux poubelles, et par là même d’accéder aussi à une autre lecture du monde. Devos pousse encore plus loin cette idée puisqu’à mesure que son film s’épaissit de matières, de sons et de sensations, le sens des choses se dissipe, le signifié reste mais le signifiant se vide progressivement de sa substance, en écho au rêve que raconte la jeune femme dans lequel elle se retrouve incapable de nommer les objets familiers qui l’entourent.

Here converge ainsi vers un autre langage, celui d’un cinéma du care, du soin envers les manifestations les plus discrètes, de l’ici et du maintenant, fixé sur le retour primitif et sensoriel de tout ce qui compose un être, un paysage. La charge politique du film réside bien dans la manière dont il expose un vivre-ensemble qui n’a rien d’un fantasme, et n’a jamais paru aussi limpide et serein. L’inverse d’une utopie.

Here de Bas Devos, avec Liyo Gong, Stefan Gota, Teodor Corban (Bel., 2023, 1 h 22). En salle le 10 juillet.

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