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"On a eu de la chance, mais la prochaine fois d’autres pourraient ne pas s’en sortir" : Camille, 16 ans, raconte comment 21 jeunes Creusois ont été évacués d'un bus en feu

Lundi 17 juin, un car transportant 21 jeunes Creusois part du lycée agricole d’Ahun pour un séjour organisé dans le cadre du Service national universel (SNU). Mais il prend feu avant d’arriver à destination. Grâce à l’un des adolescents qui a donné l’alerte, le car a pu être évacué sans qu’il y ait de victimes.

L’une des adolescentes présente dans le car, Camille, 16 ans, témoigne des événements. À la question pourquoi vouloir revenir sur ce qui s’est passé puisqu’aucune victime n’est à déplorer, la jeune fille répond sans hésitation :

J’ai voulu témoigner parce que j’estime que ce serait terrible qu’un accident comme ça se reproduise avec d’autres jeunes, surtout en étant le témoin des réactions de ceux qui étaient avec moi dans le bus, de ceux qui ont été traumatisés même s’ils n’osent pas le dire… On a eu de la chance, mais la prochaine fois d’autres pourraient ne pas s’en sortir.

En présence de son père, Laurent, elle nous raconte le déroulé de la journée. « On devait partir à 10 heures d’Ahun. Ils avaient hésité sur le lieu, c’était d’abord Felletin, puis sur l’heure de départ. Ils nous avaient finalement dit de nous rassembler devant le lycée agricole d’Ahun, à 9 h 30. On a attendu jusqu’à 10 heures, rien. Puis le bus est arrivé à 10 h 30. Une fois montés dans le car, la première chose que l’une des deux responsables du SNU à bord nous a dit c’est : "Désolés pour le retard, on est passé chez le garagiste, il y a eu un problème de turbo". On n’a pas eu de réaction sur le coup, on s’est dit il y a eu un problème de turbo mais c’est réglé. On est jeune, on était content de partir, on fait confiance aux responsables. »

« On fait confiance à ceux qui nous encadrent »

L’adolescente poursuit : « A peine partis, on s’est vite rendu compte qu’il ne marchait pas bien ce bus, il n’avançait pas, les sièges c’était n’importe quoi et on avait l’impression que la chauffeuse ne passait pas les vitesses. En voyant qu’il ne marchait pas bien, on s’est dit, c’est quand même bizarre, il n’avance pas, il tremble de partout, il y a une odeur bizarre… On sentait une odeur comme goudronnée ou chimique, c’était désagréable mais on s’est dit, bon, ça va, c’est juste qu’il ne marche pas bien. Encore une fois, on fait confiance à ceux qui nous encadrent. À la pause de midi, on s’est arrêté manger. Des copains sont venus me dire que les deux responsables du SNU et la chauffeuse étaient en train d’inspecter sous le bus et qu’ils avaient une tête étrange, du style il y a un problème, un truc qui ne va pas. Moi, à ce moment-là, j’avoue que je n’ai pas fait pas trop attention, je m’en fichais un peu, je leur faisais confiance. »

Un bus s'embrase avec 21 jeunes Creusois à son bord dans la Vienne (18/6/2024)

« À la fin de la pause, on est reparti. Cette fois, ils ne nous ont rien dit. On devait avoir fait 1 h 30 de route, il nous restait à peu près une heure de trajet. On était en pleine discussion, j’étais à l’arrière du bus avec d’autres copains. Il y avait une trappe au sol devant nous. Tout à coup, on a senti une odeur, plus forte que celle sentie avant. On s’est regardés, étonnés, et on n’a même pas eu le temps de parler qu’on a vu de la fumée sortir de la trappe devant nous. »

Un de mes copains s’est alors mis à crier : "fumée, fumée !". Ça s’est passé en une fraction de seconde.

« En entendant crier "fumée", la chauffeuse s’est aussitôt arrêtée sur le bord de la route. La responsable du SNU nous a demandé de descendre. La fumée se propageait dans le bus. Seulement, il y en a qui prenaient leur temps, chacun voulait récupérer ses affaires, d’autres somnolaient ou s’étaient endormis, ils ne réalisaient pas. Quant à ceux qui étaient devant, ils ne savaient pas ce qui se passait à l’arrière, ils ne voyaient pas et prenaient encore plus leur temps… Même si ça ne dure que quelques secondes, c’est long. Nous, derrière, on attendait que les autres passent. »

Au sol, entre les sièges, on aperçoit la trappe par laquelle la fumée a envahi l'intérieur du bus (photo fournie). 

« La responsable a redemandé à tout le monde de descendre et de se dépêcher de sortir, en laissant leurs affaires. Évidemment, on est jeune, on a envie de garder nos affaires, on n’écoute pas. Il y avait nos papiers d’identité, cartes vitales, nos téléphones… Tout le monde voulait les récupérer. La fumée s’est propagée tellement vite qu’à l’arrière on a commencé à l'inhale, en particulier un copain. Moi j’en ai inhalé un peu, quand je suis sortie du bus j’avais un peu de mal à respirer mais c’est vite passé. Une fois dehors, l’autre animateur a voulu aller chercher les valises. On était tous en train de paniquer et de se dire que nos valises étaient en plus restées dedans, on ne voulait pas les laisser. Le responsable a couru vers le bus et est arrivé à en sauver deux, seulement il s’est brûlé le bras et a dû arrêter, pour revenir vers nous. »

C’était trop tard, les flammes commençaient à jaillir.

« La première responsable, qui nous avait dit de nous tenir à distance du bus, en voyant les flammes, nous a demandé de reculer encore. Tous les jeunes étaient en train de téléphoner à leurs parents pour leur raconter ce qui se passait. La responsable était très directive, elle nous disait de rester sur le bas-côté et de nous éloigner le plus possible du bus. Puis il a commencé à y avoir des explosions, sûrement ce qu’il y avait dans les valises, les aérosols, les vitres et les pneus aussi ont explosé. La plupart des jeunes pleuraient… Certains parents à qui ils parlaient au téléphone pensaient déjà à venir chercher leurs enfants… On a attendu comme ça l’arrivée des secours, qui ont été appelés par la responsable. Ils ont mis environ 30 minutes à arriver parce qu’ils ne savaient pas où on était. Une fois arrivés, on a attendu au moins une heure, 1 h 30 sur la route. On ne savait pas vraiment ce qu’on attendait. Il y avait un copain, celui qui avait inhalé le plus de fumée, qui était monté dans le camion des pompiers, d’autres étaient encore au téléphone avec leurs parents. La responsable, qui semblait un peu paniquée restait très directive. Elle nous a demandé de rester où on était, sur le bas-côté, qu’elle s’occupait de parler aux gendarmes. Elle avait été elle-même pompier donc elle savait faire. Comme on était mineurs, les gendarmes n’avaient pas le droit de nous poser des questions. La chauffeuse semblait soucieuse. Quand les secours sont arrivés sur place, elle a été escortée, par des gendarmes je crois. Enfin, on a fini par être emmené au centre du SNU pour continuer notre séjour à bord d’un minibus. On n’avait plus d’affaires mais le SNU fournit des uniformes et nous a donné ce qu’il fallait dans un premier temps. Un peu plus tard, ils ont organisé un point de rassemblement en Creuse où les parents ont emmené des affaires afin qu’elles nous soient envoyées. »

Certains jeunes étaient encore très choqués, notamment une de mes amies. Je l’ai trouvée à l’infirmerie au centre, l’ai vue pleurer et lui ai demandé ce qui n’allait pas. Elle m’a dit qu’elle n’arrivait plus à dormir et que ça allait lui gâcher son séjour. Elle faisait des cauchemars et pleurait tout le temps.

« Finalement, poursuit Camille, elle est repartie au bout de 3-4 jours. Je pense qu’il y en a d’autres qui ont été moralement touchés, mais il y a juste un petit truc de fierté qui leur fait dire que non, je ne vais pas l’avouer… ».

Une première plainte au commissariat de Guéret

Le père de la jeune fille qui est rentrée plus tôt a été le premier à déposer une plainte auprès de la Police nationale de Guéret, chargée par la Gendarmerie de Rouillé, responsable de l’enquête, de recevoir les familles. Selon certains parents, ils seraient six aujourd’hui à avoir porté plainte, deux autres des camarades de Camille se disent prêts à le faire également (*). 

Sur une vidéo que nous montre Camille, on voit la détresse des jeunes, qui pleurent et paniquent, qui racontent affolés à leurs parents la situation, les visages sont contractés et une jeune fille crie que c’est grave : « Non, dit-elle à ses parents au téléphone, on est tous sortis, mais il y a toutes nos valises ! Depuis le début ils savaient ce qui se passait avec le bus, et ils nous ont quand même fait monter dedans ! »

Laurent, encore sous le choc, confie :

Il faut se mettre à la place des parents, qui reçoivent des appels de leurs enfants en pleurs, qui ne savent pas ce qu’ils doivent faire ou penser sur le coup.

Il poursuit : « J’étais à l’étranger, c’est ma compagne qui m’a envoyé un message pour me dire que notre fille allait bien, que le bus avait cramé, et qu’ils attendaient des consignes pour savoir quoi faire. Imaginez le choc ! J’ai à peine vu qu’elle allait bien, seulement que le bus avait brûlé. L’annonce du problème a été faite dès le départ aux adolescents, une fois montés dans le bus, et non devant les parents présents, qui auraient été plus à même de s’inquiéter. Il y a quand même des responsables du centre qui nous ont contactés pour nous dire que nos enfants allaient être conduits au centre. Des infirmières nous ont rappelés dans l’après-midi pour nous dire que tout allait bien. Mais comment en être sûrs ? »

Un "regrettable incident"

Le séjour terminé, les Creusois prennent le chemin du retour. Au centre, précise Laurent, « il y avait des adolescents de plusieurs départements présents, la Creuse a été la seule à avoir un car aussi bien. Un vrai car de tourisme, six roues, très grand, très luxueux, avec des sièges en cuir et climatisé, un car d’une compagnie privée… Pourquoi ne pas privilégier la sécurité dès le départ ? Plus tard, la DSDEN (*) ne nous a indiqué aucune démarche à suivre. On a juste reçu un courrier de Bordeaux pour nous donner quelques consignes concernant le dédommagement concernant les affaires perdues, et nous présenter des excuses à la suite de ce qu’ils ont qualifié de « regrettable incident »… Donc, pour eux, il ne s’agissait que d’un regrettable incident… C’est inquiétant ». 

(*) Contactée, la police nationale de Guéret n’a pas souhaité faire de commentaire, tout comme la DSDEN.

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