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Législatives : pourquoi Emmanuel Macron maintient-il Gabriel Attal à Matignon ?

Législatives : pourquoi Emmanuel Macron maintient-il Gabriel Attal à Matignon ?

Une heure s’est écoulée depuis l’annonce des résultats. Depuis le perron de l’Hôtel de Matignon, Gabriel Attal prend la parole. Les yeux rougis, la voix encombrée, le plus jeune Premier ministre de la Ve République se plie à la coutume républicaine. "La formation politique que j’ai représentée dans cette campagne […] ne dispose pas d’une majorité. Ainsi, […] je remettrai demain matin ma démission au président de la République".

Démission refusée en fin de matinée par Emmanuel Macron, qui demande à Gabriel Attal de rester en poste "pour le moment", afin d'"assurer la stabilité du pays". Le même chef d’Etat qui, seul, prit trois semaines plus tôt la décision d’une dissolution que Gabriel Attal n’avait, a-t-il déclaré dimanche 7 juillet, "pas choisie" mais qu'il a "refusé de subir". Mais alors, pourquoi avoir décidé de conserver un chef de la majorité présidentielle mis en minorité la veille ?

A première vue, la réponse est assez simple : la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques a lieu dans moins de trois semaines. Le budget doit être voté à l’automne. Et pour l’heure, aucun groupe ne peut revendiquer à lui seul une majorité claire. Former une coalition gouvernementale ou de projet ne semble pas non plus être chose aisée. Réussir à en former une pourrait prendre plusieurs semaines, voire plusieurs mois selon certains constitutionnalistes.

Une règle de plus de 70 ans

En cas de démission du Premier ministre, et dans l’attente de la nomination d’un nouveau gouvernement, l’exécutif se limiterait à "expédier les affaires courantes", selon la formule consacrée. Dans le jargon des juristes, on parle même de "gouvernement de gestion des affaires courantes". Autrement dit, aucune décision majeure engageant la responsabilité politique du gouvernement ne pourrait être prise. En la matière, une jurisprudence du Conseil d’Etat vieille de soixante-douze ans sert de référence. En 1952, le Conseil d’Etat a annulé un décret d’application pris par un gouvernement provisoire au motif qu’il ne pouvait être regardé comme une affaire courante dans l’intérêt de la continuité nécessaire des services publics. Reste que le cas est ici différent, précisément parce que la démission de Gabriel Attal a été refusée.

Un président à la merci d’une Assemblée hostile ?

Concrètement, dans le cas d’un gouvernement de gestion des affaires courantes, le Premier ministre, et ses ministres "intérimaires" auraient vu leurs prérogatives se réduire comme peau de chagrin. Ainsi n'auraient-ils pu engager aucune réforme, déposer aucun projet de loi, prendre aucune ordonnance. Aussi, les nominations à des postes clefs de l’administration auraient été difficiles à justifier.

On comprend désormais mieux pourquoi le maître des horloges préfère garder les mains libres encore quelque temps. Mais un chef d’Etat humilié à l’issue d’un scrutin qu’il a lui même appelé de ses vœux est-il totalement libre ? "Emmanuel Macron n’a aucune marge de manœuvre" expliquait à L’Express le professeur de droit public Thomas Clay à L’Express dimanche soir. Le gouvernement qu’il confirme ce matin a beau rester un exécutif de plein droit, son sort n’en est pas moins suspendu à des groupes parlementaires qui n’attendent qu’une chose : le décapiter.

Par une motion de censure notamment, qui pourrait être déposée dès la rentrée parlementaire, le 18 juillet prochain. Ainsi pourra-t-on parler de gouvernement démissionnaire si celle-ci recueille la majorité absolue. Dans ce cas, "il n’est pas impossible qu’émane du Conseil d’Etat une nouvelle jurisprudence qui donnerait des éléments plus précis sur la notion d’affaires courantes", anticipe Guillaume Drago.

Le précédent Alexandre Millerand

Et pour cause, les configurations des différentes cohabitations sous la Ve République n’ont pas incité le juge administratif à actualiser sa décision en la matière. "Contrairement à aujourd’hui, après chaque dissolution, une majorité plus ou moins claire se dessinait, rendant relativement simple la désignation d’un Premier ministre, et donc rapide la formation d’un gouvernement", abonde le constitutionnaliste.

Jacques Chirac a par exemple été nommé quatre jours seulement après la victoire de la droite aux législatives anticipées de mars 1986. La nomination d’Edouard Balladur en 1993 a été encore plus rapide. L’ancien ministre de l’Economie est des Finances et de la Privatisation est fait Premier ministre dès le lendemain du second tour du scrutin. Il en va de même pour Lionel Jospin qui est nommé le 2 juin, soit moins de quarante-huit heures après les résultats du vote.

Vingt-sept ans plus tard, il faudra patienter avant de connaître le nom du successeur de Gabriel Attal. "Attention, il ne faudrait pas trop tarder non plus", susurre toutefois un profil capé. Au risque de se mettre à dos la quasi-totalité de l’hémicycle du Palais Bourbon, et de connaître le même sort qu’Alexandre Millerand. Ce président de la IIIe République avait été contraint de démissionner quelques semaines après avoir été mis en minorité à la Chambre des députés. Un laps de temps durant lequel il avait instauré "une épreuve de force" avec ces derniers. C’était il y a un siècle. "L’Histoire est un cycle qui se répète", professent déjà les mauvaises langues. Un autre s’interroge : "Feu Jupiter en a-t-il seulement conscience ?".

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