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Attention, un électeur RN revient très rarement en arrière, par Arnaud Lacheret

Attention, un électeur RN revient très rarement en arrière, par Arnaud Lacheret

Le RN n’aura donc de loin pas la majorité absolue, ce qui était assez prévisible compte-tenu du jeu des désistements, mais il dispose du plus important groupe politique à l’Assemblée nationale, renforçant sa position de premier opposant. Toutefois, ce qui est objectivement une défaite pour le parti de Jordan Bardella peut être interprété comme une étape supplémentaire dans une conquête démocratique du pouvoir qui semble paraitre inéluctable et s’appuie sur un effet bien connu des politologues depuis des décennies, qui est celui du "crantage", ou "effet cliquet".

Les enquêtes d’opinion depuis les années 1980 portant sur le vote FN, puis RN, montrent que lorsqu’un électeur a voté RN une fois, il ne revient en arrière que très rarement lors des scrutins qui suivent. Les électeurs du parti d'extrême droite sont en effet les moins volatiles et les plus certains de leurs choix. Pour les législatives 2024 par exemple, le taux de certitude de voter pour le candidat RN était entre 88 et 92 % en fonction des instituts de sondage, celui pour le candidat d’union de la gauche était entre 80 et 84 %, loin devant la certitude de voter pour un candidat centriste, qui se situait aux alentours de 70 %. Encore plus loin derrière, on trouvait un indice entre 50 et 55 % de certitude de voter pour un candidat de droite.

Ces chiffres pour le RN sont constants, élection après élection, depuis trente ans. L’électeur du Rassemblement national n’hésite jamais dans son choix, qu’il cristallise très tôt.

Les députés RN ont surperformé

L’autre élément important dans le vote RN est l’effet d’amorçage. C’est-à-dire qu’une fois qu’un candidat RN est élu, il bénéficie toujours d’une bienveillance particulière de la part de son électorat. Le RN perd très rarement des élus une fois qu’il a gagné une élection. On peut le comprendre au niveau local où le maire peut activer de nombreux leviers pour se créer une clientèle électorale et bénéficier d’une prime au sortant, mais c’est également le cas pour les députés, nous l’avons constaté lors des législatives.

Les députés RN, dont la plupart n’ont pas particulièrement été brillants sur le plan national puisqu’ils étaient dans l’opposition ces deux dernières années, ont ainsi tous surperformé dans leurs circonscriptions par rapport à l’augmentation, déjà importante, des candidats du parti au plan national. Plus d’une trentaine ont été élus au premier tour sans réelle difficulté.

Cet effet s’explique en mobilisant un certain nombre de biais cognitifs et notamment le fait que l’habitant se retrouvant avec un député RN ne constate aucun changement, positif ou négatif, dans sa circonscription puisque le député n’a pas de pouvoir de gestion locale. Les électeurs qui avaient hésité en 2022 concluent donc que les malheurs promis par les opposants du RN en cas d’élection d’un député de ce parti n’ont pas eu lieu. En brisant le tabou, on s’aperçoit que rien ne s’est passé et le vote RN apparait désormais sans risque particulier, ce qui convainc les hésitants.

C’est ainsi que l’on se retrouve avec des augmentations particulièrement importantes des scores des députés RN sortants (Philippe Ballard, réélu député de l’Oise, semblait par exemple authentiquement surpris de son score de 53,20 % alors qu’il n’avait réalisé que 34,92 % en 2022). Parallèlement, des candidats RN non élus en 2022 progressent souvent nettement moins. Il y a une "prime au sortant" RN alors que le sortant en question n’est là que depuis deux ans et a siégé dans l’opposition sans avoir d’ancrage local particulier.

Cordon sanitaire à l'envers

On se retrouve donc avec un cordon sanitaire à l’envers qui obéit à un mécanisme de psychologie sociale verrouillant les territoires ayant des élus RN sans que ces derniers n’aient grand-chose à faire. Les analystes du parti nationaliste n’ignorent sans doute pas cette réalité et pourront, durant les trois années qui viennent avant la prochaine élection nationale, concentrer leurs forces sur les quelques circonscriptions où leurs candidats ont perdu de justesse sans avoir besoin de se concentrer outre mesure à défendre celles qui auront été gagnées.

C’est pour cela que la stratégie du cordon sanitaire, longtemps déployée par le reste de la classe politique, risque de se retourner contre ceux qui l’ont créé : s’il est difficile pour quelqu’un n’ayant jamais voté RN de le faire, il semble encore plus difficile pour quelqu’un ayant déjà voté RN de se tourner vers une autre offre politique.

*Arnaud Lacheret est professeur à Skema Business School. Il a notamment publié Les intégrés et La femme est l’avenir du Golfe aux éditions Bord de l’eau.

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