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Dernier été avec Pino d’Angio

L’année dernière, quasiment jour pour jour, notre chroniqueur évoquait Pino d’Angio, le chantre du second degré, dragueur d’opérette, précurseur du rap, féministe avant me too. Le chanteur et compositeur italien qui a bouleversé la musique des discothèques européennes au début des années 1980 est mort à l’âge de 71 ans. "Causeur" republie cette chronique en forme d’hommage...

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L’année dernière, quasiment jour pour jour, notre chroniqueur évoquait Pino d’Angio, le chantre du second degré, dragueur d’opérette, précurseur du rap, féministe avant me too. Le chanteur et compositeur italien qui a bouleversé la musique des discothèques européennes au début des années 1980 est mort à l’âge de 71 ans. Causeur republie cette chronique en forme d’hommage.


D’abord, il y avait le style Pino. Cigarette, blazer en skaï et chapeau mou. Sorte de Philippe Marlowe des Abruzzes, Bogart latin lover des dancefloors. Une coupe de champ’ à la main sur la pochette d’album et les frisottis à la Roberto Baggio devant sa glace, avant de sortir en boîte. Caricatural et délicieusement machiste. Gomina et funky musique. Et cette voix, chaude, grave, détachée, superbement distante, si éloignée de la technostructure qui commençait à envahir notre espace mental. Pino, chemise ouverte et esprit porté à la dérision comique, amuse la galerie par des propos délibérément provocateurs et indécents. Nous sommes au début des années 1980, aux prémices de l’italo disco, grand mouvement refondateur des discothèques. Le second degré est compris de tous, il est même plébiscité dans les assemblées, c’est une marque de politesse. Il fait partie du langage universel. On se moque, on chambre, on bombe le torse, on déconne à plein tube, on s’habille pour danser, on drague maladroitement et on se sent exagérément vivant en pleine récession économique. Sur une Vespa ou au volant d’une Alfa Coda Longa, les nuits d’été sont plus chaudes. Par une forme de prescience, on a très vite su que les décennies à suivre seraient mortifères. Elles annihileraient toutes nos tentatives de rire du destin et d’échapper au repli sur soi.

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Avec Pino, illusionniste d’un bonheur factice, le communautarisme ne passerait pas. L’espace de trois minutes, sa ligne de basse tyrannique nous empêcherait de penser à l’avenir, aux lendemains qui déchantent, au fracas du boulot et aux tracas du quotidien. Et toujours cette puissance tellurique qui vous colle aux murs. Imperturbable, la basse façon bulldozer avance, abat ses notes et colmate toutes les zones blanches de notre cerveau. Elle déploie une forme de liturgie rieuse et nerveuse. Bien des années après, le rap y puisera sa mécanique sémantique. Parce que Pino s’autorisait toutes les facéties, les aigus, les mesures parlées, avec cette rigueur métronomique que Giorgio Moroder ne renierait pas. Philosophe de Campanie, par sa musique à califourchon sur le disco finissant et le funk cosmique, Pino a inventé un personnage de scène : loser pathétique à la répartie bouffonne, faux courageux et véritable abruti. Pino d’Angio parle même de « la rhétorique du ridicule ». Il a théorisé cet ersatz de playboy comme le paroxysme de la débandade. Nous sommes au pays de Dino Risi et de Berlusconi. Les outrances verbales, les postures glandilleuses, en somme, le « n’importe quoi » est le décor idéal pour exorciser son mal de vivre.

Dans les interviews de cette époque bénie qui accepte l’ironie tendre, Pino en rajoutait volontiers dans le côté hâbleur et archétypal. À une journaliste qui lui demandait ses qualités, sans ciller, il répondait: « Je suis beau, je suis fort, je suis intelligent ». Le Jean-Pierre Marielle de la période Séria, lourd et drôle à la fois, reconnaîtrait l’un de ses enfants chéris. « Ma quale idea » sort en 1980. Partout dans le monde, dans les clubs de New-York, Rimini ou Buenos Aires, ce standard à l’insolence marrante va faire se déhancher toute une jeunesse en manque d’idéal. Il agit comme un doppler. Il mesure la contraction des cœurs vaillants, dans un mouvement infernal, il nous gonfle d’orgueil et nous renvoie l’image du grotesque. Ce va-et-vient est salutaire. Les féministes d’aujourd’hui devraient l’assaillir de lettres d’amour car il fut le premier à défendre la cause des femmes sur les pistes. Son cancer de la gorge (sept opérations en six ans) ne lui a pas laissé de répit. Dans la version française, « Mais quelle idée » renvoyait les lourdauds dans leur 22 !

Appréciez la pertinence du texte :

J’ai la tête aussi dure
Qu’un rocher des Dolomites
Il ne faut jamais me dire
Qu’une belle chose est interdite
Le temps de faire un break
J’ai déjà quitté la fille,
Je voulais faire une tête
À tous les mecs de sa famille
Comme dans une production
Digne de Sergio Leone
Déchaînés par la musique,
Ils sont devenus hystériques
Cette bande de malades
M’ont fait faire la promenade
Depuis, je suis malade,
J’ai la tête en marmelade

Cet été, après les fronts républicains et les JO, après l’arrivée du Tour à Nice, après les gouvernements de carton, on dansera sur Pino.

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