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Le RN, de "grand favori" annoncé à troisième force à l'Assemblée : les sondeurs se sont-ils (vraiment) plantés ?

Le RN, de

La majorité relative décrochée par le Nouveau Front populaire, ce dimanche soir, a déjoué les pronostics des sondeurs, qui voyaient le RN devant ses concurrents. Explications sur un échec apparent, qu’il faut nuancer.

 

 

C’est une première dont ils se seraient sans doute bien passés. Depuis des décennies, à chaque scrutin, les caciques du FN-RN reprochaient aux instituts de sondage de sous-estimer drastiquement le vote en faveur de leur parti. Cette fois-ci, dans un retournement brutal, c’est tout l’inverse qui est advenu : l’extrême droite a été vue bien plus haute, en amont, qu’elle ne l’a été au final dans les urnes.

Certes, la ribambelle de désistements « républicains », ajoutée aux sorties de route verbales de plusieurs candidats lepénistes dans la dernière ligne droite, avaient dessiné un net tassement dans l’entre-deux-tours. Et conduit tous les sondeurs à écarter sans ambiguité l’hypothèse initiale d’une majorité absolue, fixée à 289 députés, pour Jordan Bardella et les siens.

N’empêche. Le vendredi 5 juillet, Elabe donnait encore de 200 à 230 sièges pour le RN et ses alliés ciottistes, contre 165 à 190 pour le Nouveau Front populaire et 120 à 140 pour Ensemble. La veille, Odoxa plaçait toujours le RN loin devant, dans une large fourchette allant de 210 à 250 élus. L’ex-Front national et ses renforts venus de LR n’occuperont finalement « que » 143 fauteuils dans l’hémicycle. Un contingent qui en fait la troisième force du Palais Bourbon.

Pour les projections en siège, chacun fait ce qui lui plaît

Selon Hugo Touzet, sociologue spécialiste des enquêtes d’opinion, les instituts se sont heurtés, lors de cette séquence, à des difficultés en chaîne. « Il faut bien faire la distinction entre les sondages sur les intentions de vote et les projections en sièges », insiste-t-il. Les premiers reposent sur « une méthode éprouvée, stabilisée, contrôlée par la commission nationale des sondages ». Ils ont d’ailleurs permis d’aboutir à des estimations très fiables et précises avant les européennes du 9 juin. Idem avant le premier tour des législatives, trois semaines plus tard.

« Pour les projections, reprend Hugo Touzet, ce n’est pas du tout pareil. On est sur quelque chose de beaucoup plus artisanal. Chacun procède comme il l’entend, à sa manière, hors de tout contrôle. Certains vont par exemple donner une prime aux sortants, d’autres pas. Il y a une liberté totale. Selon ce que vous mettez dans la recette, le gâteau diffère inévitablement d’un institut à l’autre. A plus forte raison dans une situation politique aussi effervescente que celle des derniers jours de campagne. »

Autre écueil relevé par le sociologue, qui a compliqué l’anticipation : « Souvent, pour affiner leurs prédictions et leurs analyses, les sondeurs se reportent aux précédents, aux cas de figure identiques ou similaires. Mais cette fois, ce n’était pas possible, car nous étions dans une configuration nationale inédite. »

Photo Jeremie Fulleringer

Cluster17, pas si loin de la réalité

Malgré ces obstacles, Cluster17 avait ouvert la voie, dans sa dernière enquête pré-scrutin, à une possible majorité relative de la coalition de gauche. A 48 heures du retour des Français dans l’isoloir, l’institut tablait sur 170 à 210 sièges pour le RN et ses soutiens, 165 à 185 pour le Nouveau Front populaire et 130 à 160 pour Ensemble. Dans la fourchette haute de son score, le NFP apparaissait donc bet et bien en capacité de doubler l’extrême droite. « Nous avions attribué 40-45 % de probabilité à ce scénario », précise Jean-Yves Dormagen, enseignant en sciences politiques à l’université de Montpellier et fondateur de Cluster17 en 2022.

Tout au long de l’entre-deux-tours, ce « laboratoire d’étude de l’opinion » a produit des projections « en partant à chaque fois d’un sondage actualisé sur les intentions de vote, auquel nous appliquions ensuite des matrices de reports de voix », explique Jean-Yves Dormagen. 

Dans le détail, il s’agit d’interroger le sondé sur son vote du premier tour, puis de lui demander quel bulletin il choisira dans le cas d’un duel RN-Ensemble, RN-NFP, LR-RN, etc. Exemple : « Imaginons que dans notre échantillon, nous ayons au total 4.000 électeurs du NFP au premier tour, dont la moitié se disent prêts  à voter un second pour un candidat Ensemble opposé au RN. Dans ce cas, on attribue 2.000 voix à l’ancienne majorité présidentielle. »

La ventilation des reports dans chaque situation permet d’établir une matrice, qui est ensuite calquée uniformément à l’ensemble du territoire, sans tenir compte des réalités et contextes qui peuvent varier d’une circonscription à l’autre.

« Un électeur LR des Alpes-Maritimes ne va pas forcément avoir le même comportement que celui du 6e arrondissement de Paris. Mais on fait le pari qu’au final, à l’échelle nationale, les différences se compensent entre elles. »

Gare aux faux pas : le modèle mathématique retenu conditionne tout le reste. « Entre l’hypothèse selon laquelle 3 électeurs Ensemble sur 10 se reportent sur le NFP, ou une hypothèse à 5 sur 10, vous avez au final quelques pourcentages de différence dans le total de voix qui peuvent tout changer au résultat dans un scrutin aussi serré », souligne le fondateur de Cluster17.

Lui assume une approche « prudente », dans laquelle les circonscriptions indécises, qui sortaient à 51-49 ou 52-48 dans ses projections, n'ont « pas été attribuées ». « On préfère donner match nul plutôt que désigner un vainqueur potentiel très incertain. » Une précaution qui a permis à Cluster17 d’être au plus près du contenu des urnes : l’institut revendique « 96 % de bons pronostics » lors du second tour des législatives.

Preuve, selon Jean-Yves Dormagen, que « malgré les critiques faciles, nous n’étions pas à côté de la réalité. Même si la fourchette basse donnée pour le RN était encore trop haute, nous avons à mon sens réussi cette séquence très délicate ». 

Stéphane Barnoin

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