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Macron et la dissolution : "Pour une personnalité narcissique, le pari tient la route"

L'Express : Il fut beaucoup dit, et écrit, ces derniers jours, qu’Emmanuel Macron aurait perdu la raison en choisissant la dissolution de l’Assemblée. Vous y voyez plutôt un calcul fondé sur un besoin de réparation d’un narcissisme blessé. Pourriez-vous nous expliquer ?

Geneviève Delaisi de Parseval : Il s’agit à première vue d’un comportement paradoxal, mais avec un peu de recul, je suis désormais convaincue que le président a essayé au prix d’un dessein quelque peu machiavélique de trouver son compte dans cet échec. Passage à l’acte ou comportement cynique dans cette dissolution ? Ce qui est sûr, c’est que le président de la République est un vieux routier de la politique. Il a, en outre, des conseillers autres que ceux de son groupe restreint. Je vois en tout cas dans ce geste de dissolution et de convocation des élections un jeu d’échecs mûrement réfléchi. Sa blessure narcissique était trop importante pour qu’il soumette son destin au hasard d’élections archi incertaines ! Face à une blessure narcissique, il est commun que le sujet soit tenté de la retourner en son contraire. C’est exactement ce que nous vivons.

Les Français ont fait savoir à Emmanuel Macron qu’ils ne l’aimaient plus, ne le supportaient plus ; il n’a pas pu ne pas prendre en compte ce désamour massif. Comment le retourner ? Vous ne m’aimez plus ? Soit, vous verrez, demain vous m’aimerez autrement. En convoquant ces élections législatives, il a anticipé que tous, ses ministres, ses alliés, ses opposants, ses conseillers, allaient s’affronter, se rentrer dedans ; il savait provoquer un tumulte politique, possiblement très dangereux. Mais en se disant en même temps que lui seul, en sortirait in fine en apparaissant comme le sauveur. Pour une personnalité narcissique, le pari tient la route. Face à une future Assemblée nationale de bric et de broc, à son propre parti essoré, à des oppositions triomphantes, il entend apparaître dans les mois à venir comme le rempart institutionnel, le garant de la bonne marche de l’Etat, le garant des libertés publiques. Quoi de mieux pour réparer une image malmenée ?

N’est-ce pas une mise en danger vertigineuse ?

Certes. Il me semble avoir fait passer son intérêt personnel avant celui de la France. Il est patent que notre pays traverse une crise gravissime. En psychanalyse, il y a deux sens au mot crise. Le premier, le plus commun, c’est la crise entendue comme un moment où l’on casse tout, on crie, on se dispute. Le second sens envisage la crise comme une phase de maturation, comme l’intégration des pulsions. L’enfance et l’adolescence sont un exemple des périodes de la vie où les crises se succèdent et font grandir un enfant jusqu’à l’âge adulte. Cette crise, le président veut la traverser comme l’occasion d’intégrer pulsion de vie et pulsion de mort. La pulsion de mort, on l’a vue à l’évidence, dans la mise en scène macabre de son annonce télévisée, au terme d’une économie de mots si rare chez quelqu’un qui adore parler, expliquer, etc. Ce soir-là, on aurait dit une annonce nécrologique…

Depuis, la vie a repris ses droits : on s’agite tous azimuts, on palabre, calcule, s’écharpe. Pendant ce temps, – en coulisses - le président manœuvre pour être celui vers lequel demain on se tournera face au désordre parlementaire et à l'absence de majorité claire. Lorsque l’on s’est, comme lui, bâti un destin d’exception, fondé sur un roman familial singulier (s’éloigner de sa famille pour vivre chez sa grand-mère, épouser une femme plus âgée, son professeur), il lui est sans doute impensable qu’un vote perdu casse ce magnifique récit intérieur. Tout se passe comme s’il essayait de le nourrir à nouveau.

La psychanalyse montre qu’en période de crise un sujet dispose de plusieurs mécanismes de défense, dont le déni et la dénégation. Le déni consiste à se dire, en l’occurrence, qu’il ne s’est rien passé ou presque (la crise des gilets jaunes, la réforme chaotique des retraites, la pauvreté galopante, tout ça c’est du passé). Le président de la République semble plutôt vouloir activer une forme de dénégation, un mécanisme plus subtil : la crise existe, il existe des mouvements profonds, violents, dangereux qu’il admet du bout des lèvres et qu’il a sous-estimés, mais il les minimise. Son souci majeur actuellement est ailleurs : il entend laisser dans l’Histoire une image originale, intéressante, de sa présidence, surtout pas celle d’un échec, voire marquée de ridicule !

Quels sentiments, quels ressentis voyez-vous à l’œuvre dans le vote pour le Rassemblement national ?

Je crois que le moteur du vote RN est le mépris que ces électeurs ressentent - non sans raison - de la part des nantis, de l’élite. Par leur suffrage, les électeurs du RN disent à Marine Le Pen et Jordan Bardella qu’eux les comprennent. Je pense que la présidence d’Emmanuel Macron a alimenté un fort sentiment de mépris vis-à-vis des classes moyennes ou populaires.

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