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Tirs au but : quand les émotions des autres joueurs influencent le tireur de pénalty

Tirs au but : quand les émotions des autres joueurs influencent le tireur de pénalty

Au cours de l'Euro 2024, plusieurs rencontres ont dû avoir recours aux tirs au but pour désigner le vainqueur. Un moment anxiogène, tant pour le tireur que pour ses coéquipiers... ce qui n'est pas sans influence sur le résultat.

Guillaume Perreau-Niel, Doctorant en psychologie du sport, Université de Bourgogne

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Alors que les quarts de finale de l’Euro 2024 viennent de livrer les noms des demi-finalistes, trois rencontres ont eu recours aux tirs au but pour désigner le vainqueur. Le Portugal s’est imposé face à la Slovénie en huitièmes de finale à la suite d’une séance particulièrement spectaculaire avec trois arrêts du gardien portugais Diogo Costa sur les trois tentatives slovènes. À l’inverse, en quart de finale contre la France, le gardien portugais n’a pas arrêté un seul tir au but contre la France qui se qualifie ainsi, tout comme l’Angleterre qui a inscrit ses 5 tentatives face à la Suisse. Nul ne doute que la très forte pression ressentie par les tireurs au moment de s’élancer pour frapper a joué un rôle dans leur performance.

Les séances de tirs au but constituent un moment très anxiogène, durant lequel chaque tir est crucial pour le tireur, mais aussi pour ses partenaires et ses adversaires. Souvent présentée comme une loterie, cette succession de duels entre le gardien et les tireurs mène ainsi à un enchaînement d’émotions ressenties par les acteurs.

Ces émotions ont-elles un impact sur les performances des joueurs, notamment lorsqu’ils endossent la responsabilité du tir au pénalty ? Et au-delà des propres émotions du tireur, est-ce que celles des autres joueurs, qu’ils soient partenaires ou adversaires, peuvent influencer ce que ressentent les tireurs au moment de s’élancer pour frapper ?

Depuis la dernière Coupe du Monde où cinq rencontres se sont soldées par une séance de tirs au but, la question de la préparation, de l’entraînement à cette situation à haute intensité émotionnelle fait encore débat, comme le montre la récente polémique sur le sujet entre le Directeur Technique National et le sélectionneur de l’équipe de France.

Quand le stress devient le pire des ennemis

Il a été démontré que les tirs au but généraient des niveaux élevés de stress chez les joueurs, et que les tireurs avaient tendance à moins performer lorsque l’importance du tir au but devenait plus forte.

Autrement dit, les émotions ressenties par les joueurs et notamment par les tireurs ont un impact sur le tir au but qu’il va réaliser, sur sa performance. Interrogé par Canal Foot Manager, Geir Jordet, psychologue du sport et spécialiste des tirs au but, précisait que « quand nous avons essayé de quantifier pour voir à quel point les compétences techniques comptent, à quel point la chance compte, à quel point la psychologie compte, la psychologie semble avoir un poids très important lors des séances de tirs au but. Quand les joueurs ont beaucoup de pression, nous avons constaté qu’ils marquent environ 20 à 30 % de moins que d’habitude. C’est un facteur très important ».

Et les émotions des partenaires et adversaires alors ?

Si la quasi-totalité des études en psychologie du sport et de la performance ayant investi la relation émotions-performance se sont intéressées aux émotions individuelles du joueur, de très récentes études (2019, 2020) ont montré l’importance de l’environnement émotionnel dans le sport de haute performance. Ainsi, la réalité des séances de tirs au but n’est pas juste un tireur et son ballon, c’est une scène sociale dans laquelle de nombreux acteurs sont en interaction ou en confrontation. On invoque ainsi souvent l’influence des supporters, mais ces dernières études mettent le regard sur l’importance des expressions émotionnelles que les partenaires et les adversaires ressentent et véhiculent et que le tireur ne peut ignorer. Difficile de ne pas évoquer le comportement du gardien de but argentin, Emiliano Martinez lors de la finale de la Coupe du Monde 2022 et le fait que son attitude ait pu avoir un impact sur les tireurs français.

La littérature récente en psychologie sociale appliquée au contexte du sport collectif permet de comprendre que le groupe peut être perçu comme une entité à part entière. Dès lors, les émotions du groupe, telles qu’elles sont perçues par le joueur avant de tirer, peuvent avoir une influence capitale sur son propre ressenti émotionnel. Une étude en rugby a notamment montré que les émotions du groupe avaient plus d’influence que les émotions individuelles sur la performance collective… mais aussi sur la performance individuelle !

Une étude pionnière

Très récemment, dans le cadre du projet TEAM SPORTS financé par le Programme Prioritaire de Recherche « Sport de Très Haute Performance » en vue des Jeux olympiques de Paris, une thèse s’est intéressée aux émotions ressenties par le tireur en termes de menace et de défi. Cette étude préliminaire a amené 140 footballeurs amateurs à réaliser, en équipe, des séances de tirs au but avec un enjeu à la clé. Un tireur très en confiance sur ses chances de réussite est alors considéré comme étant en défi alors qu’un tireur peu sûr de lui est considéré comme étant en menace.

Durant leur déplacement pour aller déposer le ballon sur le point de pénalty, les tireurs étaient interrogés sur leur perception des émotions des joueurs de leur équipe, puis des joueurs de l’équipe adverse. Le but était de savoir s’ils les sentaient plutôt inquiets et anxieux, ou confiants et sereins. Cette étude s’intéressait également au sentiment d’identification du tireur à sa propre équipe. Il s’agissait de le questionner pour connaître l’influence du sentiment d’appartenance à l’équipe sur les ressentis mesurés et leur influence sur la performance au tir.

Les premières analyses indiquent quelques tendances constatant que la perception des émotions des membres de sa propre équipe exerce une influence positive sur les émotions ressenties par le tireur de tir au but. Autrement dit, plus le tireur perçoit les joueurs de son équipe comme confiants et sereins, plus il se sent dans un état de défi (stress positif) lorsqu’il va tirer.

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De plus, le niveau d’identification à son équipe semble également impacter la perception du joueur quant aux émotions de son équipe. Plus le tireur se sent fortement intégré, identifié à son équipe, plus il aura tendance à voir son équipe comme confiante et sereine.

En outre, deux autres facteurs contextuels ont été identifiés comme influençant la perception que le joueur aura des émotions ressenties par son équipe : il s’agit du rang du tireur sur la séance de tirs au but et de l’écart au score entre les deux équipes. Selon que le score est serré ou que l’écart augmente, le joueur sentira son équipe plus confiante ou plus anxieuse. Concernant le rang du tireur, le fait d’être désigné comme tireur sur la fin de la série mènerait à percevoir son équipe plus ou moins sereine également.

Finalement, l’étude a mis en évidence que lorsqu’un tireur ressent et exprime des émotions en lien avec l’état de menace, il a significativement tendance à croiser son tir. Ainsi, un tireur droitier tirerait plutôt à gauche s’il se sent inquiet ou s’il a peur de ne pas réussir, donc s’il se trouve en état de menace.

Les séances de tirs au but sont un moment très anxiogène, durant lequel chaque tir est crucial pour le tireur, mais aussi pour ses partenaires et ses adversaires.

En définitive, les séances de tirs au but demeurent des moments où les émotions sont ultra-présentes et où le contexte émotionnel peut avoir un impact important sur la performance des deux acteurs : le gardien et le tireur.

La question de l’entraînement aux tirs au but revient alors ici très clairement… Pour certains, la fameuse loterie de cette séance fatidique justifierait de ne pas en faire un entraînement spécifique. Pour d’autres, en accord avec les travaux scientifiques, ne pas s’y entraîner, notamment en incluant un travail mental, serait une erreur dommageable.

Même si ces premiers résultats sont encore préliminaires et ne peuvent être généralisés, on aperçoit ainsi très clairement à quel point la dynamique de groupe et les normes d’expressions émotionnelles jouent un rôle dans la performance des tireurs au pénalty. Les prochaines analyses et études qui suivront nous permettront ainsi de savoir si ces gains sont marginaux ou magistraux… et ainsi confirmeront de facto l’importance d’entraîner les joueurs sous haute intensité émotionnelle, en maitrisant la dynamique de groupe au travers notamment des normes d’expression émotionnelles. Alors que les demi-finales de l’Euro vont démarrer, messieurs les entraîneurs, c’est à vous de jouer.

 

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