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Dans le maelström

Les danseurs de l’Opéra de Paris survivent, vainqueurs, à la puissance superbe et chaotique du « Blaubart » de Pina Bausch. À voir jusqu’au 14 juillet...

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Les danseurs de l’Opéra de Paris survivent, vainqueurs, à la puissance superbe et chaotique du « Blaubart » de Pina Bausch. À voir jusqu’au 14 juillet.


C’était il y a deux ans : «Kontakthof», l’une des œuvres majeures de Pina Bausch, entrait au répertoire du Ballet de l’Opéra de Paris.

Conduite avec autant de savoir-faire que d’intelligence par l’une des danseuses emblématiques du Tanztheater de Wuppertal, Josephine Ann Endicott, cette passation avait débouché sur quelque chose d’époustouflant. Et à quoi on n’aurait peut-être jamais cru si on ne l’avait vu. On retrouvait chez les danseurs de l’Opéra, atténuées certes, la conviction, la théâtralité, la force intérieure qui avaient porté les artistes du Tanztheater à l’époque de la création de « Kontakthof ». Chez les femmes surtout, entrées dans l’univers de Pina Bausch avec une souplesse d’esprit et une sensibilité inimaginables, quelques lustres auparavant, au sein d’une compagnie de ballet classique.

On pourrait aujourd’hui en dire presqu’autant de « Blaubart », troisième ouvrage de la chorégraphe allemande à figurer désormais au répertoire du Ballet de l’Opéra après « Orphée » et « Kontakthof ». Mais ici, la pièce est moins puissante et, partant, l’engagement des danseurs en est peut-être moins spectaculaire.

Des scènes à couper le souffle

Parce que l’ouvrage offre des scènes d’une beauté à couper le souffle, « Blaubart » était resté dans les mémoires comme une pièce majeure de Pina Bausch. Sa reprise au Théâtre du Châtelet avec le Tanztheater de Wuppertal, il y a deux ans également, avait fait l’effet d’une douche froide. Ce qu’on avait vu naguère comme une œuvre puissante avait fort mal vieilli et on en découvrait les faiblesses quand les scènes les plus fascinantes n’avaient plus la force et la beauté de l’inédit. On redécouvrait aussi que les fragments du livret écrit pour Béla Bartók par le poète Béla Balàzs étaient chantés en allemand au détriment de la poésie de la langue hongroise, ce qui en affaiblissait le climat. En fait, aussi sacrilège que l’idée puisse paraître, « Blaubart » mériterait d’être abrégé. Une démarche tout à fait impensable aujourd’hui, et c’est d’ailleurs heureux, puisque la mort de Pina Bausch est encore trop récente pour qu’on se permette une telle transgression. On y viendra peut-être beaucoup plus tard : la pièce, trop étirée, inutilement répétitive, s’en trouverait sans doute renforcée. Cette audace un peu barbare signifierait que « Blaubart » serait définitivement entrée dans le répertoire chorégraphique universel et qu’on pourrait alors oser de tels ajustements sans avoir le sentiment de trahir.

L’impitoyable domination masculine

Si l’œuvre se révèle quelque peu décevante, malgré l’incisif propos de Pina Bausch qui souligne avec force, et non sans humour aussi, la pesante, l’impitoyable domination masculine exercée sur les femmes, son interprétation par les artistes de l’Opéra, les danseuses surtout, n’en est pas moins remarquable.  

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Là encore, c’est une interprète historique de Pina Bausch, Béatrice Libonati, qui a dirigé les répétitions de « Blaubart » et choisi en amont les danseurs. Avec la même intelligence et la même exigence que Josephine Ann Endicott pour «Kontakthof », elle a fait des miracles en sachant diriger les artistes de l’Opéra avec assez de doigté pour en obtenir le meilleur. Certes, les exécutants d’aujourd’hui sont fondamentalement différents de ceux de jadis et il serait aussi vain que stupide d’espérer qu’ils soient des répliques parfaites de ceux de Pina Bausch, ayant œuvré en d’autres temps et dans un tout autre contexte artistique, politique et social. Mais ils se sont engagés dans cette tâche aussi noble que redoutable avec une ardeur, une foi, un désir apparent de servir « Blaubart » qui disent bien l’intérêt qu’ils y portent. Et le résultat est remarquable. Dans les créations de la chorégraphe allemande, ce sont les femmes qui la plupart du temps sont les plus flamboyantes. C’est tout aussi évident avec les danseuses de l’Opéra. Elles sont dix, Ida Viikinkoska, Laure-Adélaïde Boucaud, Camille de Bellefon, Laurence Lévy, Adèle Belem, Lilian Di Piazza, Eugénie Drion, Marion Gautier de Charnacé, Alycia Hiddinga, Amélie Joannides, et toutes franchement dignes d’admiration, tant pour la puissance physique qu’elles déploient dans une chorégraphie tyrannique, épuisante et chaotique, que pour la beauté de leurs visages, devenus des masques de tragédiennes. Pour les danseurs, la partie est plus ingrate. Ils demeurent quelque peu en retrait. Cela n’empêche pas des Milo Avêque ou des Julien Guillemard d’imposer leur aura.

Un courage sans faille

Tout en s’engageant avec un courage sans faille dans le rôle si périlleux de Judith, Koharu Yamamoto est sans doute trop jeune pour l’incarner pleinement. Et son visage de poupée est fâcheusement inexpressif. Dans le personnage de Barbe-Bleue, Alexandre Boccara, quant à lui, paraît un peu transparent au début de l’ouvrage. Mais on comprend vite pourquoi ce très jeune homme, qui n’est encore que sujet au sein du Ballet, a été lui aussi élu pour assumer ce rôle magistral. Au fil de l’ouvrage, il dévoile une personnalité remarquable et l’on devine bientôt que le bel interprète qu’il est aujourd’hui a beaucoup pour être magnifique demain.


« Blaubart », chorégraphie de Pina Bausch exécutée sur un enregistrement du « Château de Barbe-Bleue » de Béla Bartók. Jusqu’au 14 juillet 2024. Opéra de Paris-Garnier : 08 92 89 90 90 ou operadeparis.fr

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