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Grandir avec le “Napoléon” d’Abel Gance, de la crédulité à la fascination

© La Cinémathèque française
Ça fait quoi de découvrir “Napoléon”, le chef-d'œuvre d'Abel Gance, avec des yeux d'enfants et une cinéphilie naissante ?
© La Cinémathèque française

Quand j’étais petit, très petit, mon père nous mit un jour, mon frère et moi, devant la télévision pour regarder avec lui le Napoléon d’Abel Gance, parce qu’il aimait beaucoup ce film – lequel ressort cette semaine dans une somptueuse version restaurée intitulée Napoléon vu par Abel Gance que je vous conseille tous·tes d’aller voir (et dont nous vous parlons ici).

Il aimait et admirait ce film : sans doute parce que mon géniteur était ingénieur, peut-être parce qu’il était né entre Chalon-sur-Saône (berceau de la photographie) et Lyon (celui du cinématographe), les inventions technologiques concernant la photo ou le cinéma le fascinaient. Toute sa vie, je l’entendis vanter par exemple les mérites du professeur Chrétien et de son Hypergonar (non, ce n’est pas une contrepèterie), l’objectif de prise de vue et de projection qui permit l’éclosion du Cinémascope.

Pour de vrai

Or, je crus, dès le début du visionnage du film de Gance, que c’était un documentaire. Je voyais un documentaire sur Napoléon Bonaparte. Rien ne me gênait : le jeune officier corse, perdu dans une tempête sur un frêle esquif au large de l’île de Beauté, transformant un drapeau tricolore en voile (folle allégorie) pour échapper à la mort, pendant qu’au même moment, à Paris, les révolutionnaires s’écharpaient à la Constituante (caméra se baladant au bout d’un câble au-dessus des acteur·rices, des figurant·es, du décor), tout cela, pour moi, c’était pour de vrai.

Albert Dieudonné, son interprète dans le film, c’était Napoléon Bonaparte en personne. Je le crus très longtemps et mentirais en affirmant que lorsque j’imagine encore aujourd’hui le jeune Bonaparte, le vrai, dans les années 1790, ce ne sont pas les traits de Dieudonné qui me viennent d’abord à l’esprit.

Ma cinéphilie est peut-être née là, dans cette méprise. Le contrat de croyance tacite entre le·la spectateur·rice et le·la cinéaste, je le signe dès la première image d’un film de fiction : tout ce que je vois sur un écran de cinéma est vrai – le temps de la projection, bien sûr. Même si ce phénomène est sans doute lié à mon très petit âge à l’époque, il prouve surtout la force d’évocation et d’expression du grand œuvre d’Abel Gance, sa puissance formelle, éternellement marquante. Il faut voir Napoléon.

Édito initialement paru dans la newsletter Cinéma du 10 juillet. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !

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