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Lydie Salvayre : “Ce qui me frappe le plus, c’est l’ignorance de l’Histoire”

Pour l’autrice de “Pas pleurer”, il faut relire Klaus Mann et Hannah Arendt.

En 2017, dans Tout homme est une nuit (Seuil), Lydie Salvayre avait imaginé un village qui s’en prenait collectivement à un nouveau résident, et à travers ce roman avait décortiqué le discours raciste et xénophobe qui a été libéré au cours de la campagne des législatives. Prix Goncourt en 2014 pour Pas pleurer, où elle racontait l’exil en France de ses parents réfugiés espagnols, cette autrice inclassable a plusieurs fois signé des textes très engagés, où elle fustigeait le libéralisme.

Elle est installée dans le sud de la France depuis plusieurs années, et nous avons pu la joindre par téléphone pour recueillir son sentiment sur la situation politique actuelle. 

Dans quel état d’esprit êtes-vous ? 

Lydie Salvayre – Le 7 juillet, par hasard j’étais dans la patrie de Jean Jaurès, invitée dans un village près de son lieu de naissance, une ancienne ville ouvrière. La gauche était victorieuse, heureuse, ils ont chanté toute la nuit. Ça m’a fait du bien, mais bon. Il n’empêche que c’est compliqué. Je ne sais pas si ça vous intéresse, mais j’aurais voulu partager ma lecture de référence, c’est si important pour moi : Contre la barbarie de Klaus Mann. C’est un recueil de textes qu’il a écrits en Allemagne entre 1930 et le début de guerre. Et il dit en substance en s’adressant aux partis d’opposition : cessez vos chamailleries, la bête immonde est là, qui empoisonne notre jeunesse. Il est le seul à l’époque à alerter, s’adressant à Zweig et à d’autres : vous ne voyez pas l’horreur de ce qui monte ? Aujourd’hui, c’est une lecture d’une importance capitale. 

“Klaus Mann dans ses textes le dit aussi, méfiez-vous des langues de bois dans lesquels vous êtes pris, il n’y a qu’un seul ennemi et il est en train d’avancer insidieusement.”

C’est ce que vous avez envie de dire à la gauche ?

Arrêtez les querelles intestines, les guéguerres d’égo et toutes ces choses. Il y a ici à Nîmes une personne avec qui je suis en lien depuis 40 ans. Elle est à LFI et je la vois complètement absorbée par le désir de me démontrer que Ruffin est un traître. Je lui dis d’arrêter avec ça. Je lui cite Hervé Le Tellier qui dans son dernier roman, [Le nom sur le mur (Gallimard),ndlr ]  remarque que des gens qui n’avaient rien à voir entre eux comme Lucie Aubrac, Daniel Cordier, Missak Manouchian, ont fait la Résistance en dépit où peut-être même grâce à leurs différences. La seule chose que j’ai envie de dire d’ici, recluse dans mon Nîmes, c’est : la bête immonde n’est pas là ou là mais du côté du RN, bien qu’il ait pris des masques et mille dissimulations pour se montrer lisse, ouvert, tiktokeur. Klaus Mann dans ses textes le dit aussi, méfiez-vous des langues de bois dans lesquels vous êtes pris, il n’y a qu’un seul ennemi et il est en train d’avancer insidieusement. Même son père Thomas Mann ou Stefan Zweig ne s’alarment pas autant que lui. Lisez Klaus Mann, c’est tout ce que j’ai à dire. 

Pensez-vous qu’écrivain·es, artistes, intellectuel·les, vous devez vous organiser ? Agir d’une manière ou d’une autre dans les trois prochaines années avant l’élection présidentielle de 2027 ? 

C’est la première fois de ma vie que je signe autant de manifestes contre le RN mais j’ai l’impression que ça reste lettre morte. Il faudrait probablement faire autre chose, car il me semble que ça ne fait pas bouger les lignes, que ça ne touche pas ceux qui votent RN. C’est bien là le drame, ce sont souvent des populations qui sont justement remontées contre l’élite. Et comment désarmer les peurs qui motivent leur geste, je ne sais pas. Ce qui me frappe le plus, c’est l’ignorance de l’Histoire, elle empêche d’être lucide sur ce qui se passe aujourd’hui. 

“Mes parents ont foutu leur vie en l’air pour fuir le franquisme et je me retrouve en bout de course avec ceux que mes parents ont fuis Pas les mêmes mais semblables sur le fond. C’est un constat terriblement amer”

La période doit vous renvoyer à votre histoire familiale.

Mes parents ont foutu leur vie en l’air pour fuir le franquisme et je me retrouve en bout de course avec ceux que mes parents ont fui. Pas les mêmes mais semblables sur le fond. C’est un constat terriblement amer. Mais puisque j’en suis à faire des citations, j’ai relu Qu’est-ce que la politique ? de Hannah Arendt, et j’y ai lu une chose qui m’a fait du bien. Arendt écrit, avec la lucidité qui est la sienne et sans s’illusionner, qu’il faut croire aux miracles. Parce que l’histoire, si elle nous réserve nombre de tragédies et d’apocalypses, figurez-vous qu’elle nous réserve aussi des miracles. Arendt a raison, il y a eu des renversements auxquels personne ne s’attendait.

Donc je me dis : il y a l’extinction des espèces, le réchauffement climatique, la montée des totalitarismes, mais Hannah Arendt a écrit qu’il fallait croire aux miracles et je me range sous sa bannière. Il y a d’ailleurs eu celui de dimanche dernier, un miracle relatif mais quand même, on ne s’attendait pas à ce que la gauche fasse ce score. S’il y a eu cette espèce de mini miracle, il y en aura peut-être d’autres. Et ces lectures, Klaus Mann comme Hannah Arendt, je sais bien que ce n’est pas avec ça qu’on désarmera la haine, la peur, le ressentiment de populations qui votent RN mais peu importe. Il m’est important, moi, de les faire ressurgir.

Dernier livre paru : Depuis toujours nous aimons les dimanches, de Lydie Salvayre (Seuil 2024), 144 p., 16,50 €

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