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Décidément, les Britanniques ne font jamais rien comme tout le monde, par Marion van Renterghem

Décidément, les Britanniques ne font jamais rien comme tout le monde, par Marion van Renterghem

Décidément, les Britanniques ne font jamais rien comme tout le monde. Le Premier ministre que les rescapés du Brexit viennent de porter au pouvoir avec une majorité écrasante semble une incongruité à contre-courant de la vague populiste de l’Occident et de ses leaders tonitruants. Un homme raisonnable, calme, au parcours d’avocat et de procureur général exemplaire, mais sans charisme particulier, qui ne brille pas dans les discours, ne promet pas la lune et ne cherche pas dans les immigrés, les riches, les élites ou les normes du marché européen les boucs émissaires à tous les maux du pays.

Comme une bizarre réincarnation d’Angela Merkel dans un océan de Trump, de Poutine, de Milei, de Le Pen et d’Orban triomphants. Keir Starmer, dont les yeux ébahis et les cheveux étrangement lissés sur le côté me font toujours irrésistiblement penser au mari de Samantha dans Ma sorcière bien-aimée, est devenu un pôle de stabilité aux portes d’une Union européenne bousculée par la guerre et hantée par la montée du national-populisme, face à une France en pleine pagaille politique qui ne sait plus où elle habite.

Le national-populisme, les Britanniques en ont eu leur dose. Keir Starmer doit une partie de son succès à leur retour douloureux à la réalité, après s’être laissé hypnotiser, tel Mowgli par le serpent Kaa, par les marchands d’illusions du Brexit. Les conservateurs au pouvoir et les tabloïds avaient joué sur la nostalgie impériale et les délires de grandeur nationale, attisé la peur de l’immigration, flatté les bas instincts xénophobes, comparé l’UE à l’URSS et promis que la libération de Bruxelles mènerait au triomphe économique de la Global Britain. C’est le contraire qui s’est produit. Le Brexit a été dévastateur pour le pouvoir d’achat, pour les petites et moyennes entreprises, pour les services publics privés de main-d’œuvre européenne, pour le commerce extérieur et même pour le contrôle promis de l’immigration. Plus de 70 % des Britanniques estiment que la sortie de l’UE est un échec. L’OBR, l’organisme britannique de contrôle budgétaire, vient de réitérer ses prévisions préalables : l’impact du seul Brexit se traduit par une baisse de 4 % sur la productivité potentielle et par une chute de 15 % sur le commerce.

Pas de débats théoriques

Le nouveau Premier ministre travailliste est aussi à contresens de la social-démocratie européenne, déclinante même en Allemagne. Il a réussi, grâce à sa patiente obstination et à son intransigeance face à l’antisémitisme au sein du Labour, à faire ce que la gauche française ne sait plus faire depuis les années Mitterrand : construire un grand parti recentré à gauche, marginalisant sans les exclure les plus radicaux de la tendance Jeremy Corbyn, réunissant les classes ouvrières du nord du pays qui avaient cru au Brexit et les proeuropéens blairistes de Londres. Militant de la justice sociale et des droits des travailleurs mais aussi pragmatique, probusiness, pronucléaire, défavorable aux augmentations d’impôts, hormis le rétablissement d’une TVA à 20 % sur les écoles privées, décidé à limiter l’immigration illégale et les demandes d’asile, sir Keir Starmer – anobli par la reine en 2014 - n’a vraiment rien d’un socialiste à la française.

Il remet la politique à sa place, loin des débats théoriques. Il s’est armé d’un gouvernement sérieux et marqué par la diversité sociale. Son ambition n’est pas prométhéenne, il ne vise pas le bouleversement total de la société et du pays, mais se concentre sur deux objectifs prioritaires : le service public de santé (NHS) et l’éducation, l’un et l’autre détruits par l’austérité imposée par les Tories pendant treize ans.

Il a évité pendant toute sa campagne de prononcer le plus gros des gros mots : "Brexit". L’éléphant dans la pièce qui a détruit des amitiés et semé la zizanie dans les familles, comme jadis l’affaire Dreyfus. Pour relancer la croissance, restaurer des infrastructures en sale état, désenclaver le nord du pays, atténuer des inégalités sociales aggravées, alléger la dette, Keir Starmer peut-il éviter de briser l'omerta ? Il s’y refuse. Il ne reviendra pas dans le marché unique ni dans l’union douanière, assure-t-il. Mais son autorité de leader se mesurera à sa capacité à renouer avec son grand voisin indispensable, l’Union européenne. Quitte à rouvrir les plaies.

Marion van Renterghem est grand reporter, lauréate du prix Albert-Londres et auteure du Piège Nord Stream (Arènes)


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