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Série d’été « Qu’est-ce que le libéralisme ? » – Entretien avec Nathalie Janson

Cet été, Contrepoints vous propose une série d’entretiens sur le libéralisme avec plusieurs de nos auteurs et des invités spéciaux. Nathalie Janson est économiste spécialiste de la théorie de la banque libre et de la régulation bancaire. 

 

Comment définissez-vous le libéralisme ? 

Le libéralisme est symbolisé par l’expression : « laissez-faire, laissez passer ». Il a comme fondement le libre-arbitre et la responsabilité individuelle. Il ne peut exister sans la garantie des droits de propriété nécessaire aux échanges. L’individu est souverain dans ses décisions et ses actes dont il assume les conséquences. Le libéralisme est fondé sur l’acceptation de l’ignorance : les individus ont une connaissance limitée. L’ignorance est à la base du libéralisme et n’est pas suffisamment mise en avant pour comprendre pourquoi la liberté est la seule voie possible pour l’émancipation de l’individu. C’est parce que personne n’est omniscient – à fortiori l’État – qu’il est impossible de « construire » une société juste. Admettre l’ignorance conduit à une analyse critique des actions de l’Etat. Comment un organisme centralisé comme l’État peut-il avoir connaissance de toutes les informations nécessaires pour prendre des décisions avisées ?

C’est la base de la critique de la planification économique dans la querelle entre Oscar Lange et Hayek dans les années 1930. La critique n’est pas idéologique mais technique sur les problèmes de gestion de l’information imparfaite et décentralisée. La planification économique est vouée à l’échec parce que le gouvernement n’a pas les moyens de réussir : il n’est pas omniscient.

Son action ne peut se terminer que dramatiquement.

Dans un premier temps, on constate des pénuries dans certains secteurs et des surplus dans d’autres : c’est un gâchis des ressources. Le constat est violent dans toute tentative de planification : la population ne mange plus à sa faim, est contrainte d’acheter ce qui est disponible, mais qui ne correspond pas à ses besoins alors que la production croît pour satisfaire l’objectif du plan. Les nostalgiques de la planification rêvent plus que jamais aujourd’hui que la technologie leur permette de remédier à l’imperfection de l’information. Si la technologie peut en effet aider à ce que l’offre réponde mieux à la demande, elle ne peut se substituer aux entrepreneurs. L’entrepreneur est un personnage complexe, que, dans l’état actuel de nos connaissances, il n’est pas possible d’imiter. Au-delà, de l’imperfection de l’information, l’État ne peut pas appréhender la complexité du monde où des milliards d’individus prennent des décisions décentralisées.

 

Vous considérez-vous comme une libérale, et pourquoi ?

Je me considère libérale, voire très libérale, le périmètre de l’action de l’État – notamment dans ses fonctions régaliennes –  pouvant être discuté. Je suis devenue libérale au cours de mon année de M2 (maitrise à l’époque !) à Dauphine grâce aux cours des professeurs Salin et Claassen à l’Université Paris-Dauphine. J’étais jusque-là plutôt en faveur d’un État interventionniste, notamment pour réduire les inégalités sociales auxquelles j’étais très sensible comme beaucoup de jeunes étudiants. J’étais plutôt hétérodoxe parce que je n’ai jamais eu beaucoup de sympathie pour le modèle néo-classique que je jugeais hors-sol avec l’ hypothèses d’information parfaite et le concept d’équilibre. Cet état stationnaire vu comme un état de grâce m’interpellais. Il me semblait ne pas correspondre à notre réalité de mouvement permament. Les cours du professeur Salin m’ont conduit à me questionner sur la légitimité de l’action de l’État dans un monde où, justement, l’information n’est pas parfaite, et notre connaissance est limitée.

J’ai alors compris que toutes les idées socialistes consistant à organiser la société pour la rendre plus égalitaire n’était qu’un mirage. Évidemment, il est toujours possible d’organiser un système social généreux – La France est à ce titre un bon exemple – mais une telle approche constructiviste de la société ne vient pas sans coût, celui d’entraver la liberté d’action de – les entrepreneurs et les entreprises en particulier – afin de tenter d’améliorer le sort des plus faibles.

Le plus déroutant est que même si l’on admet que l’intention est bonne – faisons l’hypothèse que l’État est bienveillant – il est fort probable que le résultat voulu ne soit que partiellement atteint. La France à cet égard est un bon exemple : c’est le pays où les inégalités de revenu sont les plus contenues en Europe, et pourtant c’est le pays où la population ressent un sentiment d’abandon. Paradoxal, non ? Le libéralisme est le seul système compatible avec la liberté individuelle si tant est qu’on croit à la souveraineté de l’individu. L’ignorance qui caractérise le monde dans lequel nous évoluons remet en cause la pertinence des actions de l’État. En voulant le bien des autres, l’État finit toujours par tomber dans une forme d’autoritarisme.

 

Quels sont vos auteurs libéraux de référence ?

C’est La route de la servitude (1944) de Hayek qui m’a ouvert les yeux sur le piège de l’idéologie socialiste.

Mes auteurs libéraux sont sans aucune hésitation Hayek et Mises, tant leurs travaux montrent leur capacité de vision d’ensemble et leur transversalité. Ils ont théorisé la société fondée sur la liberté individuelle, érigée en valeur suprême et s’opposant à une vision holiste de la société.

Étant passionnée de questions monétaires, j’ai ensuite découvert Jacques Rueff, Friedman et Carl Menger. Très intéressée par les questions de politique monétaire et de banque centrale, j’ai été introduite à la théorie de la banque libre par Philippe Nataf, ce qui m’a permis de lire L. White et G. Selgin auprès desquels j’ai travaillé durant ma thèse sur une  question connexe – celle des capitaux propres des banques. C’était au démarrage de la réglementation de Bâle, et en me basant sur la théorie de la banque libre, j’ai pu développer une analyse critique de la réglementation en cours.

 

Pourquoi le libéralisme est-il si mal compris en France ?

Le libéralisme est mal compris en France parce qu’il a pour seul projet une société libre. La société n’a pas de but en soi pour les libéraux, à part celui d’offrir la possibilité à chaque individu de se réaliser sans certitude d’y arriver.

Évidemment, cette vision n’offre pas d’autre rêve que celui de la liberté. Malheureusement, tous les individus n’érigent pas la liberté en valeur suprême, d’autant qu’il faut assumer les conséquences de ses actions, et que la réussite n’est pas toujours au rendez-vous. Certains préfèrent avoir des certitudes et troquer un peu de liberté en échange. Ils préfèreront un projet qui leur dit que leurs salaires vont augmenter et que leur pouvoir d’achat s’améliorera plutôt que celui du libéralisme qui leur dit : la liberté vous permettra de voir votre condition s’améliorer si vous prenez les bonnes décisions, et si vous vous trompez, vous réussirez la prochaine fois. Les individus averses au risque n’ont aucune envie d’acheter cette proposition !

 

Quels seraient les bienfaits de réformes libérales en France ?

Le libéralisme permettrait d’impulser un souffle d’énergie positive dans une société sclérosée et assistée. Les Français doivent avoir envie de reprendre leur destin en main et de savoir que leur travail paiera. Il faut leur montrer que la liberté est la seule voie possible compatible avec la complexité du monde dans lequel nous vivons. La liberté positive l’incertitude et l’ignorance afin de donner envie de prendre des risques !

 

Deux réformes libérales prioritaires à mettre en place ?

Les deux réformes prioritaires sont la fiscalité et l’école :

Il faut absolument adopter une flat tax pour toute forme d’impôt, et supprimer en échange toutes les niches fiscales. Il faut que chacun paie un impôt pour contribuer aux services de l’État, sans quoi on peut avoir l’impression que les services fournis sont gratuits. Or, les « repas gratuits » n’existent pas (there is no free lunch). Tout se paie, et il faut le comprendre. Ce sont des arbitrages à faire dans un monde où les ressources sont rares. Il est plus facile d’entreprendre avec un système fiscal sans effet de seuil.

Il faut réformer l’éducation avec l’introduction du chèque scolaire. L’état dégradé de l’école est préoccupant pour l’avenir de nos enfants. C’est une top priorité. Il faut remettre de la concurrence dans les établissements pour distinguer clairement les bons des mauvais établissements. Il faut instaurer l’autonomie des établissements. Il existe de nombreuses études qui montrent que le chèque scolaire améliore le niveau des écoles et permet aux élèves des milieux plus défavorisés d’avoir de meilleures chances d’être scolarisés dans des établissements de bonne qualité.

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