Quelles œuvres d'art trouve-t-on dans le livre d’or de la Caravane de la paix d'Oradour-sur-Glane ?
N’allez pas imaginer un livre relié comme celui que l'on peut trouver en sortant d’un musée. Ce livre d’or-là est en feuillets et ses signataires ne sont pas des anonymes. À lui seul, il contient plusieurs œuvres d’art qui témoigne de l’Oradour-sur-Glane d’après-guerre mais aussi de ces années-là...
Une "Caravane de la paix"Le 12 juin 1949, deux jours après la cérémonie marquant l’anniversaire des 5 ans du massacre, des "caravanes de la paix" avaient convergé vers Oradour-sur-Glane. La plus importante, menée par Frédéric Joliot-Curie et Louis Aragon, venait de Paris. Arrivés par un train spécial, sur lequel était inscrit "Caravane de la paix", des intellectuels, des artistes et des personnalités comme Madeleine Braun, qui était la présidente des déportés, rejoignent Oradour-sur-Glane, dont le maire était à l’époque communiste.Le village martyr d'Oradour-sur-Glane (archive Michel Wasielewsky)Des photos signées Willy Ronis témoignent de l’ambiance ce jour-là. Sur l’une d’elles, entouré de centaines de personnes, Aragon tient le dessin de Picasso qui représente un enfant. La police avait estimé à plus de 10.000 le nombre de participants à cette "caravane des intellectuels".
Picasso, Léger, etc.La plupart des personnalités vont signer ce livre d’or qui porte le titre générique de : Hommage des intellectuels français à Oradour-sur-Glane. Il est remis conjointement à la commune et à l’association des familles à l’issue de la manifestation. Il est conservé à la mairie d’Oradour-sur-Glane de 1949 à 1994. En 1994, Robert Chanaud, directeur des Archives départementales de la Haute-Vienne, effectue une inspection communale à Oradour-sur-Glane.
Il découvre ce livre d’or, contenant le dessin "L’enfant d’Oradour" de Pablo Picasso, un dessin de Fernand Léger, un autre de Marcel Gromaire, ceux de Fougeron, les dédicaces, la Chanson d’Oradour signée Aragon.
Le "livre d’or de la caravane des intellectuels", qui abrite sous sa couverture rouge les différentes œuvres, est transféré aux Archives départementales. Il rejoindra dans deux ans Oradour-sur-Glane. Il fera partie des pièces et objets que présentera le Centre de la mémoire une fois rénové (*), et sera montré au public de façon permanente. Jusque-là, on ne le voyait que sous forme numérique ou par le biais de reproductions. Quelques chanceux l’ont vu lors de visites au moment des Journées du patrimoine ou de visites.
Un véritable morceau d’histoire"Il fait vraiment partie intégrante de l’histoire d’Oradour après le massacre. Ce qui nous intéresse, ce n’est pas seulement le 10 juin 44. C’est aussi ce qui s’est passé après et tout le travail qu’on fait sur cet après massacre, sur l’histoire de la mémoire. Ce livre d’or a une place fondamentale dans cette histoire-là", explique Babeth Robert, la directrice du Centre de la mémoire.
"Il va retrouver la place qu’il n’aurait jamais dû quitter. On le remettra dans le contexte de l’époque et on expliquera pourquoi on l’expose."
Le livre d’or est devenu un morceau d’histoire, un document d’archives. Il contient aussi beaucoup d’émotion. Le bleu, les yeux de "L’enfant d’Oradour" de Picasso touchent ceux qui le regardent. Il côtoie un dessin crayonné de Marcel Gromaire, très noir, et cette femme avec un enfant dans les bras signé J. Amblard. Fougeron a choisi de dessiner l’espoir, l’avenir, avec son "La vie renaît à Oradour", ses épis de blé et le soleil.L'enfant d'Oradour selon Picasso. (Photo Nathalie Goursaud)
De même, son "Modeste hommage à la renaissance d’Oradour", en couleurs, montre le retour des hirondelles, des arbres en fleur. Il y a les dessins, une partition musicale. Il y a les textes et les dédicaces aussi. Aragon, Tristan Tzara, des connus comme Claude Roy ou Georges Sadoul et des inconnus ont apposé ce jour-là un petit mot, une signature. Tous disent quelque chose de la démarche de cette caravane et de leur rapport à Oradour.
Les dessins de Fougeron. (Photo Nathalie Goursaud)
Exposé quand le Centre de la mémoire rouvriraLe livre d’or sera présenté au public, lorsque le Centre de la mémoire rénové ouvrira ses portes. Début avril 2024, une délibération du conseil municipal d’Oradour-sur-Glane a autorisé le Département à déposer ce document au centre de la mémoire quand celui-ci sera remis à neuf. Babeth Robert et Michel Sarter, ainsi que ceux qui travaillent sur le nouveau Centre de la mémoire réfléchissent à la scénographie et aux conditions dans lesquelles sera montré ce document longtemps resté dans l’ombre. Ils souhaitent "permettre aux gens de comprendre ce qu’est l’objet livre d’or", le contexte dans lequel il est né, sans instrumentalisation politique ni polémique d’aucune sorte.
Michel Sarter, Babeth Robert et Fabrice Escure. (Photo Nathalie Goursaud)
Un livre d'or fait de feuillets en papier à préserverCôté technique, la réflexion est aussi en cours. "La seule particularité, c’est que c’était un livre monté sur onglets ; les onglets ont été détachés et on a aujourd’hui des feuillets mobiles, explique Michel Sarter.
"C’est un document papier avec des encres qui sont sans doute un petit peu modernes. De l’encre de chine, stable, mais on a aussi de la gouache sur papier. Cela posera quelques petites difficultés en termes d’éclairage et de maintien de l’hygrométrie."
Rien cependant d’impossible. Le livre d’or de la "Caravane de la paix" sera un des éléments nouveaux du nouveau Centre de la mémoire.(*) Le Centre de la mémoire d’Oradour-sur-Glane, tout comme les Archives départementales de la Haute-Vienne, relève de la compétence du Conseil départemental. Le centre, qui donne accès au village martyr, a ouvert ses portes au public le 12 mai 1999 et va être rénové. Il devrait fermer temporairement ses portes à l’automne 2025 et les rouvrir au printemps 2027.
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"Cette ‘’caravane des intellectuels’’ était constituée d’un groupe d’intellectuels germanopratins proches du Parti communiste. En fait, au départ, il s’agit une expression contestataire. Ils viennent à Oradour le 12 juin 49, en réaction à la venue le 10 juin de Paul Ramadier, le ministre de la Défense nationale", explique Michel Sarter, directeur des Archives départementales de la Haute-Vienne.Dans cet immédiat après-guerre, les tensions politiques sont fortes, au niveau national comme au niveau international. La répression violente des grèves de 1948 en France, la Guerre froide toute proche, les noms d’oiseaux échangés par presse interposée forment un contexte pas du tout apaisé. "La réaction ne se limite pas à Oradour. À partir de 1949 notamment, compte tenu des événements internationaux, des tensions qui ont commencé à s’exacerber entre les deux blocs, le Parti communiste va utiliser fortement le vocable de paix et s’ériger comme ‘’protecteur de la paix’’ ou ‘’défenseur de la paix’’. C’est dans ce cadre-là qu’est organisée cette manifestation à Oradour", rappelle Michel Sarter.
Nous n’irons plus à CompostelleDes coquilles à nos bâtonsÀ saints nouveaux nouveaux autelsEt comme nos chansons nouvellesLes enseignes que nous portonsQue nos caravanes s’avancentVers ces lieux marqués par le sangUne plaie au cœur de la FranceY rappelle l’indifférenceLe massacre des Innocents
Ces mots et ceux des quatre couplets suivants de la Chanson de la Caravane d’Oradour sont signés "Aragon, le 12 juin 1949". Ils sont à la fois un hommage aux 642 victimes du massacre d’Oradour-sur-Glane et annoncent le culte de la mémoire qui sera désormais attaché au lieu.
Jusqu’en 2020, le nombre officiel de victimes du massacre d’Oradour-sur-Glane était 642.Le 15 janvier 2020, une décision du tribunal de grande instance de Limoges ajoutait à cette liste une femme, portant le nombre à 643.Il s’agit d’une réfugiée espagnole : Ramona Dominguez Gil.
Textes : Nathalie Goursaud