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Panafricanisme et souverainisme : Ces concepts dévoyés qui font si mal à l’Afrique

Le panafricanisme a une grande histoire. Mais, pour lui garantir un avenir, il faut l’adapter aux enjeux du moment, lesquels sont essentiellement d’ordre économique. "Jeune Afrique"
Nombreux sont ceux qui, à juste titre, louent le miracle de la construction européenne. Ce miracle ne tient pourtant à rien d’autre, qu’à la substitution de l’économie au conflit armé, comme mode de régulation des relations entre les États après la Seconde Guerre mondiale, d’une part, et à la démocratisation, d’autre part. Le Vieux Continent a, ainsi, cessé d’être celui de la guerre, pour devenir celui de la prospérité et de la paix.

Diversion stratégique

Au vu de cet exemple, se concentrer sur la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), s’avère plus utile à l’Afrique que de s’intéresser aux discours pseudo-panafricanistes et pseudo souverainistes des putschistes et de certains activistes, lesquels utilisent ces concepts pour créer une diversion stratégique et masquer la forfaiture des coups d’État. Le véritable panafricanisme, celui dont nous nous réclamons, se veut démocratique. Les putschistes et leurs soutiens, qui l’instrumentalisent et le décrédibilisent, nous semblent par conséquent, les moins légitimes à en être les avocats.

Pour qui s’intéresse au temps long de l’Histoire – au sens où l’entend Fernand Braudel –, il est évident que le printemps des coups d’État en Afrique de l’Ouest, ne peut être qu’un intermède dans cette deuxième vague démocratique africaine partie de Ouagadougou – lorsque la révolution a chassé le président Blaise Compaoré du pouvoir. D’abord, parce que l’arrivée des putschistes à la tête du Burkina Faso et du Mali, n’a pas amélioré la situation sécuritaire ; au contraire, elle l’a aggravée. Pour légitimer leurs actions, les militaires avaient pourtant mis en avant sa détérioration.

Ensuite, bien qu’ils bénéficient parfois du soutien de dinosaures politiques comme Choguel Maïga, les putschistes n’ont pas de forces sociales sur lesquelles s’appuyer, d’où la nécessité, d’ailleurs, de donner un verni idéologique et politique à leurs actions. Enfin, le contexte international a radicalement changé : avant la conférence de La Baule, les putschistes pouvaient s’installer durablement après un coup d’État, en invoquant soit la menace de l’avancée communiste, pour avoir le soutien du camp occidental, soit s’abriter derrière la lutte anti-impérialiste, pour obtenir celui de Moscou et du bloc de l’Est. Les militaires ne font que retarder un inéluctable processus de retour à la démocratie, d’autant que les pays qui ont connu des régimes et des alternances démocratiques, ne peuvent y renoncer. Ils retrouveront naturellement, les mécanismes et les réflexes démocratiques dès que le « virus Kaki » les aura quittés, comme ce fut le cas en Gambie, une fois Yahya Jammeh chassé du pouvoir.

L’Histoire autorise quelque espoir. En effet, il y a eu un répit dans les coups d’État, après la première vague démocratique consécutive aux conférences nationales et au Sommet de La Baule, comme l’écrit le général Cheikh Sène, ancien patron du renseignement sénégalais* : « Entre 1950 et 2000, 53 pays ont subi 85 coups d’État, ayant abouti à des changements de régime. Après une période de répit dans les années 1990, le continent africain est celui qui a connu le plus de coups d’État dans les années 2000, avec 27 tentatives de putsch. »

Les régimes de la vague démocratique à venir, reviendront tout aussi naturellement à la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), laquelle devra toutefois rester intransigeante en matière de respect des valeurs et des règles démocratiques. En se montrant ferme avec les militaires, la Cedeao parviendra à imposer un arrêt définitif des coups d’État, parce qu’elle aura prouvé qu’ils sont anachroniques et totalement contreproductifs. En plus d’être un vernis idéologique destiné à légitimer politiquement les putschs, le discours panafricaniste et souverainiste est une rente pour des activistes enclins à monnayer leur « soutien mercenaire » à la Russie.

Le véritable souverainisme implique, lui, un combat pour l’essor économique, comme l’ont prouvé l’Inde et la Chine. Ancienne colonie britannique, la première dispose d’un PNB supérieur à celui de l’ex-puissance colonisatrice, tandis que la deuxième, elle, est sortie du « siècle des humiliations » pour devenir la deuxième puissance mondiale. C’est à cela que doit ressembler le souverainisme : un problème politique dont l’émergence économique est la solution. Dans les pays où cette émergence est une réalité, les populations ont confiance en elles et osent défier l’Occident. En Afrique, où elle tarde à se concrétiser, il y a du ressentiment.

Nous devons nous rendre à l’évidence : le ressentiment et l’exploitation de la rente mémorielle, nous tirent vers le bas, nos élites politico-intellectuelles évoquant continuellement la colonisation pour se dédouaner des échecs de leurs politiques de développement. Certains argueront que de nombreux pays, à l’instar d’Israël, ne lésinent pas, eux non plus, sur l’alimentation de références mémorielles. Sauf que Tel-Aviv s’est appuyé sur la rente mémorielle pour bâtir un État et une économie prospères, précisément parce qu’elle ne se contente pas de dire ses frustrations.

Les États-Unis ont été des colonies anglaises mais, dès l’indépendance, ils ont tourné la page pour bâtir ce qui est devenu l’empire américain. Plus de six décennies après leurs indépendances, les Africains campent toujours devant le mur des lamentations, maudissant l’ordre mondial inégal, alors même que les causes endogènes de leur infortune, l’emportent désormais amplement sur les motifs exogènes. Bientôt, le nombre d’années d’indépendance dépassera celui de la colonisation. L’Afrique s’éveillera le jour où elle comprendra que le combat qu’elle doit mener, a tout à voir avec l’économie.






Dr. Yoro Dia, Politologue,
ancien ministre porte-parole de la présidence de la République du Sénégal

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