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La relève

Ils sont jeunes, intellos, drôles et courageux. Cette nouvelle génération de journalistes n’hésite pas à monter au front pour défendre la liberté de pensée. Eugénie Bastié, Charlotte d’Ornellas Alexandre Devecchio, Gauthier Le Bret, Geoffroy Lejeune et Arthur de Watrigant représentent toutes les nuances de la droite culturelle. Et donnent un sacré coup de vieux à Plenel, Aphatie et autres curés francintériens. Récit d’un casse médiatique.


Leur héros c’est Cyrano, mais ils ont tous quelque chose de Rubempré. Ils sont le cauchemar du clergé médiatique, ou ils devraient l’être. Depuis quelques années, ces jeunes-turcs du journalisme font allègrement feu sur le quartier général, occupant des positions stratégiques autour de la citadelle assiégée. Ils n’ont pas encore pris le palais d’Hiver d’ailleurs, on espère qu’ils ne le prendront jamais complètement et ne seront donc pas tentés de remplacer une pesante hégémonie par une autre. En attendant, ils ont sacrément ébranlé le monopole des Plenel, Aphatie et autres curés francintériens. Lesquels, furieux, réclament à grands cris leur excommunication. On se rappelle la vague d’hystérie collective suscitée par l’arrivée de Geoffroy Lejeune au JDD à l’été 2023. Pétitions d’artistes, sportifs et abonnés au gaz, trémolos en tout genre, appels à la résistance : à 35 ans, le petit veinard a eu droit à sa quinzaine antifasciste pour lui tout seul.


Geoffroy Lejeune

© Guillaume Brunet-Lentz.

35 ans
Né à Avignon
École supérieure de journalisme de Paris
Directeur de la rédaction du Journal du dimanche

Votre révélation politique : Cela remonte à mon adolescence à Avignon, où j’ai été confronté à l’insécurité au quotidien, avant que beaucoup d’autres Français la connaissent hélas à leur tour.
Votre personnage historique préféré : Charette. Un sale gosse insubordonné, devenu un héros parce qu’il était révolté par l’injustice. Il a mené le combat jusqu’au bout et, suprême élégance, a choisi sa fin.
Votre meilleur souvenir audiovisuel : Mon passage en 2015 sur France 2 pour présenter mon premier livre, Une élection ordinaire (Ring). Ce jour-là, Laurent Ruquier, Yann Moix et Léa Salamé m’ont posé de vraies questions et m’ont laissé la chance de me défendre à armes égales.
Votre rêve d’interview : Gérard Depardieu.
Votre conseil de lecture pour l’été : N’importe quel livre de Sylvain Tesson ou de Nicolas Mathieu.
Votre héros dans la fiction : Cyrano de Bergerac. C’est tout l’esprit français résumé en une œuvre. Le dernier mot de la pièce : « panache ». Tiens, comme le nom de la plume blanche qui ornait le chapeau de Charrette !
Votre plan B si vous n’aviez pas été journaliste (ou quand vous ne le serez plus) : Comédien, chanteur ou président d’un club de foot ou de rugby.
Votre leader de gauche préféré : Le pape François.
La meilleure émission sur le service public audiovisuel selon vous : J’adorais « On n’est pas couché », de Laurent Ruquier sur France 2. On pouvait tout dire, face à des contradicteurs certes hostiles, mais honnêtes. C’est devenu si rare de nos jours sur cette chaîne…


Les six personnages qui figurent sur notre « une » ne sont pas une bande de copains, même s’il y a parmi eux des paires d’amis, plutôt des compagnons de route devenus frères d’armes dans les combats partagés – l’ardeur chevaleresque est leur marque de fabrique. Nous ne les avons pas choisis seulement par affection ou dilection, mais parce qu’ils forment une avant-garde. Et comme souvent, Debray est lumineux à ce sujet, ces précurseurs sont des héritiers. Connus du grand public pour leurs talents cathodiques et numériques, ces bosseurs sont d’abord des enfants de la presse. Ils lisent, ils écrivent, donc ils pensent. Et ils ont du pouvoir. Geoffroy Lejeune est aux manettes de son deuxième hebdomadaire, épaulé par la fidèle Charlotte d’Ornellas, Eugénie Bastié vient de gagner ses galons de rédac-chef au sein du premier quotidien français, Alexandre Devecchio y dirige les pages « Débats », devenues par leur pluralisme l’un des hauts lieux de la dispute française. Arthur de Watrigant a « fait sortir L’Incorrect de l’adolescence », à en croire son ami Mathieu Bock-Côté. Peut-être que l’un ou l’autre se lancera un jour en politique. Ou dans le showbiz. En tout cas, vous entendrez parler d’eux. Dans vingt ans, en regardant cette « une » de Causeur, on dira que nous avons eu du nez.

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Ces influenceurs de luxe sont (avec quelques autres qui nous pardonneront) les plus brillants éléments d’une nouvelle génération de journalistes de combat qui a entendu le message du président Jésus, comme dit l’ami Basile de Koch – n’ayez pas peur ! Ils ne cachent pas leur drapeau : ils sont journalistes et ils sont de droite – alliage longtemps tenu pour un oxymore. « C’est l’une des grandes nouveautés de l’époque, analyse Bastié. Les gens de droite votaient mais ils avaient déserté le champ idéologique. Les enfants de bonne famille optaient pour le business. Avec la Manif pour tous, ils ont découvert le militantisme et le combat culturel. Aujourd’hui, ils se tournent massivement vers les métiers de la transmission, l’enseignement, le journalisme, la culture, qu’ils avaient abandonnés à la gauche. »

Leurs détracteurs – qui confondent naturellement leurs propres opinions avec la vérité – leur dénient la qualité de journaliste (comme si c’était un pompon qu’on s’arrache). Pour notre commando, le journalisme est à la fois un outil pour interpréter le monde et une arme pour le transformer. « Il n’y a pas de contradiction entre éditorial et factuel, au contraire, observe Charlotte d’Ornellas. Comme journaliste, je parle de réalités que les autres médias taisent ou travestissent. Et ces réalités nourrissent ma vision du monde. » Penser librement, indépendamment de ses propres croyances et convictions, c’est ce que nombre de journalistes-de-gauche, confits dans leur bonne conscience, ont été incapables de faire, entraînant une grande partie de la corporation dans la médiocrité. Pour Bastié, le journalisme se situe à un « point d’équilibre entre l’exercice d’un pouvoir intellectuel et la recherche de la vérité » : « Je refuse de m’enfermer dans un couloir idéologique. Et je ne pourrais pas militer : répéter des éléments de langage ou approuver le chef, très peu pour moi ! »


Charlotte d’Ornellas


© Guillaume Brunet-Lentz.

38 ans, née à Orléans
Institut de philosophie comparée à Paris
Rédactrice en chef du service société au Journal du dimanche

Votre révélation politique : Je n’ai pas vraiment eu de « révélation » en la matière. Plutôt une évidence, celle de défendre ce que je suis et ce que je pense ! La seule chose qui m’insupporte, c’est le procès d’intention, en dehors de toute réalité de ce qui est réellement dit ou pensé.

Votre personnage favori dans l’histoire de France : Sans surprise… Jeanne d’Arc.

Votre conseil de lecture pour l’été : Il y a des dizaines de livres que je recommanderais, je ne sais jamais répondre à cette question, c’est tellement personnel. En écoutant récemment Franz-Olivier Giesbert parler des Croquis de mémoire (La Table ronde) de Jean Cau, j’ai eu envie de le lire. Ce que je suis en train de faire… et vous pouvez y aller !

Votre plan B si vous n’aviez pas été journaliste (ou quand vous ne le serez plus) : Institutrice ! J’ai toujours voulu être institutrice, puis professeur, parce que j’ai toujours trouvé que ce métier était à la fois l’un des plus importants et des plus beaux. Je le pense toujours d’ailleurs, mais un conseiller d’orientation m’a recommandé le journalisme… Métier que j’ai rapidement aimé pratiquer. C’est une manière de servir aussi mon pays, comme il en existe des milliers d’autres.

La meilleure émission sur le service public audiovisuel selon vous : Les reportages d’Arte, sans hésitation !


Cette troupe baroque représente toutes les nuances de droite culturelle, allant de « réac » assumé à conservateur, avec une dose variable de catholicisme, de libéralisme et de populisme. Eugénie Bastié s’est un brin assagie avec les années : « Dans ma jeunesse, je vomissais les tièdes, je ne lisais que Bloy, Dostoïevski ou Bernanos. Ensuite, j’ai découvert Tocqueville, Montesquieu. On peut dire que, de réac, je suis devenue conservatrice. » Foin de ces chichis et distinctions oiseuses, sans surprise, tous sont attaqués par les mêmes adversaires avec le même mot – extrême droite. Ils sont la preuve qu’il a perdu son pouvoir radioactif, un tour en ville avec n’importe lequel, en particulier avec les deux filles de la troupe, permet de mesurer leur popularité.  On dira que c’est l’effet CNews, puisque tous (comme ma pomme) officient sur la chaîne bolloréenne. Cependant, seul Gauthier Le Bret, le benjamin et le moins « idéologue », est un pur produit de la maison Canal – où, sur les plateaux de Praud et Hanouna il s’est révélé être une véritable bête de scène. Dans son collège catho, il aimait amuser la galerie et choquer le curé – à l’un d’eux qui, furieux contre le mariage pour tous, se demandait pourquoi ne pas épouser sa maison tant qu’on y est, le coquin a répondu : « Ce serait chouette, comme ça on aurait un rapport sexuel à chaque fois qu’on rentre chez soi. » Le lendemain de son bac, ce fils d’eurocrate embrasse sa copine (aujourd’hui son épouse), saute dans un Thalys et ciao Bruxelles ! Formé par le cours Florent et sa fréquentation assidue des théâtres et cinémas, le futur « petit scarabée » (surnom que lui a donné Praud) se frotte au journalisme comme stagiaire de Sonia Mabrouk tout en jouant avec Les Gavroches chapeautés, la compagnie qu’il a créée avec des copains de la Sorbonne. La pièce s’intitule, ça ne s’invente pas, Nous sommes ici pour changer le monde.  


Gauthier Le Bret

© Guillaume Brunet-Lentz.

29 ans, né à Clamart
Sorbonne, Centre de formation et de perfectionnement des journalistes, Cours Florent
Journaliste politique à CNews

Votre révélation politique : La campagne de 2007 et l’élection de Nicolas Sarkozy.

Votre personnage favori dans l’histoire de France : Napoléon.

Votre rêve d’interview : Macron évidemment, mais Trump aussi.

Votre conseil de lecture pour l’été : Histoire intime de Ve République (Gallimard), la trilogie de Franz-Olivier Giesbert, et son dernier, le si bien nommé Tragédie française.

Votre héros dans la fiction : OSS 117 dans la version de Michel Hazanavicius. Notamment quand il dit :« Une dictature, comme vous y allez. Vous êtes bien gentille Dolorès, mais épargnez-moi vos analyses politiques. Savez-vous au moins ce qu’est une dictature Dolorès ? Une dictature c’est quand les gens sont communistes, déjà. Qu’ils ont froid, avec des chapeaux gris et des chaussures à fermeture éclair. C’est ça, une dictature, Dolorès. »

Votre plan B si vous n’aviez pas été journaliste (ou quand vous ne le serez plus) : Comédien.

Votre leader de gauche préféré : Je peux me repasser en boucle Georges Marchais avec Duhamel et Elkabbach, et les entretiens de François Mitterrand. L’intelligence, le verbe, c’était autre chose que la Nupes.

La meilleure émission sur le service public audiovisuel selon vous : Rien n’a jamais égalé « On n’est pas couché » de Laurent Ruquier sur France 2.


Les autres comptent déjà quelques faits d’armes et blessures de guerre quand ils arrivent (en ordre dispersé) à CNews. Ils ont lu Michéa, Guilluy et Houellebecq, se sont croisés dans les cercles souverainistes, catholiques ou identitaires où fermentaient les prémices de l’union des droites, sur les pavés de la Manif pour tous ou encore dans les pages de Valeurs actuelles ou Causeur. Nés entre 1984 et 1995, ils n’ont connu ni Mitterrand ni le communisme mais ferraillent volontiers contre l’héritage de l’un comme de l’autre. Leur génération devait être celle de la mondialisation heureuse et de la fin de l’Histoire ; ils ont été les contemporains de la montée de l’islamisme et des Territoires perdus, des émeutes de banlieue, de la désindustrialisation et de la prolétarisation afférente des classes moyennes. Sans oublier la tripartition socio-territoriale de la France entre les centres-villes, les banlieues et la France périphérique, qui s’est opérée pendant leur adolescence.


Eugénie Bastié

© Guillaume Brunet-Lentz.

32 ans, née à Toulouse
Institut d’études politiques de Paris
Rédactrice en chef adjointe au Figaro

Votre révélation politique : La rencontre avec le sectarisme idéologique de la gauche lors de mes études à Sciences-Po.

Votre personnage favori dans l’histoire de France : La duchesse de Berry, jeune femme fantasque, princesse moderne et scandaleuse, furieusement ultra et contre-révolutionnaire.

Votre meilleur souvenir audiovisuel : Ma première télé à « Ce soir ou jamais », de Frédéric Taddeï sur France 2, avec Jacques Attali qui, à la fin hors antenne, m’a lancé que j’étais Zemmour, en pire. Ça m’a fait rire.

Votre rêve d’interview : La romancière J. K. Rowling.

Votre conseil de lecture pour l’été : Fortune de France (Le Livre de poche) de Robert Merle, une saga historique formidable où on suit une famille aristocratique protestante pendant les guerres de religion. Génial !

Votre héros dans la fiction : Cyrano de Bergerac.

Votre plan B si vous n’aviez pas été journaliste (ou quand vous ne le serez plus) : Présidente de la République.

Votre leader de gauche préféré : Henri IV.

La meilleure émission sur le service public audiovisuel selon vous : « Répliques » d’Alain Finkielkraut sur France Culture, évidemment !


Plusieurs ont vécu la même expérience fondatrice, celle de l’isolement, parfois de la dissimulation. « Sciences-Po, pour une étudiante venant d’un milieu catho de droite et provincial, c’était des portes fermées, raconte Bastié. La bourgeoisie catholique m’ennuyait. Pour les étudiants de gauche ou d’extrême gauche, j’étais une martienne. Quand j’ai commencé à écrire dans Causeur, beaucoup m’ont tourné le dos. Cependant, on pouvait encore dialoguer. Depuis, c’est devenu presque impossible. Quand on parle de sujets identitaires, c’est difficile de raccrocher ses idées au vestiaire et d’aller boire un coup. » Charlotte d’Ornellas, elle, a débarqué d’Orléans pour étudier la philo, avec l’intention de devenir institutrice et des rêves de Jeanne d’Arc plein la tête – chez elle on vénérait la Pucelle. « Être à contre-courant, ça m’a fait grandir. Et ça forge le caractère. » D’Ornellas est une pure, c’est pour ça que la France CNews l’adore. Elle aussi est prête à croiser le fer pour sauver la France. Plus âgé et plus anar, un chouia punk, Arthur de Watrigant est entré en politique en 2006, lors des grèves contre le CPE. « Je séchais les cours à la Catho pour aller débloquer la Sorbonne ! » Dix ans après, il s’engage avec Charles Millon dans la campagne de François Fillon. Tous ont cru que le Sarthois enrayerait la spirale du déclin avant d’assister, révoltés, à la curée de campagne qui (en plus de ses erreurs notables) a causé sa perte. Épris de grandeur, ils ne se résolvent pas à voir leur pays devenir un hall d’aéroport, une nation MacDo où on vient comme on est.


Arthur de Watrigant

© Guillaume Brunet-Lentz.

40 ans
Né à Paris 14 e , vit à Paris 14 e et mourra à Paris 14 e
Bac
Directeur de la rédaction de L’Incorrect

Votre révélation politique : Le mouvement contre le CPE en 2006. Je séchais ma première année de fac d’histoire (que je n’ai jamais validée), mon université n’était pas bloquée, mais je manifestais contre les blocages à la Sorbonne. Première rencontre avec les gauchistes et leur amour de la démocratie dans les AG. Mais la révélation s’est confirmée avec les Manifs pour tous en 2013. La naissance de beaucoup de vocations, il me semble.

Votre personnage favori dans l’histoire de France : François Athanase Charette de La Contrie, le plus punk des Vendéens qui savait fêter les victoires. Notre ami Romaric Sangars m’a rapporté cette citation, probablement apocryphe, mais merveilleuse : « La joie était dans notre camp. »

Votre rêve d’interview : Fellini, mais comme il est mort ça sera avec son fils spirituel, l’immense Sorrentino.

Votre conseil de lecture pour l’été : Après une telle année, il nous faut rire. Donc Richard Millet et ses Nouveaux lieux communs (La Nouvelle Librairie), d’une cruauté jouissive ; et La fête est finie d’Olivier Maulin (Denoël), le roman le plus drôle de toute la galaxie. Et puis on ajoutera En arrivant au Paradis (Le Cerf) de Richard de Seze qui, enfin, donne envie d’y aller.

Votre héros dans la fiction : Cyrano, parce que c’est un Gascon et que la Gascogne est l’âme de la France.

Votre plan B si vous n’aviez pas été journaliste (ou quand vous ne le serez plus) : Bistrotier.

Votre leader de gauche préféré : Xavier Bertrand. Une telle persévérance dans la lutte contre le fascisme est admirable.

La meilleure émission sur le service public audiovisuel selon vous : Le Tournoi des six nations en février, et le Tour de France en juillet.


Une autre figure tutélaire a marqué leur jeunesse. Ils ne se connaissaient pas, mais ils ont tous vu la même vierge et elle s’appelait Éric Zemmour. C’est en le voyant exécuter ses adversaires sur le plateau de Laurent Ruquier qu’ils ont aimé l’odeur de la poudre. Le Bret se passait en boucle ses morceaux de bravoure. Aujourd’hui, il se rêve en Ruquier de droite. « La première fois que j’ai vu Zemmour à “On n’est pas couchés”, ça a été une véritable épiphanie, s’amuse Bastié. Quelqu’un pouvait dire tout haut à la télé des choses qu’on murmurait en rasant les murs. » C’est l’époque où des journalistes affolés découvrent que des « néo-réacs noyautent les médias ». Ces hérétiques (dont votre servante) sont moins d’une dizaine, mais c’est déjà trop. Zemmour est l’homme à abattre. Eux le lisent avec passion, se nourrissant de son amour et de son inquiétude pour la France. Lejeune publie une fiction racontant sa candidature présidentielle –à la fin, me semble-t-il, il gagne. Depuis, sur fond de zizanies politiques, les liens se sont distendus. Devenir adulte, c’est aussi se libérer de ses mentors. N’empêche, Zemmour leur a donné le courage de sortir du placard. Sans lui, ils n’en seraient pas là.

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Reste à espérer que les petits cochons de la politique ne les mangeront pas. Ils ne s’en cachent pas, ils observent avec sympathie la possible arrivée aux manettes d’un pouvoir plus proche de leurs aspirations que tous ceux qu’ils ont connus. « Le RN n’est pas un parti conservateur, mais il a chez eux plus de conservateurs qu’ailleurs, admet Watrigant. Et dans ces périodes, tout le monde devient un peu binaire, y compris chez nous. Mais L’Incorrect ne sera pas le journal de Bardella ni de quiconque. Je n’ai pas l’esprit militant. » Après des années de marginalité politico-idéologique, il n’est pas si facile de résister à la tentation de la bonne conscience. Elle a fait son œuvre à gauche où on appelle « intellectuel » ou « journaliste » un épurateur déguisé en dame patronnesse. Le seul moyen d’empêcher que le conformisme de droite remplace le conformisme de gauche, c’est l’adversité, le débat à la loyale. Argument contre argument. Seulement, pour la bagarre, il faut être deux. Aujourd’hui Charlotte, Alexandre, Gauthier et les autres n’ont pas d’équivalent sur l’autre rive. Et, s’il me faut leur faire un reproche, c’est de ne pas défendre assez la liberté de leurs adversaires, la preuve par l’affaire Meurice.


Alexandre Devecchio

© Guillaume Brunet-Lentz.

37 ans
Né à Enghien-les-Bains
Master d’histoire, Centre de formation des journalistes
Rédacteur en chef au Figaro

Votre révélation politique : Le référendum de 2005. La première fois que je votais. Le clivage autour de la question du souverainisme me semble toujours autant d’actualité.

Votre personnage historique préféré : Danton. Nous vivons une période révolutionnaire. Dans le sens où il y a une crise de régime et probablement un changement d’ère. Nous sommes en 1788-1789. Reste à savoir si nous pourrons éviter 1793. Et puis Danton au cinéma, c’est Depardieu !

Votre meilleur souvenir audiovisuel : Le grand entretien que j’ai tourné avec Alain Finkielkraut pour la nouvelle série d’émissions sur la vie des idées que je proposerai à la rentrée sur Canal + : « Itinéraire d’une pensée ».

Votre rêve d’interview : Clint Eastwood. Son cinéma est populaire, peut-être même trumpiste avant l’heure. J’aimerais en discuter avec lui.

Votre conseil de lecture pour l’été : Moi, Charlotte Simmons (Pocket) de Tom Wolfe. Récit d’un « désapprentissage » dans une université américaine il y a vingt ans. D’une certaine manière, il prophétisait le wokisme. Wolfe, c’est le Balzac américain. Comme l’auteur de La Comédie humaine, il décrit puissamment son époque avec le talent d’un sociologue, mais sans tomber dans le récit sociologique. Une vraie ampleur romanesque.

Votre héros dans la fiction : Indiana Jones.

Votre plan B si vous n’aviez pas été journaliste (ou quand vous ne le serez plus) : Réalisateur de films.

Votre leader de gauche préféré : Jean-Pierre Chevènement.

La meilleure émission sur le service public audiovisuel selon vous : J’adorais « Tout le monde en parle » de Thierry Ardisson sur France 2. On ne pourrait plus faire une émission comme ça maintenant.


En 1794, peu avant sa mort, Camille Desmoulins, le père du journalisme de gauche, écrivait dans Le Vieux Cordelier : « La liberté de la presse seule nous a menés, comme par la main, et a renversé une monarchie de quinze siècles, presque sans effusion de sang. » Qui, aujourd’hui, pour s’inspirer de lui dans le camp du progrès ? Pour remiser le mégaphone braillard, la banderole haineuse, le keffieh ambigu ? Qui, pour préférer les livres et la plume aux slogans antifa et aux chasses en meute ? La « génération réac » a produit des journalistes de haute tenue, on attend encore ceux de la « génération woke » (catégories établies par Devecchio dans Les Nouveaux Enfants du siècle). Au pays de Desmoulins, les âmes progressistes sont hélas devenues des moulins à prières. On attend qu’une alternative intellectuelle naisse du champ de ruines qu’est la gauche, dynamitée par les assauts répétés du réel. De sorte que nos jeunes amis puissent toujours, comme le recommandait Montaigne, « frotter leur cervelle contre celle d’austruy ».

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