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Jeux olympiques : la forte hausse des assignations à résidence inquiète les avocats

Jeux olympiques : la forte hausse des assignations à résidence inquiète les avocats

155 personnes se sont vus notifier une mesure de contrôle, les obligeant à pointer chaque jour dans leur commissariat et leur interdisant de quitter leur quartier. La mesure, instaurée par la loi antiterroriste de 2017, frappe fort ces dernières semaines.

Charifa a informé ses employeurs pleurant au téléphone, elle ne pourrait plus garder leur bébé les prochaines semaines. Le 15 juillet, des policiers se sont présentés à son domicile, convocation au commissariat, où la trentenaire, née en Algérie, résidant en France depuis onze ans, sans aucun antécédent judiciaire, apprend qu’elle fait l’objet d’une Micas, une "mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance". La Micas est un instrument instauré par la loi antiterroriste de 2017, directement inspiré de l’état d’urgence. Or ces dernières semaines, les Micas pleuvent, manifestant d’un climat sécuritaire tendu à la veille des Jeux olympiques.

155 mesures d’interdiction ont été prises ce mois-ci, selon le ministère de l’Intérieur, trois fois plus qu’en juillet 2023. Un triplement visant à éloigner des sites olympiques "les personnes suivies, toutes proches des mouvances d’extrême droite, d’extrême gauche et islamistes", commente-t-on Place Beauvau, où l’on fait observer que ces mesures d’interdiction sont validées par les tribunaux administratifs lorsqu’elles y font l’objet d’une contestation. Ces Micas indignent les avocats, s’alarmant de telles interdictions suspendant, sans débat contradictoire, les libertés d’aller et de venir de ces individus. En témoigne l’histoire de Cherifa, sommée de pointer chaque matin, à 8 heures, au commissariat de sa commune dans les Hauts-de-Seine, interdite "de se déplacer en dehors du territoire de sa commune". Ses employeurs lui confiant leur enfant dans une ville limitrophe, elle ne peut plus travailler. Si Cherifa n’a plus le droit de quitter sa ville de résidence dans les trois prochains mois, c’est que, selon ce texte du ministère de l’Intérieur, son compte TikTok aurait relayé, en mars et en avril, des messages prodjihadistes, issus d’un autre compte suivi lui par 1 450 personnes. Son compte aurait également diffusé une image d’un drapeau noir avec un index pointé vers le ciel, "symboles de l’organisation Daech".

La mesure d’interdiction fait référence au "cadre des Jeux olympiques", comme au "passage de la flamme olympique" dans la commune où elle réside, des événements "exposés à un risque majeur d’attaque terroriste", précise l'arrêté du ministère. Cherifa assure que son compte a été piraté, elle réprouve ces messages dont elle jure ne pas être l’auteure. La jeune femme, ancienne salariée d’un Ephad, n’a jamais parue suspecte d’une quelconque connivence avec la mouvance islamiste à ses employeurs, la salariant depuis trois ans, qui tombent des nues, convaincus de sa probité. Fanny Velasco, avocate au cabinet de Marie Dosé, confirme traiter ces derniers jours un afflux de Micas, recevant de nombreux appels de confrères également submergés.

"Je rappelle que Sana est une victime"

"C’est le système de sécurité des Jeux olympiques, un système très coercitif", s’indigne la juriste. Qui évoque le cas de sa cliente, Sana, mineure demeurant dans le nord de la France, ayant reçu une Micas le 28 juin, la troisième. Une première Micas lui fut imposée en janvier 2023, et renouvelée une fois. La jeune fille fut emmenée, en 2014, de force, par sa mère pour rejoindre en Syrie l’Etat islamique, où elle fut contrainte de contracter un mariage religieux. Revenue en France, l’enfant n’a jamais été mise en examen, son arrêté d’expulsion demandé par la préfecture du Nord fut d’ailleurs suspendu en octobre dernier par le tribunal administratif, elle est accompagnée par l’Aide sociale à l’enfance (ASE). L’obligation de pointer chaque jour et l’interdiction de quitter son quartier obligent Me Velasco à demander un sauf-conduit quand la jeune fille doit se rendre à ses rendez-vous auprès des éducateurs de l’ASE. "Je rappelle que Sana est une victime, elle fut enlevée et contrainte par sa mère ; pourquoi lui interdire de circuler pendant les Jeux olympiques ?" s’interroge Me Velasco.

Parmi ses dossiers, le cas de Denis, prénom d’emprunt, demeurant près de Perpignan, qui fut condamné voici plusieurs années et a purgé sa peine. Fin mai, Denis a reçu une Micas, "elle l’empêche d’exécuter ses obligations et je dois demander une mainlevée pour qu’il puisse honorer ses rendez-vous à Pôle emploi", signale son avocate Me Valesco. Louise Alvena Hubert, avocate elle aussi au barreau de Paris, raconte pour sa part l’histoire d’un père de deux petites filles, cadre supérieur dans une entreprise de télécoms, qui reçut le 16 juillet une Micas. Le quadragénaire, salafiste, sans aucun casier judiciaire, se voit ce matin-là notifier par les policiers sonnant à son domicile dans le Val-de-Marne qu’il devra désormais pointer chaque jour à midi au commissariat. Horaire rendant son activité professionnelle impossible à exercer. Une carte de sa commune lui est alors remise, sur laquelle un tracé indique la zone dans laquelle il lui est demandé de demeurer strictement les trois prochains mois. "C’est une punition pour toute sa famille au seul motif que ce monsieur, parfaitement inséré, pratique une religion orthodoxe rigoriste", s’indigne son avocate, qui évoque chez son client "un sentiment d’injustice et d’impuissance, une honte".

Ce quadragénaire s’apprêtait à profiter de vacances familiales – des billets pour Disneyland, une visite à la grand-mère –, loisirs qui lui sont désormais interdits. La Micas est donnée pour trois mois, renouvelables, elle n’a pas à étayer les éléments à l’origine de sa décision, et aucune audition contradictoire, respectueuse des droits de la défense, n’est prévue dans cet instrument relevant de l’état d’urgence. "Quand on reçoit une Micas, on a huit jours pour émettre des observations via un courrier au ministère, on peut y demander des aménagements de périmètre par exemple, explique Me Hubert, le ministère répond par courrier électronique s’il accepte ou refuse, il ne motive pas. Ensuite, il est possible de saisir un tribunal administratif, mais leurs calendriers sont tellement encombrés que les audiences tardent." Sécuriser les Jeux olympiques paraît autoriser "un cadre extrajudiciaire", selon la confidence d’un haut responsable de la préfecture de police de Paris.

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