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James K. Galbraith, ex-conseiller de Bernie Sanders : "Kamala Harris n’a pas de pensée économique"

James K. Galbraith, ex-conseiller de Bernie Sanders :

La critique est au vitriol. Et elle ne vient pas du camp républicain mais de l’aile gauche des démocrates : James K. Galbraith est économiste, professeur à l’Université du Texas… et fils de John Kenneth Galbraith, qui conseilla Kennedy notamment. Il y a cinq ans, James Galbraith fut, lui, le conseiller économique de Bernie Sanders, l’opposant de Joe Biden aux primaires démocrates. Le bilan économique du président sortant ? Satisfaisant, mais sur le papier seulement, explique-t-il. La pensée économique de Kamala Harris ? Inexistante. Le programme économique de Trump ? Dangereux pour la croissance, l’inflation et le pouvoir d’achat des Américains, même si J.D. Vance a quelques idées intéressantes. Une interview exclusive.

L’Express : Comment jugez-vous le bilan économique de Joe Biden ?

James Kenneth Galbraith. Sur le strict plan macroéconomique, ce bilan est plutôt bon. Que ce soit en termes d’évolution du taux de chômage ou de croissance du PIB, les résultats sont très satisfaisants pour les économistes. Sauf que ces performances sont très théoriques car ce n’est pas ce que ressentent et vivent au quotidien les électeurs. Pourquoi ? Parce qu’un taux de chômage très bas comme nous avons aujourd’hui n’a pas la même signification qu’il y a 20 ou 30 ans. Et ce point est très important. Si le chômage est tellement bas c’est aussi le résultat d’un effet d’optique : beaucoup d’Américains se sont tout simplement retirés du marché de l’emploi, pour cause de rémunérations trop basses. D’où les pénuries de main-d’œuvre que l’on observe partout et notamment dans tous les métiers de service.

La bonne santé du marché de l’emploi ne s’accompagne donc pas d’un sentiment de sécurité économique. Et Biden n’a pas réussi à inverser cette tendance. L’inflation a certes ralenti depuis le pic de 2023 mais les prix alimentaires et l’énergie ont tout de même grimpé de près de 20 à 30 % ces dernières années. Or les salaires n’ont pas suivi. La marge entre ce que j’appellerais les coûts fixes d’un ménage (remboursement hypothécaire, alimentation, essence…) s’est considérablement réduite. D’où la déception d’une partie des Américains et notamment de la classe moyenne et populaire.

De grands plans d’infrastructures ont pourtant été lancés. Quant à l’Inflation Reduction Act, il a aussi largement soutenu la réindustrialisation du pays, avec des résultats visibles, non ?

Certes, beaucoup d’argent public a été dépensé. La réindustrialisation est manifeste dans les chiffres macro-économiques mais visible seulement dans certains Etats. Et dans ceux où les fermetures d’usines avaient été très nombreuses par le passé comme le Michigan, le Wisconsin, la Pennsylvanie ou encore le Nevada, la renaissance industrielle est limitée. Or ce sont ces Etats qui feront la bascule lors des élections de novembre prochain. Ailleurs, les jeux sont déjà pratiquement faits : on sait très bien que le Texas votera républicain et la Californie démocrate.

Quelle est la pensée économique de Kamala Harris ?

Sincèrement je ne sais pas ! Je ne suis pas certain du tout qu’elle ait une pensée économique propre. Kamala Harris a joué un rôle ; elle lit un script qu’on a écrit pour elle. Elle n’a pas signé de papiers majeurs sur ce sujet, ni prononcé de discours fondateur. Je connaissais bien son père qui était un brillant économiste – marxiste - de Stanford… Aujourd’hui, sur le volet économique, le Parti démocrate balance entre deux visions. Celle de Biden, très keynésienne, très centrée sur l’investissement public, assez indifférente à la question de la dette et finalement assez protectionniste. Et le courant porté par Obama, plus ouvert sur le monde, plus globaliste, plus libéral aussi. Je ne sais pas de quel côté elle va se ranger même si on la présente plutôt à gauche du parti. En réalité, je pense que ce n’est pas elle qui va choisir.

En matière économique, quelles mesures fortes les démocrates devaient-ils pousser ?

J’en vois trois. La première : une augmentation substantielle du salaire minimum au niveau fédéral pour changer radicalement la vie de millions d’Américains qui travaillent dans les services et sont obligés souvent d’avoir deux jobs pour vivre dignement compte tenu du coût de la vie. Deuxièmement, la garantie de l’emploi. Troisièmement, un changement radical de politique monétaire. C’est une question fondamentale et pourtant peu évoquée. Doit-on continuer d’avoir une vision hégémonique du dollar ou accepter d’aller vers un monde où le rôle du billet vert sera moins important ?

Je suis favorable à cette deuxième voie. Mais cela veut dire que le dollar doit baisser drastiquement. C’est d’ailleurs la seule condition pour que le pays se réindustrialise réellement. Or la Réserve fédérale s’évertue à conserver des taux d’intérêt élevés - 5 % - alors que l’inflation a reflué, dans le seul but d’inciter les investisseurs à conserver du billet vert dans leurs portefeuilles. Cette idéologie est obsolète. Je constate que le seul qui a mentionné ce sujet est J.D. Vance, le colistier de Trump…

Justement, vous parlez du programme économique de Donal Trump : l’ex-président promet une remontée très forte des droits de douane. N’est-ce pas dangereux pour l‘économie américaine et l’inflation ?

Évidemment ! Car l’essentiel de la consommation des ménages dépend de nos importations. Ceux qui proposent ce choc protectionniste ne comprennent pas ce qui se passe en Chine. L’industrie chinoise est tellement efficace qu’elle a la capacité de baisser ses prix et d’augmenter encore ses volumes pour continuer à exporter et compenser l’accroissement des droits de douane. Cette rhétorique des économistes est totalement superficielle.

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