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Crise au Venezuela : "Maduro va durcir la répression, à la manière du régime cubain"

Crise au Venezuela :

Depuis l’âge de la domination espagnole, lorsque le Venezuela était la "caserne" de la colonie, ce sont toujours les militaires qui détiennent les clefs du pouvoir et décident de l’avenir du pays. Alors qu’à la suite d’une nouvelle fraude électorale grossière, la pression de la rue s’accroît sur le pouvoir de Nicolás Maduro, l’armée est une fois de plus au cœur de la partie politique. Telle est l’analyse de Mariasol Pérez Schael, intellectuelle vénézuélienne et autrice de nombreux ouvrages sur son pays dans lesquels elle examine les mœurs politiques, les systèmes politiques ou encore la "malédiction du pétrole".

Après vingt-cinq ans de dictature tropicale, sous Chavez puis Maduro, le pays peut-il renouer avec la démocratie à laquelle les 28 millions de Vénézuéliens aspirent tant ? Celle qui fut éditorialiste et gérante d’un magazine renommé (Exceso, qui a fermé ses portes sous la pression de feu Hugo Chavez) pensent plutôt que le pays va se refermer et la répression, se durcir.

L’Express : Comment évaluez-vous la situation au Venezuela ?

Mariasol Pérez Schael : D’après ce que je vois et les informations qui me parviennent, Nicolás Maduro est sur la défensive, en mode panique. Le fait que, dans les quartiers populaires, on déboulonne des statues de Chavez et que sa tête en métal roule sur le pavé, l’inquiète forcément. Il a coupé les liaisons aériennes vers le Panama et la République dominicaine, qui sont les deux pays de transit pour les Vénézuéliens qui veulent entrer ou sortir du pays. Maduro a aussi expulsé des observateurs appartenant aux missions diplomatiques d’Argentine, du Panama, du Costa Rica et d’autres pays encore. Le centre Carter et tout son personnel ont quitté le pays.

J’ai l’impression qu’il essaye de fermer les frontières et d’entamer un repli sur soi, à la manière du régime cubain. Maduro ne veut pas non plus que les Vénézuéliens reprennent le chemin de l’exode à pied en direction de la Colombie et du Brésil voisins, ce qui créé des tensions politiques avec ces pays et, par ricochet, accentue la pression sur Caracas. Le régime va envisager de retirer les passeports aux personnes qui en sont détentrices. La répression risque de se durcir.

Mariasol Pérez Schael, intellectuelle vénézuélienne, auteure, notamment, de
Mariasol Pérez Schael, intellectuelle vénézuélienne, auteure, notamment, de "Pétroleo, cultura y poder en Venezuela"

Déjà 8 millions de Vénézuéliens ont quitté le pays et si les choses se tendent, beaucoup vont songer à un avenir meilleur ailleurs. Songez qu’au Venezuela, les élèves ne vont à l’école que deux jours par semaine. Pour survivre, les enseignants sont obligés de faire des petits boulots, comme vendeur de rue ou chauffeur de taxi. Ils n’ont pas le temps d’enseigner à plein temps. D’où la pénurie de maîtres et maîtresses d’écoles et des profs de lycées. La situation est également désastreuse dans le système de santé.

Le problème vénézuélien est international ?

Tous les pays du continent, au Nord et au Sud, sont impactés. Terre de transit vers les Etats-Unis, le Mexique voudrait éviter qu’à nouveau des dizaines ou plutôt des centaines de milliers de Vénézuéliens transitent ou s’installent chez eux. Mexico, dont le gouvernement est à gauche, réfléchit à la meilleure déclaration à faire du point de vue diplomatique. Les Américains, qui cette année avaient entamé un rapprochement avec Maduro, en espérant l’amadouer et infléchir le cours des choses, doivent tout reprendre à zéro. Ils avaient levé une partie des sanctions et redémarré chez nous une activité pétrolière limitée. En agissant ainsi, Washington s’attendait à une certaine ouverture de la part de Maduro qui avait affirmé qu’il respecterait le résultat du scrutin présidentiel. En définitive, je pense que Maduro fera le choix de la fermeture du Venezuela car il n’a guère d’autres options.

Que peut faire l’opposition ?

Son objectif est que Maduro quitte le pays, y compris avec des valises pleines d’argent s’il le faut. Dans l’intérêt du Venezuela, il faut que cesse ce régime dictatorial qui détruit le pays depuis vingt-cinq ans. La stratégie de Maria Corina Machado est d’enfoncer un coin entre Nicolás Maduro et les militaires. Le soutien de ces derniers constitue l’élément clef en vue de la stabilité du pays. Si la pression de la rue se maintient au point que cela fasse réfléchir l’armée, alors il est possible que Maduro doive négocier. En 1959, sous le dictateur Marco Perez Jimenez, la situation était la même. Après un scrutin truqué, le régime avait tenté de maquiller sa défaite en victoire. Après un peu plus d’un mois, la pression de la rue avait eu un effet sur les militaires qui avaient déposé le tyran (NDLR : les Forces armées ont affirmé ce mardi soir leur "loyauté absolue" à Maduro).

La cheffe de l'opposition au Venezuela, Maria Corina Machado, à Caracas le 29 juillet 2024
La cheffe de l'opposition au Venezuela, Maria Corina Machado, à Caracas le 29 juillet 2024

Dans l’histoire du Venezuela, c’est toujours l’armée qui tranche en dernier. Il ne faut pas oublier que pendant la colonie, le Venezuela était la caserne de l’Espagne en Amérique du Sud. Les militaires y ont toujours joué un rôle prédominant. Le père des Indépendances Simon Bolivar était un civil qui, une fois devenu militaire, a imposé l’ordre par les forces armées. Au XIXe siècle, nombre de caudillos en uniforme se sont succédé à la tête du pays qui a été fondé, bâti et développé par les militaires. C’est un pays très différent de la Colombie où les civils, descendants d’Espagnols, ont toujours tenu les rênes du pouvoir avec un grand sens de l’Etat et des institutions. Dans les années 1960, la démocratie vénézuélienne s’est construite sur le Pacte de Punto Fijo qui a permis une entente des deux grands partis politiques faisant contrepoids aux militaires. Cela a tenu jusqu’à l’arrivée de Chavez. Après ses deux coups d’Etat manqués en 1992, il s’est présenté sous des habits civils et une fois arrivé au pouvoir par les urnes, en 1999, il a remis son treillis de lieutenant-colonel et installé un régime d’officiers.

A quelle date, selon vous, la démocratie a-t-elle pris fin ?

Très peu de temps après l’avènement d’Hugo Chavez. A peine arrivé aux manettes en décembre 1999, il a noyauté le système judiciaire et évincé tous les magistrats qui n’avaient pas un profil conforme à ses idées autoritaires. J’ai assisté à ça en première ligne car, à l’époque, je travaillais dans une ONG qui, précisément, s’était fixée pour objet d’observer les épurations en cours dans les tribunaux. D’abord, ils ont évalué les CV des juges. Puis, ils ont viré ceux qu’ils ne le jugeaient pas "fiables". Enfin, ils nous ont chassés, nous, les membres de cette ONG, Veedores. Au même moment, ils se sont attaqués, avec les mêmes méthodes, au Conseil national électoral (CNE) qui organise les élections et proclame les résultats. En 2004, c’est la Cour suprême qui est passée sous la coupe réglée des chavistes.

La presse indépendante et les médias critiques ont, eux, été attaqués dès 2000 par la méthode du boa constrictor. Ils ont été étouffés par des voies juridiques, avec des procès en diffamation. Puis, ils ont aussi été privés de la manne publicitaire d’Etat. La puissante compagnie pétrolière nationale, qui arrosait tous les médias de ses juteux contrats publicitaires, leur a coupé les vivres, privilégiant les organes de presse aux ordres. A cela se sont ajoutées intimidations, pressions et, parfois, agressions contre des journalistes et directeurs de journaux et de chaînes télé. Il y a aussi eu des manifestations populaires téléguidées par le pouvoir devant le siège de certains journaux. Pour finir, le régime a exproprié plusieurs détenteurs de médias.

Pour vous donner une idée de l’environnement médiatique actuel, il ne reste plus que deux chaînes de télévision privées… qui se consacrent presque exclusivement au divertissement. A côté de cela, il existe cinq chaînes contrôlées par le pouvoir, qui diffusent la bonne parole politique. Enfin, il y a deux chaînes liées au pouvoir religieux. Voilà l’univers médiatique dans lequel baignent ceux, majoritaires, qui n’ont pas les moyens de se payer la fibre.

Cependant, depuis un quart de siècle, des élections continuent d’être organisées…

Certes, mais depuis le début, le régime de Chavez s’est employé à enfreindre l’exercice du droit de vote. Les inscriptions sur les listes électorales étaient passées au peigne fin afin d’éliminer les électeurs qui ne leur semblaient pas fiables et les empêcher de voter. Les jours d’élection, il était fréquent que des coupures d’électricité ralentissent la tenue des scrutins. Je me souviens un jour avoir voté à 10 heures du matin et de n’avoir pu déposer mon bulletin dans l’urne qu’à 6 heures de l’après-midi.

Entre-temps, un nombre incalculable d’électeurs s’étaient découragés, avaient rebroussé chemin, étaient rentrés chez eux, à cause du soleil et la chaleur insupportables. Le régime a fait les choses habilement, usant d’une stratégie soft qui leur a permis de déconstruire la démocratie sans trop prêter le flanc aux critiques internationales. Pour les observateurs étrangers, tous ces subterfuges ne sont pas faciles à déceler. Les jours de scrutins, les étrangers de passage voient en effet des files d’électeurs devant les bureaux de vote. Ce qu’ils ne voient pas, ce sont le découragement des gens qui renoncent à voter, les pannes électriques, les "bugs" des urnes électroniques et tous les gens de la fonction publique qui subissent des pressions pour aller voter conformément aux directives.

Un manifestant donne un coup de pied dans une bannière de campagne du président vénézuélien Nicolas Maduro lors d'une manifestation à Valencia (Etat de Carabobo), au Venezuela, le 29 juillet 2024
Un manifestant donne un coup de pied dans une bannière de campagne du président vénézuélien Nicolas Maduro lors d'une manifestation à Valencia (Etat de Carabobo), au Venezuela, le 29 juillet 2024

Pourquoi le scrutin de dimanche dernier est-il différent ?

La fraude n’est pas une nouveauté. Elle a lieu depuis bien longtemps par différents moyens. En 2012, par exemple, le candidat d’opposition Henrique Capriles a remporté le scrutin. Mais il n’a pris aucune mesure pour démontrer la fraude ni défendre et protéger sa victoire. Le régime a facilement pu maquiller sa victoire en défaite sans être contredit. Aujourd’hui, c’est différent. Outre l’immense mobilisation populaire qui dure depuis des mois et rend invraisemblable la défaite de l’opposition, Maria Corina Machado, qui est une ingénieure doublée d’une stratège a pris des dispositions pour contrer la fraude.

Par exemple, des groupes électrogènes ont été positionnés près des bureaux de vote pour suppléer aux coupures d’électricité et rétablir immédiatement le courant en cas de tentative de triche. Aussi, il a été possible de suivre et accompagner le dépouillement du scrutin jusqu’au document de synthèse final. Ainsi l’opposition a pu surveiller le comptage et accéder aux documents attestant les résultats des votes dans 72 % des bureaux de votes. Voilà pourquoi l’opposition affirme qu’elle détient les preuves de sa victoire.

A tous les bulletins de vote contre Maduro, il faut ajouter les 8 millions de Vénézuéliens en exil qui n’ont pas pu voter. Il faut considérer que tous ces gens, qui ont d’abord "voté avec leurs pieds" en quittant le pays, sont des opposants. Il faudrait additionner toutes leurs voix car il est clair et net qu’ils rejettent le maduro-chavisme.

En France, où se trouvent 40 000 Vénézuéliens, seulement 1 600 ont pu voter. En Espagne, où résident 220 000 compatriotes, seulement 2 500 ont accédé aux bureaux de vote. Après avoir reçu les formulaires d’inscriptions sur les listes voilà quelques semaines, les fonctionnaires consulaires leur ont renvoyé des documents deux jours plus tard pour leur signifier qu’il y avait un prétendu vice dans leur procédure de demande et que, "hélas", ils ne pourraient pas participer au scrutin le jour du vote.

Malgré tout, il reste tout de même 30 % des gens qui ont probablement voté pour Maduro de bon cœur…

Oui mais il faut comprendre qu’il y a parmi eux des gens qui travaillent pour l’État et bénéficient du système, d’autres qui sont idéologiquement proches du chavisme et d’autres encore qui ont peur du système et se sentent obligés de voter pour le régime en place, notamment une partie des fonctionnaires.

La pression internationale peut-elle faire tomber Maduro ?

Non, car il peut choisir la voie de l’isolement grâce à l’appui de la Chine et de la Russie, qui peuvent soutenir financièrement le régime. Cependant, comme je l’ai dit, si une fracture apparaît au cœur du système, notamment dans l’armée, alors tout peut changer. Dans ce cas, les Russes comme les Cubains – tout-puissants soient-ils – seront obligés d’abandonner la partie et de s’en aller. Sinon, il y aura une confrontation entre différentes factions… Je ne parle pas qu’une guerre civile car ce n’est pas l’état d’esprit actuel des Vénézuéliens.

En tout cas, j’espère que Maduro tombera car, sinon, le régime se durcira à coup sûr. Je sais que c’est difficile à entendre pour certains compatriotes qui ont perdu leurs enfants lors des répressions contre les manifestants en 2017 (NDLR : 140 adolescents tués par les forces de l’ordre dans les rues de Caracas) mais il faut en passer par la négociation. C’est la meilleure solution pour une transition pacifique. Le mieux est que Nicolás Maduro et sa clique s’en aillent tranquillement, pour vivre heureux au Mexique ou en Russie avec l’argent qu’ils auront pillé. Et qu’ils laissent notre beau pays tranquille.

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