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Déménager pour étudier : des conséquences pour les jeunes comme pour les régions

Amélie Soubie, Doctorante en géographie, Université Bordeaux Montaigne

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Dans les grandes villes étudiantes comme Toulouse, Rennes ou Strasbourg, des milliers de jeunes affluent à la sortie du lycée. La structure d’âge fait un virage : dans ces villes, on trouvera bien plus de jeunes de 18 ans que de jeunes de 17 ans. Au bout de trois ans, soit la durée d’une licence, le mécanisme s’enclenche de nouveau : on va faire son master ailleurs, ou encore on choisit d’arrêter ses études et on se déplace au rythme d’une autre musique, celle des opportunités d’emploi.

Nouvelles configurations pour les territoires

Paris accueille les « provinciaux » qui viennent finaliser leurs études dans des écoles prestigieuses ou des masters renommés, puis chercher un premier emploi à la capitale.

Les villes étudiantes les plus solides, comme Toulouse, confirment leur attractivité en employant leurs jeunes diplômés à la sortie des études. Les autres, comme Bordeaux, voient leur nombre de diplômés revenir à leur nombre de lycéens, bien que la nature de la population ait changé : un brassage a eu lieu entre ceux qui n’ont jamais bougé, ceux qui sont partis, ceux qui sont arrivés après et ceux qui n’ont fait « que passer ».

Enfin, pour d’autres territoires, la mobilité étudiante est une préoccupation réelle, particulièrement dans un contexte où les études se démocratisent et s’allongent. Ce sont les territoires qui voient leurs jeunes partir. C’est le cas de la Corrèze, mais aussi du Morbihan, de l’Aveyron, du Pas-de-Calais… et des dizaines d’autres départements qui n’ont pas des formations et un cadre d’études suffisamment attractifs pour les jeunes lycéens remplissant leurs vœux sur Parcoursup.

Au moment des études, les jeunes partent… et ne reviennent pas toujours.

Partir pour les études, ce n’est pas simplement déménager pour réaliser la formation de son choix puis revenir, diplôme en poche, exercer sa profession dans son territoire d’origine. En réalité, la période des études donne lieu à ce qu’on pourrait considérer comme une fuite des cerveaux à l’échelle nationale.

Les jeunes qui se déplacent le plus pour leurs études ont trois caractéristiques : ils viennent de territoires ruraux, de milieux aisés, et ils ont eu de bonnes notes au baccalauréat. Ceux qui partent ont les meilleurs résultats scolaires, et une fois diplômés c’est dans les villes qu’ils chercheront un emploi – bien qu’une partie retournera chez elle après quelques années.

Partir vers une grande ville pour faire ses études semble être un choix personnel. Mais, quand un lycéen de Carcassonne part faire ses études supérieures à Montpellier, est-ce que pour autant que Montpellier l’attire davantage ? Ce n’est pas si simple.

La loterie du code postal

Toute personne ayant cherché des formations sur Parcoursup l’a constaté : la plate-forme a beau proposer des milliers de formations, elles ne sont réparties ni également ni équitablement sur le territoire. Selon le lieu où l’on a grandi, on peut trouver autour de chez soi entre 3 500 formations et… 0.

Figure 2. La diversité de l’offre Parcoursup en France métropolitaine, 2023

Les académies, ces grandes unités administratives de l’Éducation nationale, sont organisées selon des logiques parfois très différentes : les formations peuvent être réparties entre plusieurs villes de la même académie (Nancy-Metz, Nantes-Angers), ou se regrouper principalement dans une seule.

Ainsi, dans les académies de Bordeaux ou de Toulouse, la majorité des formations post-bac sont regroupées sur une seule ville. Or ces deux académies sont aussi les plus vastes de France métropolitaine, ce qui se traduit pour le lycéen par des trajets plus longs pour accéder aux formations souhaitées. Dans l’académie de Guyane, grande comme les académies de Bordeaux et de Toulouse réunies, les problématiques de mobilité et d’accessibilité à l’Enseignement supérieur se posent à des échelles encore différentes.

Ces situations de concentration ou de répartition des formations dépendent de la façon dont la population est répartie sur une académie, bien sûr, mais aussi d’implantations historiques (telle formation connue dans telle vieille ville universitaire), ou de choix politiques (subventionner des formations « décentrées » au risque d’avoir du mal à remplir les promotions).

Les grandes villes étudiantes proposent une large gamme de licences, de classes préparatoires, d’écoles publiques et privées, etc. Dès que l’on s’éloigne des métropoles, néanmoins, l’horizon change. La « province » française est constellée de licences professionnelles, de BTS et de certificats de spécialisation permettant de trouver du travail rapidement.

Ainsi le Jura (Lons-le-Saunier) ne propose sur Parcoursup aucune entrée vers les études longues (licence générale, classe préparatoire ou école en bac +5)… mais on peut y postuler à 13 BTS agricoles différents.

La question de la formation des jeunes, et de la liberté de leur choix, est donc fortement reliée à celle de l’égalité des chances selon l’origine géographique. Mais ce n’est pas la seule raison pour laquelle il est important de s’intéresser à l’accès à la formation.

Impact personnel, impact structurel

Reprenons l’exemple de la Corrèze (figure 1) : les jeunes qui partent à 18 ans seraient, s’ils étaient restés, devenus des actifs participant d’une part à l’économie du département, et d’autre part au renouvellement de sa population. Actuellement, la Corrèze fait partie des départements français dont la population vieillit et diminue. De façon plus générale, lorsqu’un territoire n’est pas suffisamment attractif pour retenir ses jeunes ou en faire venir d’autres, ses ressources économiques – et donc ses moyens d’action – baissent, et il devient plus compliqué d’inverser la tendance.

C’est pour ça que la question des inégalités de formation ne s’arrête pas au lycéen renseignant ses choix sur Parcoursup. Elle met en lumière un système plus global d’inégalités entre les territoires, voire de fracture territoriale. Il existe une forme de compétitivité pour attirer les jeunes diplômés, compétitivité qui est parfois plus complexe qu’elle n’en a l’air.

D’un côté, nous avons des territoires ruraux demandeurs d’emplois qualifiés, qui ont du mal à recruter – l’exemple le plus parlant étant aujourd’hui celui des déserts médicaux. De l’autre côté, nous avons des agglomérations rencontrant certaines difficultés pour proposer à tous leurs actifs un emploi qui corresponde à leur niveau de diplôme.

Il n’est pas rare aujourd’hui de voir des diplômés bac +5 postuler à des emplois pour lesquels ils sont surqualifiés – entraînant des frustrations sur le plan du salaire ou du niveau de responsabilité.

L’inégale répartition des formations postbac sur le territoire oblige donc les jeunes ruraux soit à déménager soit à renoncer à certaines études, lorsque le déplacement demande des ressources (économiques, psychologiques) trop importantes. Et, puisque ceux qui partent ne reviennent pas toujours, les territoires ruraux s’appauvrissent en diplômés au détriment des villes. La question de l’accès aux études n’est donc pas anodine, et influe sur toute la structure économique des territoires.

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