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Prestige de l’Iran, Jeux et lendemains qui déchantent


L’envoi d’une roquette qui a tué douze enfants dans le village druze de Majdal Shams, a été suivi de l’élimination du chef militaire du Hezbollah à Beyrouth. Hier matin, nous avons appris qu’à Téhéran un missile d’une extraordinaire précision avait entrainé la mort d’Ismail Haniyeh dans l’appartement secret que lui avaient aménagé les dirigeants iraniens. 

Mort d’un tyran

Haniyeh, outrageusement présenté par certains comme un dirigeant modéré, avait pu, avant de mourir, faire son plein de chants de mort contre Israël au cours de la cérémonie d’inauguration du nouveau président iranien. On ne peut pas imaginer de coup plus cinglant porté au prestige de l’Iran. 

Alors, c’est par un athlète iranien qui n’y participe pas que je vais entamer cette chronique sur la cérémonie d’inauguration des Jeux Olympiques. L’haltérophile Mostafa Rajaei aurait été un des favoris dans sa catégorie, mais il a commis l’an dernier un crime irréparable aux Championnats du Monde en Pologne : il a serré la main d’un concurrent israélien. De ce fait, il a été banni à vie de son pays. Cela n’empêche pas l’Iran, qui a signé une charte olympique interdisant d’utiliser les athlètes à des fins de propagande, de participer aux Jeux de Paris et de prétendre, évidemment, que la présence israélienne violerait cette charte. 

Je faisais partie des innombrables sceptiques sur ces Jeux et je reconnais avec plaisir que leur organisation est jusqu’à maintenant parfaite.
J’ai été globalement émerveillé par la cérémonie d’ouverture, son originalité, sa qualité visuelle, le professionnalisme des artistes et la minutie de la mise en scène que la pluie a finalement magnifiée, donnant des rives de la Seine une image de rêve.
Le spectacle mêlait le mystère à la parodie, transformait le kitch en grand art et la dérision élaguait du passé ses branches trop… compassées. 

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Beaucoup de sous-entendus du spectacle m’ont échappé, car leurs références n’étaient pas les miennes, comme celles des mangas ou de Assassin’s creed. Je ne comprenais rien aux paroles de Aya Nakamura (j’ai lu leur traduction en français depuis) mais la voir se trémousser avec les Gardes républicains devant l’Académie française, temple du langage officiel, m’a paru un clin d’œil joyeusement burlesque. 

En revanche, devant Marie-Antoinette portant sa tête coupée, j’ai pensé, référence discutable, mais qu’importe, à Saint Denis, qui avait, dit la légende porté sa tête jusqu’au lieu qui prit son nom et qui devint la nécropole des Rois de France avant de devenir un des foyers d’une nouvelle France qui se moque éperdument de ce passé… 

Beaucoup de gens ont protesté contre la caricature de la Cène, le tableau de Leonard de Vinci

Patrick Boucheron, le correspondant historique de Thomas Jolly, enseigne que l’histoire n’est pas rigide et que les sens des événements sont multiples. On peut appliquer cette phrase à tous les épisodes de la cérémonie d’inauguration et notamment à l’épisode dit « Festivité » dont on a dit que c’était la caricature de la Cène de Leonard de Vinci, et par là une attaque directe du christianisme.

Je ne crois pas trop ceux qui prétendent que la seule référence était un tableau à Dijon de van Bijlert, un peintre caravagesque du XVIIe siècle. Ce dernier avait lui aussi certainement pensé à la Cène de Leonard en composant son tableau. Il voulait provoquer le public catholique de sa ville d’Utrecht, mais pas trop et de façon acceptable en son temps, en peignant une bacchanale, avec la structure de la Cène. Pour la petite histoire, c’est à Rome, la ville des Papes, en pleine Contre-Réforme, que van Bijlert avait appris à détourner la représentation des épisodes du christianisme de leur description canonique.
Le spectacle de Dionysos presque nu en face des drag queens ne montre en réalité ni table, ni convives, mais la disposition des personnages immobiles évoque immanquablement la Cène de Leonard. C’est là une façon de montrer que nous réagissons suivant nos références culturelles, mais que celles-ci ne sont pas forcément pertinentes. 

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En tout cas, le spectacle a entrainé un communiqué de la conférence des évêques de France, une censure dans de nombreux pays, une protestation de Jean-Luc Mélenchon et des excuses du Comité d’organisation, sans compter les critiques nombreuses à droite, ainsi que les invectives des poutiniens de toute obédience. 
Sans compter non plus les menaces à l’égard de la femme qui avait pris la soi-disant place du Christ, et qui se trouve être juive, militante lesbienne et anti-grossophobe, ce dernier combat étant le plus difficile dans la société telle qu’elle est aujourd’hui.
Je n’ai pas aimé cette partie du spectacle, mais je ne parviens pas à en être vraiment choqué. Pasolini en a fait d’autres et l’exigence d’une laïcité qui préserve la liberté s’impose en France, pays de Rabelais et de la loi de 1905. 
Mais ce n’est pas par hasard que Mélenchon et l’institut al-Azhar se retrouvent sur la même longueur d’onde : c’est que derrière une satire – éventuelle – de Jésus, ils voient venir la satire de Mahomet. Les évêques français, eux, constatent qu’il est dans le vent de se moquer des chrétiens, alors que, bien qu’ils ne le disent pas explicitement, la peur impose le silence s’agissant de l’islam. Le spectacle est ambigu, mais ce n’est qu’un spectacle.

Le message de la cérémonie d’inauguration est assumé. Patrick Boucheron l’a explicité. C’est une France de la diversité, de l’inclusivité comme on dit aujourd’hui, que les réalisateurs ont voulu promouvoir. En un sens ces Jeux se présenteraient comme l’absolu inverse des Jeux de Berlin, glorification de la race germanique. 

Conformisme intolérant

C’est sur le papier un magnifique projet, mais il ne faut pas esquiver ses faiblesses. Trop de liberté peut tuer la liberté, l’ode à la diversité a souvent évolué vers le conformisme le plus intolérant. 

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La France d’aujourd’hui est diverse, chacun le sait et on se prend à être surpris que la vedette du rugby à VII porte le nom très bizarre de… Antoine Dupont. Alors existe-t-il quelque chose d’un peu intemporel, ou du moins poli par le temps, qu’on peut appeler la culture française ? Non, répondait Emmanuel Macron au début de son premier mandat, il n’y a pas de culture française, il y a des cultures en France.
Cette vision d’un pays supermarché sans épaisseur historique n’est certainement pas celle des auteurs de la cérémonie d’ouverture dont l’un enseigne l’histoire au Collège de France et un autre a travaillé sur le théâtre de Shakespeare et de l’Antiquité. Mais la connaissance de l’histoire s’est effondrée dans la jeunesse d’aujourd’hui.

J’ai aimé le spectacle de l’inauguration car dans toutes les dérives, clins d’œil et travestissements, je pouvais me remémorer l’histoire de notre pays et replacer au rang d’un humour rafraichissant les libertés prises avec les faits. 
Qu’en est-il pour des générations qui vivent dans un hyperprésent où la connaissance du passé parait un fardeau inutile? Les penseurs postmodernes ont détricoté les a priori cachés de la fabrication de l’histoire, mais on a jeté le bébé avec l’eau du bain. Tout désormais se vaut et ce qui aurait dû stimuler la critique a engendré l’hyperméfiance. Cela s’appelle le woke et le spectacle l’assume. Or, s’il n’y a pas de limite à la destruction des codes, se méfier de tout conduit à s’enticher du pire.
Heureusement, la déconstruction n’a pas empêché le public de vibrer dans la joie, tout ambiguë qu’elle soit à l’analyse psychologique, de la communion sportive, ni de s’unir dans des moments de grâce tels l’allumage de la flamme olympique et le chant de Céline Dion. 
Ce fut une magnifique cérémonie, mais je ne crois pas que le monde dont elle nous préconise l’émergence ne soit que celui des lendemains qui chantent…

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