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Poids lourds, espoirs… et navets : ce qu’il faut lire (ou pas) à la rentrée littéraire

Poids lourds, espoirs… et navets : ce qu’il faut lire (ou pas) à la rentrée littéraire

Courant juillet, au sein du Clochemerle germanopratin, on avait l’impression qu’un seul livre était programmé en août : Le Mal joli d’Emma Becker, à paraître chez Albin Michel. Tout le monde parlait de ce roman où l’auteure sulfureuse de La Maison raconte par le menu l’histoire passionnelle qu’elle vit depuis deux ans avec un écrivain aristo canaille (aisément reconnaissable). A cause de quelques scènes olé olé, il était de bon ton de glousser. Dans un milieu pourtant peu réputé pour sa moralité, on ne croisait soudainement plus que des saintes-nitouches effarouchées. Amusante tartufferie… Une fois n’est pas coutume, nous ne tenterons pas de mettre les rieurs de notre côté : Le Mal joli est une merveille de vitalité, de style et d’esprit. Si ce livre hérissera autant les néoféministes que les faux dévots, il réjouira les vrais amateurs de littérature, qui salueront en Becker la seule héritière de Colette digne de ce nom.

Toujours chez Albin Michel, mais très différemment, nous avons aimé Cœur de Thibault de Montaigu. Dans ce superbe récit à la Emmanuel Carrère, on voit Montaigu s’occuper de son père malade – un ancien Dom Juan flamboyant désormais vieillissant, aveugle et ruiné. Ce dernier convainc son fils de se pencher sur leur aïeul mort au combat en 1914. Cela donne une enquête psychogénéalogique de haute volée : on dirait Patrimoine de Philip Roth écrit par un Paul Morand au meilleur de sa forme. Pour les héritiers des hussards (militaires comme littéraires), ce sera le livre incontournable de l’année.

La palme de l'élégance revient à...

La rentrée pourrait (presque) s’arrêter là. Ce serait désobligeant pour les 309 autres auteurs français qui vont publier ces jours-ci. Les turfistes et autres diseuses de bonne aventure donnent déjà le prix Goncourt à Kamel Daoud pour Houris (Gallimard). Antoine Gallimard choisira-t-il finalement de pousser auprès des jurés dont il a l’oreille un autre petit cheval, en l’occurrence Carole Martinez (Dors ton sommeil de brute) ou Maylis de Kerangal (Jour de ressac, qui paraît chez sa filiale Verticales) ? Toujours à propos de Gallimard, on s’étonne que l’auguste maison, vénérable mais trop prudente, ait refusé pour cause de mauvais esprit le dernier manuscrit de Patrice Jean. Ayant trouvé refuge au Cherche Midi, il y sort La Vie des spectres, satire mélancolique de notre modernité qui ferait un excellent prix Renaudot. Enfin, en ce qui concerne les livres à prix, il semble que le Humus de Gaspard Koenig (Interallié 2023) en ait inspiré certains. Dans son sillage, plusieurs intellos graphomanes proposent des gros romans à idées, pas toujours gracieux : Aurélien Bellanger (Les Derniers Jours du Parti socialiste, Le Seuil), Abel Quentin (Cabane, L’Observatoire), Mathieu Larnaudie (Trash Vortex, Actes Sud).

A-t-on le droit de préférer la finesse dandy aux pavés sociologiques ? La palme de l’élégance revient à Jean-Pierre Montal pour La Face Nord (Séguier), brève évocation d’un amour impossible entre un homme de 50 ans et une septuagénaire. Autre pépite débusquée dans nos piles hélas bourrées d’inepties : Alors c’est bien (Gallimard), où Clémentine Mélois raconte comment elle avait réussi à transformer l’enterrement de son père en œuvre d’art. La mort a inspiré deux autres très bons millésimes : Pierre Adrian raconte le suicide de Cesare Pavese dans Hotel Roma (Gallimard), et Sébastien Lapaque celui de Stefan Zweig dans Echec et mat au Paradis (Actes Sud). Zweig est aussi au cœur du livre signant le retour de Clémence Boulouque, Le Sentiment des crépuscules (Robert Laffont). Les fanatiques de Robbe-Grillet riront en lisant Aucun respect (Stock) d’Emmanuelle Lambert, et ceux de Marguerite Yourcenar seront passionnés par Un autre m’attend ailleurs (La Martinière), où Christophe Bigot décortique la sidérante dernière liaison de la grande dame – quand, octogénaire, elle tomba folle d’un gigolo caractériel de 46 ans son cadet ! Toxicité toujours avec Camille Pascal qui, dans La Reine du labyrinthe (Robert Laffont), narre avec son style chatoyant l’affaire du collier et les soucis rencontrés par Marie-Antoinette face au cardinal de Rohan et à Jeanne de La Motte-Valois. Au sujet des romans historiques, cette niche, une curiosité : la star du thriller Olivier Norek délaisse son genre de prédilection et publie Les Guerriers de l’hiver (Michel Lafon), où il est question de l’invasion de la Finlande par la Russie en 1939. Ses nombreux lecteurs le suivront-ils sur ce terrain ? A voir…

Premiers romans et poids lourds

Une rentrée, ce sont aussi des découvertes. Deux premiers romans se distinguent : celui d’Alice Develey, Tombée du ciel (L’Iconoclaste), récit poignant de l’hospitalisation forcée d’une adolescente anorexique ; et celui du poète Célestin de Meeûs, Mythologie du .12 (Editions du Sous-Sol). Puisque les Français sont notoirement sinistres, deux auteurs belges viennent injecter un peu d’humour dans la littérature francophone : Daphné Tamage avec Le Retour de Saturne (Stock) et Quentin Jardon avec Le Chagrin moderne (Flammarion). Dans la jeune génération, citons également ceux qui, déjà bien repérés, pourraient émerger de la boucherie automnale grâce à un prix ou à un succès de librairie : Audrée Wilhelmy (Peau-de-Sang, Le Tripode), Philibert Humm (Roman de gare, Equateurs), Shane Haddad (Aimez Gil, P.O.L), Céline Laurens (La Maison Dieu, Albin Michel), Pierre Darkanian (Nous sommes immortelles, Anne Carrière), Mathieu Palain (Les Hommes manquent de courage, L’Iconoclaste), Tom Connan (Capital rose, Albin Michel), Jean-Baptiste de Froment (La Bonne Nouvelle, Anne Carrière), Perrine Tripier (Conque, Gallimard), Guillaume Sire (Les Grandes Patries étranges, Calmann-Lévy), Emmanuel Ruben (Malville, Stock), Guillaume Perilhou (La Couronne du serpent, L’Observatoire) ou Miguel Bonnefoy (Le Rêve du jaguar, Rivages).

Avec tout cela, nous n’avons pas eu le temps de lire des poids lourds tels Jérôme Ferrari (Nord sentinelle, Actes Sud), Sandrine Collette (Madelaine avant l’aube, JC Lattès), Yves Ravey (Que du vent, Minuit), Philippe Jaenada (La Désinvolture est une bien belle chose, Mialet-Barrault) ou Grégoire Bouillier (Le Syndrome de l’Orangerie, Flammarion). Nous ne couvrirons pas plus d’éloges Olivier Guez, dont l’ambitieux Mesopotamia est déjà loué par notre collaboratrice Abnousse Shalmani dans sa chronique. La rumeur est moins flatteuse, c’est un euphémisme, concernant Muriel Barbery (Thomas Helder, Actes Sud), Gaël Faye (Jacaranda, Grasset), Faïza Guène (Kiffe kiffe hier ?, Fayard) ou Maud Ventura (Célèbre, L’Iconoclaste) mais, n’ayant pas ouvert ces titres, nous nous abstiendrons de commentaires acerbes.

Afin de nous épargner un œdème de Quincke, nous n’avons pas plus feuilleté le nouveau Alice Zeniter (Frapper l’épopée, Flammarion) – elle est habituellement la championne de la lourdeur, tant sur le fond que sur la forme. Avec la conscience professionnelle qui nous caractérise, nous avons quand même lu quelques navets vendus comme "puissants", "inspirants", voire carrément "jubilatoires". La charité nous empêche d’en établir ici la liste complète. Un mois avant les premières sélections, récompensons quand même les deux pires, en attribuant notre Grand Prix de l’opportunisme larmoyant à Véronique Olmi pour Le Courage des innocents (Albin Michel) et celui de l’aigreur obsessionnelle à Jean-Marc Parisis pour Prescriptions (Stock). Ce ne sont peut-être pas les lauriers auxquels ils prétendent. Rendez-vous dans quelques semaines pour voir qui, dans tous les noms égrenés plus haut, aura tiré son épingle du jeu.

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