Émeutes anglaises : Nigel Farage a bon dos
Pour une certaine gauche française, les émeutes qui ont enflammé les villes anglaises ces derniers jours ont un responsable désigné : Nigel Farage, chantre du souverainisme.
Lundi, Mediapart titrait :
« L’extrême droite violente et le nouveau parti du brexiteur Nigel Farage, Reform UK, sont à la manœuvre. »
Le même jour, interrogée par BFMTV sur les violences, une spécialiste de la Grande-Bretagne renchérissait : le catastrophisme de Farage lors de la crise des migrants de 2015 avait « décomplexé le discours antimusulman ».
Cette experte ne se contentait pas d’établir un lien direct entre le tribun populiste et les hordes qui ont attaqué des mosquées et des foyers d’immigrés à la suite du meurtre au couteau de trois fillettes. Le discours anti-immigration « a été repris par le Parti conservateur au pouvoir jusqu’à encore il y a un mois ».
Le gouvernement de Rishi Sunak aurait donc incité à la haine « des populations racisées et souvent venues de pays musulmans ».
Autrement dit : on commence par le Brexit, et on finit avec les pogroms.
Des conservateurs qui ne soutiennent pas les émeutes
Pour une gauche progressiste qui réprouve l’amalgame dans d’autres contextes, le raccourci est frappant. Il est d’autant plus audacieux qu’il fait abstraction des déclarations des brexiteurs eux-mêmes. Farage s’est dit « totalement horrifié » par des violences qui « n’ont pas de place dans une démocratie ».
Les tabloïds les plus marqués à droite ont fulminé contre les émeutiers. The Sun a dénoncé les exactions de « voyous » fanatisés sur internet. La Une du Daily Mail montrait une photo de l’agitateur fasciste Tommy Robinson, très actif sur les réseaux sociaux, se prélassant sur une plage de Chypre avec le titre : « L’influenceur d’extrême droite qui met de l’huile sur le feu ».
Même si on juge ces répudiations hypocrites – c’est-à-dire en faisant un procès d’intention – force est de constater que les médias conservateurs n’accordent aucune excuse aux trublions. On est loin des fines analyses lues dans la presse française l’été dernier, désignant les inégalités sociales et les discriminations responsables des émeutes sans précédent qui enflammaient le pays.
Quelles causes ?
Dans un cas comme dans l’autre, la recherche des causes est bien sûr légitime.
Pour ce qui est de l’embrasement des centres-villes anglais, on ne saurait invoquer une dérive xénophobe générale. L’extrême droite est ultra-minoritaire dans le pays. Plusieurs rassemblements hostiles à l’immigration se sont tenus depuis plusieurs semaines, mais jusqu’au week-end dernier, ils se sont déroulés sans heurts. Et les marcheurs étaient souvent moins nombreux que les contre-manifestants antifascistes. Depuis les troubles, les rassemblements en faveur de l’immigration ont attiré des foules bien plus importantes.
Selon la chercheuse citée plus haut, le Brexit aurait été un déclencheur de la parole raciste et islamophobe :
« Il y a eu un changement total dans le discours et les guerres culturelles ».
Ce sombre tableau doit être mis en perspective. Les études d’opinion montrent, Brexit ou non, que le nombre de Britanniques favorables aux migrants a nettement augmenté depuis dix ans. Certes, au Royaume-Uni comme ailleurs, l’immigration fait l’objet de vives controverses. Mais ces débats sont aussi légitimes que ceux qui entourent les questions de discrimination : ce qui est intolérable dans une démocratie, c’est, non la cause qu’on soutient, mais le fait de la défendre par la violence.
Alors, à quoi attribuer la flambée raciste en Angleterre ? Certains notent que le soutien de la population envers la police, traditionnellement très élevé, est en chute libre depuis plusieurs années. Des scandales impliquant Scotland Yard à Londres ainsi que d’autres forces locales ont contribué à cette perte de confiance.
Anne-Élisabeth Moutet, correspondante du Daily Telegraph à Paris (et qui, elle, sait de quoi elle parle quand il s’agit de la Grande-Bretagne), souligne que l’une des villes les plus touchées par les émeutes est Rotherham, dans le nord de l’Angleterre. Or, c’est là qu’une retentissante affaire de pédophilie a été mise au jour au début des années 2010 : les policiers avaient laissé des criminels d’origine pakistanaise agir en toute impunité par crainte d’être accusés de racisme.
« Il y a une impression instrumentalisée par les réseaux d’extrême droite qui consiste à dire : vous ne pouvez pas faire confiance aux politiques, ils vous cachent des choses, » remarquait Moutet, également sur le plateau de BMFTV.
Les accusations de « maintien de l’ordre à deux vitesses » (two-tier policing) lancées, les forces de l’ordre sont certes fantaisistes : rien n’indique que les émeutiers xénophobes fassent l’objet d’une répression disproportionnée. Mais c’est désormais un fait : l’hostilité envers la police est tout aussi virulente dans la droite dure qu’à l’extrême gauche.
D’autres facteurs sont évoqués pour expliquer les incidents : une justice privée de moyens, un système de traitement des demandes d’asile dépassé, et une désinformation diffusée par les réseaux sociaux, notamment grâce à des comptes liés à la Russie.
Évaluer les causes possibles d’une vague de violences est une tâche complexe. Il est beaucoup plus simple de pointer du doigt l’ennemi politique. C’est la voie choisie par Donald Trump à l’occasion des débordements du mouvement Black Lives Matter en 2020 (la faute aux Démocrates) ; Elon Musk a fait le même choix pour les émeutes en Angleterre (la faute au Premier ministre Keir Starmer). Ceux qui les mettent sur le compte du Brexit suivent une formule bien rodée.