À deux pas de la fête olympique du parc des Nations, à Paris, l'association La Chorba sert des centaines de repas aux plus démunis
Dans l’effervescence du parc des Nations, à La Villette, l’insouciance touristique déambule, un bob siglé JO Paris 2024 sur la tête. À quelques centaines de mètres de la fête olympique, le soleil écrase les fatigues, l’après-midi pèse sur les solitudes. Déjà, plusieurs personnes attendent, assises sur le trottoir, que s’ouvre la grille verte derrière laquelle elles pourront, entre 18 et 20 h, se restaurer.
Trois associations se relaient à l’année sur ce site appartenant à la Ville de Paris pour distribuer des repas chauds et complets, sans condition d’accès. Cet été, La Chorba assure, midi et soir, cette mission, accueillant 700 à 800 personnes par service dans un vaste préfabriqué.
La précarité n’a pas pris de vacances, et la fréquentation des lieux n’a pas diminué, explique Pauline Duhault, adjointe à la direction. La circulation des bénéficiaires, qui viennent parfois de loin, semble n’avoir pas été entravée, et l’organisation des livraisons a été bien anticipée. "On est plutôt préservés", relate Pauline Duhault.
À 17 h, la camionnette de La Chorba pénètre dans l’allée. Bien vite, elle s’allège, les denrées allant s’engouffrer dans le ventre frais des frigos. Didier Cassereau, le président de l’association, s’affaire à la découpe des gâteaux, en s’interrogeant : "ce flan, là, si on le coupe en quatre, ça ne ferait pas des parts un peu trop grosses ?" Didier a le visage ouvert, le sourire au cœur. Pour accueillir convenablement les bénéficiaires, "il faut être un minimum avenant", décrit-il, "ne pas avoir peur d’aller leur parler. Nous pouvons être les premiers qui leur adressent la parole depuis le début de la journée…"
Des invendus récupérés pour éviter le gaspillageIl y a là des prunes, des abricots, issus de la lutte contre le gaspillage alimentaire, des invendus de boulangerie ou des Jeux olympiques, collectés par Le Chaînon Manquant, l’une des trois associations accréditées pour récupérer ces produits. Ali remue quelques litres de café dans un bidon rouge, dans lequel Djamel verse plusieurs dizaines de carrés de sucre, "parce que c’est comme ça que c’est bon", assure-t-il.À la préparation des plateaux, un trio rodé enchaîne les gestes : coup de torchon, serviette, cuiller. Djamila, Sophie et Alexandre se sont engagés par envie d’agir, concrètement, contre l’exclusion sociale. Alexandre, qui habite gare de l’Est, a vu les bus embarquer les personnes exilées à la rue vers les sas régionaux. "Et depuis quelques années, on voit les files qui s’allongent", témoigne-t-il. "Quand on voit ce qui se passe dans notre société… C’est de plus en plus compliqué pour tout le monde", ajoute Djamila, qui donne de son temps une à deux fois par mois.
Des bénéficiaires qui ne s'attardent pasVoici venue l’heure de l’ouverture, des pas pressés succédant à de plus hésitants. Certains déposent, à l’entrée, sacs, cabas, chariots gonflés à bloc, toute une existence à tirer derrière soi. Une pression de gel hydroalcoolique sur les mains, et Mohamed, salarié en insertion de La Chorba, invite le dernier arrivé à s’approcher du service, ponctuant ses énergiques "Avancez !" de chaleureux "Et bon appétit", serrant ici une main, donnant là une accolade. Une femme âgée, un foulard noué au menton, sera servie à table.
La soupe clapote dans les bols à liseré doré, en voilà qui vont au rab’, demander un morceau de pain. Un homme s’enquiert auprès de Didier de la possibilité d’obtenir un travail, un autre cherche une prise pour charger son téléphone. Ici, les convives ne passent guère plus d’une quinzaine de minutes, toujours en mouvement, à peine assis, déjà sur le départ.
Une guirlande d’anneaux olympiques décore le mur de la salle. La promesse d’héritage social positif de ces Jeux est vaine, selon le collectif Le Revers de la Médaille qui a largement alerté sur les conséquences de leur tenue à Paris pour les plus vulnérables : démantèlement des campements, déplacements sans suivi social, donc moindre accès aux droits, aux soins… "Avant les Jeux, la précarité était haute. Après, elle le sera aussi", observe le directeur et co-fondateur de La Chorba, Khater Yenbou.
Créer de l'inclusionPour ce qui est de l’évènement en lui-même, il regrette que les associations n’aient pas été sollicitées, par exemple, pour intégrer des réfugiés aux équipes de bénévoles : "Je ne pense pas qu’il faille opposer les JO et les migrants. Il y avait la place pour faire des choses simples et constructives." Là, "on aurait créé de l’inclusion."
Derniers tintements de couverts, derniers passages, la distribution s’achève, les tables se vident, les chariots roulent derrière les chevilles. Demain, il faudra recommencer.
Texte : Alice Forges Photos : Christelle Gaujard