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On y était : une 32e édition remarquable de La Route du Rock sous la bruine bretonne

Kae Tempest, pour l’amour des mots

Résolument tendre. Voilà sans doute le qualificatif idoine pour décrire le moment passé en compagnie de Kae Tempest – concert qui a ouvert nos pérégrinations bretonnes. Il faut dire que son spoken-word viscéral et pétri de douceur avait attisé notre curiosité depuis quelque temps déjà. Il y avait alors quelque chose de saisissant à changer d’échelle : passer de celle d’une chambre feutrée – lieu propice à la découverte d’une discographie de cet acabit – à celle de main stage accueillant les fleurons de la scène actuelle. C’est aux côtés de sa claviériste que Kae Tempest s’y est aventuré·e, faisant montre d’une poésie dont iel seul·e a le secret, déclamée sur des beats irrigués de piano et digressions synthétiques. La preuve en est avec ce People’s Faces vibrant – titre issu de son album The Book of Traps and Lessons, sorti en 2019 – interprété pour refermer le set, tandis que le soleil achevait sa percée. Un morceau qui s’est succédé d’un hommage à la communauté LGBTQIA+ et aux personnes transgenres. Il est toujours bon de rafraîchir les mémoires. LL

Slowdive, onde sensuelle

En tête de gondole des groupes et artistes historiques présent·es lors de cette nouvelle édition estivale de la Route du Rock, la bande emmenée par Rachel Goswell a enchanté les premières heures du festival. Satellisé par un son qui rendait grâce et honneur au shoegaze des créateurs du cultissime Souvlaki, le public malouin s’est offert le plus beau démarrage de festival à l’heure d’écluser leurs premières bières. Condensé en une sorte de best of (au moins un morceau de chaque album du groupe figure dans la setlist) parcourant la discographie de leurs jeunes années et celle de leur récente reformation au mitan des années 2010, le concert de Slowdive tient toutes ses promesses de nappes atmosphériques et ondoyantes, de réverbérations belles à pleurer et de riffs alanguis et affranchis de la pesanteur. Une véritable leçon de sensibilité qui culminera jusqu’à leur reprise du Golden Hair de Syd Barrett. TD

The Kills, jeunes gens (toujours) modernes

Craignant d’être témoin de la désuétude d’une mauvaise publicité The Kooples, on traîne un peu de pieds à l’heure où Alison Mosshart et Jamie Hince foulent de leurs derbies la grande scène de la Route du Rock. Dix minutes plus tard, on révise fissa notre jugement. Non seulement les Kills ne sont pas ringard·es, mais ils sont même (encore) étonnamment modernes. Loin de leurs continuateurs s’étant fourvoyés avec les années, la paire a livré une prestation d’une maîtrise absolue rendant honneur à la radicalité de leur musique. La faute à ce blues minimaliste, électrique et rehaussé de boîte à rythmes qui fait toujours des ravages, à ce son de guitare si distinctif et à la voix d’Alison Mosshart. Une magnifique redécouverte sur la scène du Fort de Saint-Père et de quoi revoir à la hausse l’influence du rock primitif et pourtant futuriste de The Kills. TD

Bar Italia, sous le déluge

En début de soirée ce vendredi, Bar Italia s’est retrouvé devant ses plus farouches fidèles, bravant une pluie battante pour assister au rock nonchalant du trio londonien, nous racontant leurs histoires d’amour difficiles sur Polly Amor, et nous laissant danser sous une météo qui sied à merveille aux paroles tristes et anxieuses, “You are somewhere, I would like to be there too”, que lançait Sam Fenton derrière son bandana improvisé en cache-col. Ce torrent n’aura pas eu Bar Italia, tout du moins Nina, qui virevoltait tout du long du concert, rappelant leur passage à la Cigale il y a deux mois, c’est aussi comme à leur habitude qu’ils quittent la scène sans un mot ou presque, nous sommes gratifiants d’un timide “merci” avant de s’en aller. EB

Blonde Redhead, retour en grâce

Le rendez-vous était pris de longue date. En septembre dernier, Blonde Redhead nous conviaient à leur table avec Sit Down for Dinner : un disque inattendu par lequel le groupe signait son retour dans cette vaste étendue noise, celle-là même qu’il se plaît à arpenter depuis les nineties. Absent des radars durant près d’une décennie, le trio italo-japonais eut ainsi l’occasion d’écumer les scènes du monde entier ces derniers mois – notamment tricolores. Des retrouvailles d’autant plus émouvantes que l’aura du trio reste intacte : le poids des années ne l’a affecté sous aucun prétexte – malgré trente ans de carrière à leur actif, tout de même – affûtant plus encore l’élégance de leur jeu. Constat vérifié dans l’antre du Fort de Saint-Père, où Kazu Makino et les frères Pace ont parcouru leur discographie sous l’œil du public français, enveloppé·es dans une scénographie faite d’épaisses tentures ornées de sequins. Le tout sous un crachin typiquement breton : un théâtre chimérique taillé pour une musique qui l’est tout autant. LL

Daho, saint Étienne

“Kenavo, merci d’avoir bravé la pluie pour venir nous voir ce soir.” Malgré l’approximation langagière, il n’en fallait pas plus pour que le prince de la pop française s’arroge l’amour inconditionnel du public de la Route du Rock qui s’est déplacé en nombre pour ce qui restera, à n’en point douter, le point d’orgue de ce week-end en terres bretonnes. Dans une sorte de transe contagieuse qui touche magiquement et indifféremment toutes les générations réunies en ce second jour de festival, Étienne Daho a déployé avec une élégance (parsemée d’un soupçon de kitsch) quelques titres de sa pléthorique discographie – l’une des plus belles de la musique francophone. Entre immenses classiques (Tombé pour la France, Duel au soleil, Bleu comme toi, Week-end à Rome…), hits récents (Virus X) ou aller-retour entre ces disques plus méconnus, la mécanique de la messe Daho fonctionne à plein tubes. Yec’hed mat ! TD

Metz, post-punk incandescent

Contre toute attente, ceux-là ne viennent ni de Lorraine (rapport à leur nom), ni de Seattle (où est basé leur label, l’illustre Sub Pop) – mais bien de Toronto, ville que l’on sait féconde pour ce qui est de la scène indé. Voilà déjà dix ans que ces trois Canadiens roulent leur bosse, pour le meilleur (6 albums studio à leur actif, dont un Atlas Vending terrassant). Une armée de titres que le groupe est venu livrer au cœur de la Bretagne avec toute la bonne volonté du monde, une fois la nuit définitivement tombée sur Saint-Père-Marc-en-Poulet (commune où se tenaient les festivités, cela ne s’invente pas). Malgré la dégaine d’anti punk-star du chanteur (on l’imagine davantage prof de géo que leader vaniteux, allez savoir pourquoi), les trois de Metz nous ont largement fait oublier la bruine, galvanisant les festivalier·ères en deux temps, trois mouvements. Ce n’est sans doute pas un hasard si Nirvana, Soundgarden ou Mudhoney se côtoyaient chez Sub Pop en leur temps. LL

Fat Dog, fauteurs de trouble 

On n’en finit pas de vanter leurs mérites. S’ils et elles sont parcimonieux·ses dans leurs sorties – une poignée de singles essaimés au fil des mois, après avoir déjà acquis une solide réputation par des lives tenaillés de cette énergie chaotique – Fat Dog n’en finit pas d’asseoir sa renommée. Un concert de ces cinq-là, on sait désormais ce que cela veut dire. Et ce, un an après l’inaugural King of the Slugs, titre qui posait les jalons de leur rock massif et nourri à grand renfort de saillies électroniques. Alors quand un tel cocktail arrive aux oreilles de festivalier·èrs déjà bien imprégné·es de vapeurs éthyliques (il semble que les Breton·nes ne soient pas les dernier·ères à lever le coude), gare à celui ou celle qui pensait rentrer à sa tente aussi propre qu’à l’arrivée : c’est bien enduit·e de boue, du visage jusqu’aux docs, que l’on sortira de là. Résultat d’une journée de pluie, et d’un quintet qui sait y faire pour électriser les foules. Dégoûtant, mais mémorable. LL

Air, le voyage dans la lune

L’attraction de la dernière soirée de la Route du Rock portait définitivement l’héritage de la French Touch. À l’occasion des 25 ans de la sortie de Moon Safari (1998), le premier album absolument culte de Air, la paire formée par Jean-Benoît Dunckel et Nicolas Godin nous donnait rendez-vous pour jouer dans l’ordre (de La Femme d’argent jusqu’au Voyage de Pénélope) l’intégralité du disque. Avec le curieux sentiment d’assister à la projection d’un Hollywood Classic dans un drive-in, de réentendre Moon Safari se déployer tel quel – absolument fidèle à nos souvenirs et pourtant étrangement autre – comme un rêve brumeux, le concert du duo plonge dans des zones insoupçonnées de notre mémoire, joue avec notre notion du temps avant de nous asséner le coup de grâce : Playground Love, leur morceau composé pour la bande originale de Virgin Suicides de Sofia Coppola. Indémodable. TD 

Protomartyr, poésie féroce

Juste après, la foule s’est amassée devant la scène des remparts pour écouter le post-punk intransigeant de Protomartyr. Joe Casey, bière à la main, cigarette dans l’autre, dévisageait d’un regard froid la foule, qui reprenait ses textes poétiques à tue-tête, notamment sur Processed by the Boys : “They’ll be gentle enought” ou encore “There’s no use being sad about it/ What’s the point of crying about it” du sublime Potanic 87. Le groupe a joué des morceaux issus de tous ses albums, nous donnant un concert aux airs de best of mettant en avant le travail accompli durant ces douze dernières années. EB

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