World News

Elizabeth Burgos : "Comme son modèle Hugo Chavez, Mélenchon est un grand hystérique"

Après la fraude électorale, la répression. Brutale. Sanglante. Massive. Contesté dans les urnes et par la rue, le président Nicolas Maduro emploie la méthode forte, déjà éprouvée par ses principaux alliés – Cuba, Iran, Russie – à chaque mouvement populaire. En plus des forces de l’ordre classique, il mobilise les "colectivos" (groupes paramilitaires identiques au Corps des Gardiens de la Révolution en Iran) et s’appuie sur le renfort de policiers venus de Cuba. Bilan : près de 30 morts, 200 blessés et 2 200 arrestations, dont des mineurs et des handicapés, promis aux camps de rééducation idéologique, dans deux prisons différentes.

Leur crime ? Lors de l’élection présidentielle frauduleuse du 28 juillet, ils ont, pour nombre d’entre eux, fait partie des scrutateurs qui ont transmis à l’opposition les "scans" des résultats de chaque bureau de vote. Et cela, avant que la falsification ne soit mise en œuvre par le pouvoir. Cet ingénieux système a permis de couper l’herbe sous le pied du régime. Il a été imaginé par l’opposante Maria Corina Machado, dès les années 2000, afin de révéler au monde ce qui était un secret de polichinelle au Venezuela : au pays de Chavez et Maduro, la fraude électorale est une pratique systématique.

Mais l’histoire se répète. Comme à Cuba naguère, l’opposition démocratique ne peut compter sur aucun soutien, ou presque, parmi la gauche européenne, coupable d’un assourdissant silence. Quant à l’extrême gauche française, elle demeure fidèle à ses vieilles lunes révolutionnaires, sans égard pour les droits de l’homme. Selon l’historienne vénézuélienne Elizabeth Burgos, cette complicité implicite de l’intelligentsia française prend appui sur certains médias – Le Monde diplomatique, France Culture – et sur le monde universitaire qui, depuis des décennies, définissent la doxa sur l’Amérique latine, en particulier sur Cuba et le Venezuela, deux pays étroitement liés.

Celle qui fut l’épouse de Régis Debray maîtrise le sujet à double titre : non seulement elle l’étudie depuis des décennies mais, de plus, elle le connaît de l’intérieur pour avoir connu personnellement un très grand nombre des protagonistes de la gauche latino depuis la révolution cubaine, y compris Fidel Castro dont elle fut proche, avant d’en dénoncer le caractère dictatorial. A n’en pas douter, cette analyste d'une grande lucidité est aujourd’hui la meilleure connaisseuse de la pensée de gauche et de l’imaginaire révolutionnaire en Amérique latine.

A propos de Jean-Luc Mélenchon, qui admire Chavez et soutient le régime de Maduro, elle dit : "Comme Chavez, c’est un grand hystérique qui joue sur les émotions." Elle ajoute : "Mélenchon veut que tout se passe mal en France afin qu’il puisse se présenter en sauveur qui résoudra tous les problèmes." Quant au Venezuela, elle n’exclut pas que son président, Maduro, un jour, tombe, grâce au courage spectaculaire de l’opposante Maria Corina Machado. Entretien.

L’Express : Comment expliquer le silence assourdissant de la gauche française au sujet du Venezuela ?

Elizabeth Burgos : Afin de le comprendre, il faut prendre en compte le rôle joué depuis des décennies par les élites intellectuelles françaises, dans les médias et à l’université. Depuis longtemps, Le Monde diplomatique joue un rôle primordial dans la formation des opinions au sein de la gauche sur les questions de Cuba, du Venezuela et de l’Amérique latine. Ce journal mensuel jouit d’un grand prestige en raison du nombre de spécialistes qui y écrivent des articles sur une variété de sujets. On y trouve des analyses intéressantes sur bien des régions du monde.

Cependant, ce qu’on y lit sur le continent latino-américain est, à mon avis, en général assez affligeant. Et cela, en raison d’un prisme idéologique, l’antiaméricanisme, qui fausse toute analyse rationnelle. Il faut pourtant croire que c’est leur principale grille de lecture. C’est comme si ce continent n’avait pas d’histoire propre mais que, au contraire, tout ce qui s’y produit est la conséquence de décisions prises à Washington. Cette manière de voir est paternaliste, paresseuse et étroite car chaque pays d’Amérique latine possède sa propre histoire avec ses dynamiques internes. Les Etats-Unis y jouent aujourd’hui un rôle secondaire. La Chine et le Russie sont, en revanche, devenus des acteurs majeurs.

Le Monde diplomatique est devenu le premier propagandiste du chavisme.

Elizabeth Burgos

Sous l’emprise de l’universitaire altermondialiste Bernard Cassen [NDLR : directeur général de 1996 à 2008] et d’Ignacio Ramonet [NDLR : directeur de 1990 à 2008], Le Monde diplomatique est devenu le premier propagandiste du chavisme. Et cela, dès l’avènement de l’ancien putschiste Hugo Chavez en 1999. Cassen et Ramonet ont fréquenté assidûment Chavez, tout particulièrement Ramonet qui fut aussi, par le passé, proche du quotidien vénézuélien El Nacional [NDLR : journal ultérieurement persécuté et fermé par le chavisme]. Fervent castriste et antiaméricain, Ramonet a aussi publié un livre d’entretiens avec Fidel Castro en 2007 et une biographie hagiographique d’Hugo Chavez en 2015. Cette proximité avec des régimes qui emprisonnent et torturent les opposants politiques ne l’a jamais empêché d’être pris au sérieux et vu comme un expert à Paris.

Le journaliste Ignacio Ramonet, Jean-Luc Mélenchon et le Prix Nobel de la Paix 1992 Rigoberta Menchu à Caracas le 6 juillet 2012. AFP PHOTO/Juan BARRETO / AFP PHOTO / JUAN BARRETO

Le "Monde diplo" serait donc la matrice qui définit le regard sur le Venezuela ?

Il y en a d’autres, comme France Culture. J’apprécie beaucoup cette radio publique. Mais, en ce qui concerne l’Amérique latine, j’en suis toujours déçue. Sur France Culture, il n’est jamais fait mention de l’engagement militant de ceux que l’on présente comme des experts de Cuba et du Venezuela. Par exemple Janette Habel, spécialiste de Cuba, est une mélenchoniste active qui fut aussi la coautrice d’un livre avec… Fidel Castro (publié en Argentine) ! Ce "très léger détail", qui n’en est pas un, a toujours été passé sous silence, de sorte que l’on pouvait penser qu’elle était une analyste indépendante.

Le livre signé Fidel Castro et Janette Habel, publié en espagnol, est intitulé Proceso al sectarismo.

Autre exemple : récemment, durant la matinale de France Culture présentée par Guillaume Erner, on a pu entendre un jeune "expert" du Venezuela présenter l’opposante Maria Corina Machado comme "une députée d’extrême droite" dont la trajectoire était, selon lui, "comparable à celle de [l’ex-président brésilien] Bolsonaro". Elle est aussi régulièrement qualifiée d'"ultralibérale" alors que, face à un Etat mafieux, elle mène un combat éthique pour la démocratie et défend les principes de liberté. On marche sur la tête. Tout ce discours vise à délégitimer la courageuse opposante aux yeux de l’opinion française.

Le même objectif est recherché par ceux qui la qualifient de "néolibérale" ou de "Margaret Thatcher vénézuélienne". Or, en réalité, Maria Corina Machado veut simplement faire appel aux investisseurs privés et à des privatisations partielles pour redresser le pays parce que, compte tenu de l’état de ruine où il se trouve, il n’y a pas d’autre solution. Son programme est disponible en ligne. Vous pouvez vérifier. Il n’y a nul extrémisme chez elle. La campagne de dénigrement qui la vise correspond précisément aux techniques insidieuses mises en œuvre autrefois par le "Département de la Rumeur" du KGB et toujours appliquées par Cuba et ses alliés aujourd’hui.

Encore un exemple ? Fin juillet, j’ai entendu la directrice adjointe du journal Libération expliquer sur la chaîne de télé LCI que la compagnie pétrolière du Venezuela PDVSA était en ruine à cause des sanctions américaines ! Des propos d’une ignorance incroyable. Toute l’économie, y compris PDVSA, était ruinée longtemps avant que Washington adopte un train de sanctions en 2019. Il semble que cette journaliste se contentait de répéter ce qu’elle avait ouï dire par je ne sais qui. Autrement dit, les "spécialistes" cités plus haut et leurs épigones ont toute latitude pour définir ce qu’il faut penser du Venezuela – mais aussi de l’Amérique latine – puisque très peu de gens, en France, étudient vraiment le sujet. Cela laisse le champ libre à toutes manipulations. Même Le Figaro pendant la première décennie du chavisme était pro-Chavez. C’est dire…

Le candidat de l'opposition vénézuelienne Edmundo Gonzalez Urrutia et Maria Corina Machado à Maracaibo, au Venezuela, le 23 juillet 2024

Qu’en est-il des milieux universitaires ?

Le monde universitaire français est, à mon avis, complètement influencé par la version proposée par le castrisme et son avatar vénézuélien, le chavisme. La meilleure preuve, c’est qu’en cinquante ans, très peu d’universitaires et doctorants ont trouvé intéressant de se pencher sur les questions des droits de l’homme à Cuba, de son système de répression, du sort des dissidents, de la liberté d’expression, de l’exil cubain ou encore sur l’importance de la politique d’influence de La Havane dans le continent latino, via son puissant service de renseignements. Or, Cuba est crucial pour comprendre les événements au Venezuela et en Amérique latine.

Dans le monde universitaire, le castrisme a aujourd’hui encore d’innombrables relais qui peuvent faire la promotion du chavisme ou minimiser son caractère fascisant. Dès le début du chavisme, le recteur de l’Académie de Paris a ainsi organisé, en collaboration avec l’ambassadeur du Venezuela en France, un forum intitulé "La transformation un Venezuela, une utopie possible ?" en présence d’Hugo Chavez. L’incontournable Ignacio Ramonet faisait partie des principaux orateurs "révolutionnaires" et "anti-impérialistes". Je me souviens que le recteur était dithyrambique à propos de l’accueil fastueux qui lui avait été réservé à Caracas quelques semaines plus tôt…

Dans le monde universitaire, le castrisme a aujourd’hui encore d’innombrables relais.

Elizabeth Burgos

De rares journalistes tentent de dénoncer cette situation. Mais ce n’est pas simple. Ceux qui s’y risquent sont immédiatement insultés, comme ce fut le cas avec le journaliste du Monde, Paulo Paranagua, taxé d'"agent de la CIA" par Mélenchon". Résultat, le sujet est abordé avec des pincettes. Pour évoquer les dictatures cubaines, vénézuéliennes ou nicaraguayennes, on préfère parler de "modèle alternatif". Et l’on use d’euphémismes tels que "démocratie illibérale". Un oxymore débile. Rares sont ceux qui parlent de dictature au sujet du Venezuela.

La proximité du monde universitaire français avec le régime bolivarien est ancienne comme le montre ce carton d'invitation conjointe du rectorat de Paris et de l'ambassade du Venezuela à l'occasion de la visite d'Hugo Chavez à Paris en 2001.

Je me souviens que, du temps où il dirigeait l’Institut des hautes études d'Amérique latine (IHEAL, rattaché à la Sorbonne), de 1998 à 2004, Jean-Michel Blanquer – qui, au début, avait une certaine sympathie pour le chavisme – m’avait demandé de préparer un colloque de chercheurs et d’historiens sur le Venezuela. Hélas, il était déjà sur le départ… et son successeur m’a fait savoir qu’il n’était pas intéressé par ce projet.

L’aveuglement au sujet du Venezuela ressemble-t-il à celui sur Cuba quelques décennies plus tôt ?

C’est le même mécanisme, les mêmes réseaux de l’intelligentsia. Le milieu de l’édition y joue un rôle important. Lorsque, en 1989, était publié l’excellent La Lune et le Caudillo, Le rêve des intellectuels et le régime cubain (1959-1971), par Jeannine Verdès-Leroux – l’un des meilleurs ouvrages sur le sujet –, le livre a complètement été passé sous silence. Il n’a pas eu droit à la moindre ligne dans Le Monde car le collaborateur chargé de la rubrique a fait savoir qu’il faudrait passer sur son cadavre avant qu’une recension de ce livre soit publiée dans le journal du soir.

A l’inverse, Maurice Lemoine, du Monde diplomatique, a publié Chavez presidente ! chez Flammarion en 2005. Le bouquin fait 900 pages ! Et Ignacio Ramonet a publié dix ans plus tard Hugo Chavez, ma première vie (776 pages). Je m’interroge : y a-t-il un public en France pour dépenser 30 euros pour des bios de Chavez si volumineuses ? [NDLR : le premier livre s’est vendu à 3 500 exemplaires et le second à 1 000.]

D’autres exemples ?

Voilà quelques années, j’ai été invitée avec d’autres spécialistes du Venezuela à faire une conférence au lycée Henri IV. Mes hôtes ont pris soin de me prévenir que les élèves avaient une sensibilité pro-Mélenchon. Il faut croire que les organisateurs avaient peur de ce que j’allais dire car je les sentais inquiets. Alors je me suis permis de leur dire : "C’est moi qui suis très inquiète, pour vous et pour la France. Parce que, si à Henri IV, où sont formés les meilleurs cerveaux français, il est difficile d’avoir une opinion politique différente de celle de La France insoumise au sujet du Venezuela, c’est inquiétant…" J’ai fait une présentation très factuelle et analytique. Et à la fin, les élèves étaient pétrifiés. Ils sont partis en silence sans poser la moindre question. Une enseignante m’a dit : "J’ai appris beaucoup de choses en vous écoutant ; ce n’est pas ce que je lis dans les journaux." Voilà…

Pourquoi le Venezuela et Cuba mènent-ils une politique d’influence en France ?

Parce que Paris reste une chambre d’écho très importante. De plus, il existe en France un imaginaire révolutionnaire qui entre en résonance avec l’idée révolutionnaire en Amérique latine. Qui plus est, il n’existe pas de contentieux colonial entre le France et l’Amérique latine. Les Français sont donc très bien reçus à Cuba, comme au Venezuela et ailleurs. Ajoutons à cela la figure tutélaire de De Gaulle, très admirée dans la région, y compris par Fidel. De Gaulle incarnait une sorte d’équilibre entre l’Est et l’Ouest même s’il était fermement du côté de Kennedy lors de la crise des missiles en 1962.

La gauche française se réfugie derrière l’argument selon lequel Nicolas Maduro est peut-être un dirigeant autoritaire mais que son prédécesseur Hugo Chavez était un doux agneau…

Il s’agit bien sûr d’un subterfuge, d’une malhonnêteté ou d’une méconnaissance. C’est Chavez qui a mis au point tout le système autocratique actuel, sur les conseils avisés de Fidel Castro. Il a commencé par plaider en faveur d’une nouvelle République afin de faire table rase du passé et éliminer la Constitution précédente qui, selon lui, avait transformé le système en "pourriture" – c’était son expression. Par quel moyen ? Par la création d’une Assemblée constituante, pardi ! Ça vous rappelle quelque chose ? C’est normal : c’est ce que prônent Mélenchon et LFI. L’objectif est de rédiger une Constitution plus malléable, qui affaiblit les contre-pouvoirs et qui, in fine, permet de se perpétuer au pouvoir. Au Venezuela, le chavisme est enkysté depuis un quart de siècle.

Chavez a complètement détruit le système démocratique. Il a aussi "accaparé" PDVSA pour en faire sa propre tirelire. Nationalisée en 1976 par le président social-démocrate Carlos Andres Perez, alias "CAP" (contre lequel Chavez tenta un putsch sanglant en 1992), la compagnie fonctionnait très bien jusqu’à ce que Chavez vire 30 000 experts – y compris des archéologues, des gérants, des ingénieurs – pour les remplacer par 200 000 militants "bolivariens". C’est ça qui a conduit à la catastrophe industrielle et économique que l’on sait.

Cinq mille entreprises ont par ailleurs été nationalisées, dépecées et ruinées, causant l’exode des personnes expropriées qui faisaient la richesse économique du pays. Bref, il a suivi à la lettre le modèle de Cuba. Comment voulez-vous qu’ainsi, le pays ne soit pas ruiné ? Les sanctions américaines n’ont rien à voir là-dedans. Par ailleurs, Chavez était un menteur. Un exemple parmi mille : il affirmait avoir instauré la gratuité de l’éducation. Mais c’est faux. Les écoles ont toujours été gratuites au Venezuela. Certes, il existait des écoles privées sous contrat, comme en France, mais les frais de scolarité étaient inexistants.

Le chaviste Mélenchon ne se distancie nullement de Maduro

Elizabeth Burgos

J’ajouterais que le chaviste Mélenchon ne se distancie nullement de Maduro. Sur X, Christian Rodriguez, son "émissaire" pour l’Amérique latine, reprend en substance l’argumentaire de Maduro : "L’élection du 28 juillet n’est pas frauduleuse ; l’opposition d’extrême droite tente un coup d’Etat ; le tout est téléguidé par les USA ; Maduro est un démocrate ; il faut donc réprimer." Navrant.

Quelle différence entre Chavez et Maduro ?

Chavez était un militaire mégalomane, Maduro est un stalinien pur et dur doublé d’un "Cubain". Je veux dire par-là qu’il a été formé à Cuba dans l’école des cadres du Parti communiste Nico Lopez de la Havane qui formate les cadres de la révolution internationaliste depuis six décennies. Lorsque Hugo Chavez meurt en 2013, son successeur légal, selon la Constitution, devait être l’effroyable président de l’Assemblée nationale Diosdado Cabello, un vrai fasciste. Mais il n’était pas proche des militaires cubains. Il a donc été écarté par La Havane qui fait la pluie et le beau temps à Caracas. A sa place, Maduro, imprégné psychologiquement et idéologiquement de la pensée cubaine, est devenu président. Il est une sorte de chargé de mission de La Havane au Venezuela.

Comment s’explique la permanence de la fascination exercée par Cuba et son avatar vénézuélien ?

Trois ans après la mort de Staline a été publié, en 1956, le "rapport Khrouchtchev" dénonçant les abus de la période stalinienne. Cela a été la grande déprime parmi les communistes français. Mais, dès janvier 1959, la révolution cubaine a redonné de l’oxygène à toute la gauche. Ces types barbus habillés comme dans les romans de chevalerie avec des uniformes et tout ça, c’était irrésistible. Cela a coïncidé avec le moment où la télévision est devenue le maître à penser du monde. A partir de 1960, tous les foyers français ont été équipés de téléviseurs. La révolution cubaine est devenue un grand spectacle médiatique.

Aux Etats-Unis, Castro a été traité en star hollywoodienne. Savez-vous quel journal a publié le plus d’interviews, le plus d’articles sur Fidel Castro ? Playboy ! Pour ce magazine, il était la figure idéale : macho, masculin – aujourd’hui, on dirait "masculiniste". Iconoclaste, Castro s’était disputé avec tout le monde : les Chinois, les Russes, les Américains. En plus, il était beau et ses guérilleros jouissaient de l’aura de "latin lovers" sexy.

Cuba a été la bouée de sauvetage du communisme. Même après l’invasion de Prague en 1968, même après la publication de L’Archipel du Goulag de Soljenitsyne en 1973, Cuba offrait la possibilité de croire au communisme à visage humain. Moscou ne s’y est pas trompé. L’Union soviétique s’est donc payée, et a entretenu pendant des décennies, une "maîtresse" dans les Caraïbes pour faire la publicité du communisme. Tout au long de son histoire, Cuba s’est appuyé sur les intellectuels. Savez-vous qui a joué le plus grand rôle ? Gabriel Garcia Marquez, l’écrivain colombien prix Nobel de littérature resté fidèle à Fidel jusqu’au bout. A chaque fois que le communisme tropical était remis en cause, il venait en Europe désamorcer les critiques. A l’époque, il était le latino-américain le plus populaire après Fidel Castro en France. Ce dernier s’est toujours servi du monde de l’édition pour polir son image.

Pourquoi Mélenchon est-il fasciné par Cuba et le Venezuela ?

Il l’a expliqué un jour dans son blog en racontant son voyage dans l’avion de Chavez puis son bain de foule avec lui. Mélenchon était ému aux larmes par la ferveur populaire. Avec Chavez, il a compris qu’il pouvait dire des choses transgressives qu’il n’aurait jamais osé dire auparavant. Il l’explique ainsi dans son blog. Il emprunte à Chavez une forme d’agressivité et une manière d’insulter les gens avec des phrases où se mêlent langage populaire et registre châtié. Il utilise le parler de la rue mais valorise l’érudition. C’est pour cela qu’il a la réputation d’un grand orateur. A tort, selon moi.

Mitterand était un grand orateur, ça oui. De Gaulle aussi. Mais pas Mélenchon. Lui exalte la partie la plus archaïque de l’être humain, c’est-à-dire le ressentiment. Avec Chavez, il a compris qu’il pouvait exploiter politiquement le ressentiment. Comme lui, c’est un grand hystérique qui utilise la communication émotionnelle. C’est le contraire de Macron, en somme.

Quelle ressemblance entre le Venezuela et la France ?

L’antimacronisme hystérique d’aujourd’hui me rappelle le Venezuela pré-Chavez. A l’époque, tout le monde attaquait le président Carlos Andres Perez, un social-démocrate qui avait compris qu’il fallait mettre fin au paternalisme pétrolier de l’Etat, qu’il fallait faire des réformes, moderniser les institutions. Il a créé une commission pour la réforme de l’État. Et toutes les couches de la société, toutes les élites, les démocrates-chrétiens, les sociaux-démocrates, les intellos, les centristes se sont mis en guerre. On traitait le président de "néolibéral". C’était l’insulte de l’époque. Tout le monde appelait à sa démission. En 1992, un obscur lieutenant-colonel conspirationniste nommé Hugo Chavez a mené un putsch raté qui s’est soldé par des centaines de morts civils. Rétrospectivement, tout le monde reconnaît aujourd’hui que Carlos Andres Perez avait raison de dire ce qu’il disait.

Je sens monter la même passion antiprésidentielle contre Macron

Elizabeth Burgos

Évidemment la France n’est pas le Venezuela mais je sens monter la même passion antiprésidentielle contre Macron, avec une instrumentalisation par LFI qui manifeste avec des effigies du président décapité et défile avec des drapeaux palestiniens pour importer le conflit du Moyen-Orient en France. J’ai vu la même chose au Venezuela à l’époque. LFI fait feu de tout bois. Le RN aussi. N’importe quel sujet est utilisé pour créer de l’instabilité, du déséquilibre.

Mélenchon donne son avis sur tout. Il traite Macron de dictateur, comme il traite Marina Corina Machado de fasciste. Il crie à tous vents que la police tue. Il s’agit de donner une image négative de la France. C’est une technique de guérilla bien connue qui emprunte au léninisme comme au castrisme. Mélenchon veut que tout se passe mal afin qu’il puisse se présenter en sauveur qui résoudra tous les problèmes. Pour cela, il est même prêt à danser le tango avec le Rassemblement national. Si l’extrême droite arrive au pouvoir, il sera bien positionné pour tirer les marrons du feu. Voilà ce qu’il a en tête.

L’euphorie créée par les Jeux olympiques peut-elle lui faire obstacle en freinant ce climat de polarisation ?

Nullement. Cela va reprendre, c’est certain, puisque cela répond à une méthode. Le mensonge fait d’ailleurs partie de la panoplie des armes utilisées, à l’instar de la maskirovka, le terme militaire russe qui désigne l’art de la désinformation. A la guérilla, toutes les armes sont légitimes ! Pour le moment, la France est tranquille parce que ni Mélenchon ni Bardella ne se sont exprimés récemment. Mais ils vont recommencer. Ces deux-là sont complémentaires.

Pour finir, comment définir le régime chaviste qui plaît tant à l’extrême gauche française ?

D’abord, en 1999, Chavez n’a pas renversé une dictature comme Castro à Cuba en 1959 ou Daniel Ortega au Nicaragua en 1979. Il a renversé une démocratie. C’est d’ailleurs pour cela que les anticorps au sein de la société sont plus résistants. Avant Chavez, le Venezuela a vécu en démocratie pendant quarante ans. Après sa première élection (la seule qui n’a pas été entachée de fraude), la démocratie vénézuélienne a été renversée en payant des gens grâce aux énormes liquidités en pétrodollars – et aujourd’hui en narcodollars.

En fait, le chavisme est un système qui tient grâce à une armée de "mercenaires" de tous poils, qui perçoivent des rétributions : les militaires moyennant le grade de général donnant accès au contrôle des douanes (ce qui permet de participer à tous les trafics y compris de drogue) ; les journalistes qui font la publicité du régime de par le monde ; les partis politiques alliés qui touchent des financements ; la population qui reçoit de la nourriture, certes avariée, mais gratuite.

La liste ne s’arrête pas là : le Venezuela a racheté la dette argentine sous Cristina Kirchner ; financé les campagnes d’Evo Morales en Bolivie, d’Ollanta Humala au Pérou et la première campagne de Lula au Brésil ; soutenu 13 Etats des Caraïbes en leur fournissant gratuitement du pétrole (aujourd’hui ces mêmes Etats soutiennent Maduro au sein de l’Organisation des Etats américains) ; livré du fioul gratuitement aux habitants du Bronx en 2006 ; cornaqué le maire de Londres Ken Livingstone en 2007 en alimentant ses bus municipaux avec du carburant à bas prix ; financé la création de partis en Europe dont Podemos en Espagne, et cætera, et cætera.

Compte tenu du contexte international, Maduro peut-il être poussé à céder le pouvoir ?

Je vois mal comment les Russes, qui sont dans une dynamique de conquête militaire avec une vision impériale, lâcheraient un centre géopolitique de cet ordre. Pour l’instant, le Venezuela n’est pas un point chaud militaire. Mais il peut le devenir. D’ailleurs, les premières tensions ont déjà été créées artificiellement à la frontière du Guyana. Je dis "artificiellement" parce que le Guyana et le Venezuela sont deux proches alliés de Cuba et que La Havane tire les ficelles des deux côtés. Provoquer un conflit artificiel entre ces deux pays pourrait justifier une militarisation plus importante de la région avec l’importation de troupes et de matériel en provenance de Russie, d’Iran, de Chine. Ce n’est pour l’instant que théorique mais c’est à surveiller. D’ailleurs la Chine et la Russie ont immédiatement avalisé la fraude électorale en reconnaissant la pseudo-victoire de Maduro.

Quoi qu’il en soit, ce dernier est en position fragile. Il a perdu les couches populaires qui autrefois étaient chavistes. L’opposition a démontré au monde entier qu’il avait perdu l’élection présidentielle. Et il ne lui reste plus que l’armée. Elle lui est encore fidèle. Mais jusqu’à quand ?

Читайте на 123ru.net