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Otages, ô désespoir

Le 7 octobre, le Hamas a capturé 251 personnes. Près d’un an plus tard, 106 otages, dont deux Franco-Israéliens, sont toujours retenus à Gaza – morts ou vivants. Cette tragédie remet en question le contrat moral qui unit l’État à ses citoyens, et divise une société israélienne déjà profondément fracturée.


Quiconque arrive à l’aéroport Ben-Gourion à Tel-Aviv est saisi par leurs visages, placardés dans le vaste hall qui sépare la zone de débarquement de la sortie. Jeunes, vieux, hommes, femmes, enfants, beaucoup sourient, saisis dans un moment heureux qui, peut-être, leur tient secrètement compagnie dans leur prison. Dans les manifestations clairsemées qui ont lieu en leur honneur, à Paris et dans d’autres villes européennes, ils interpellent les passants comme pour leur dire « Ne nous oubliez pas ! ». Il se trouve aussi dans ces mêmes villes des salopards pour déchirer ces affiches, profanation minable qui ose se draper dans des considérations humanitaires. Pour Israël, les otages sont littéralement une tragédie – une situation sans solution : d’une part, le contrat moral entre l’État et ses citoyens veut qu’on les ramène à n’importe quel prix ; et de l’autre, la survie collective ne peut pas être sacrifiée à ces vies humaines, aussi précieuses soient-elles. Alors on rêve d’une opération Entebbe[1] – les méchants sont punis et les innocents, libérés : une fin à la James Bond est la seule issue heureuse.

Israël, une grande famille

Le 7 octobre 2023, lors de l’attaque surprise du Hamas, 251 personnes, ainsi qu’un nombre indéterminé de cadavres, ont été enlevées en territoire israélien et emmenées à Gaza pour servir de monnaie d’échange et de boucliers humains à la milice islamiste. Un peu moins de la moitié des personnes prises vivantes l’ont été au kibboutz Nir Oz (71) et lors de la fête Nova (41). 32 otages étaient des étrangers, principalement thaïlandais, et 25 des militaires. 37 otages avaient moins de 18 ans, mais ils ont tous été libérés en novembre 2023, à l’exception des deux enfants de la famille Bibas, dont le plus jeune, Kfir (« lionceau » en hébreu), avait 9 mois lors de son enlèvement.

Le 22 novembre 2023, dans le cadre d’un accord entre Israël et le Hamas, 80 otages israéliens ont été libérés, ainsi que 23 Thaïlandais et un Philippin, en échange de 240 prisonniers palestiniens détenus par Israël. Six otages ont été libérés vivants lors des opérations spéciales menées par l’armée israélienne et d’autres, via des accords entre leurs gouvernements respectifs et le Hamas. Aujourd’hui, 107 Israéliens, dont deux binationaux français, sont toujours détenus à Gaza. Plusieurs dizaines d’entre eux sont probablement décédés.

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Si cette prise d’otages est sans précédent en raison de son ampleur et du contexte, la question des otages hante la société israélienne depuis les prises d’otages perpétrées par l’OLP dans les années 1970 : le détournement de l’avion de Sabena, le massacre des JO de Munich (initialement une prise d’otages) en 1972, et bien sûr l’affaire du vol Air France détourné vers Entebbe en 1976.

En 1982, pendant la guerre au Liban, des soldats de Tsahal sont faits prisonniers par le FPLP d’Ahmed Jibril et, faute de pouvoir les libérer par la force, Israël accepte de libérer 1 151 détenus palestiniens, dont Ahmed Yassin qui fondera le Hamas en 1987. Déjà à l’époque, le pays se déchire entre les considérations d’ordre stratégique et le respect du contrat moral tacite entre l’État et ses citoyens en uniforme. L’accord laissera un goût amer, en raison notamment du rôle important joué dans l’Intifada par certains des prisonniers palestiniens libérés. Un jeune aviateur le paiera de sa vie.

Lors d’une mission de combat au-dessus du Liban en octobre 1986, un pilote et un navigateur sont contraints de s’éjecter après un problème de munitions à bord de leur avion. Si le pilote est récupéré par Tsahal, l’autre aviateur, Ron Arad, est capturé par des miliciens chiites d’Amal. C’est le début d’une triste affaire qui mobilise la société civile israélienne pendant presque vingt ans. Aujourd’hui, on estime qu’Arad est probablement mort au plus tard au milieu des années 1990. Il est également largement reconnu que les dirigeants israéliens, échaudés par les critiques de l’accord avec le FPLP, ont laissé passer des occasions de libérer Arad. Pour la première fois, le public comprend que, contrairement au discours officiel, son gouvernement ne paiera pas n’importe quel prix pour récupérer ses soldats. Pour une société qui se voit encore comme une grande famille dont certains membres portent l’uniforme, cette confrontation avec la raison d’État est douloureuse.

Le soutien aux otages devient une expression partisane

À peine remis de cette tragédie, les Israéliens découvrent Gilad Shalit, enlevé en juin 2006 par un commando du Hamas qui s’est infiltré par un tunnel. Le visage de Gilad remplace celui d’Arad à l’arrière des voitures, la pression médiatique reprend. En octobre 2011, après soixante-quatre mois de captivité, Shalit est libéré en échange de 1 021 prisonniers palestiniens, dont… Yahya Sinouar, l’actuel chef du Hamas et l’un des artisans du 7 octobre 2023.

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On comprend que la série télévisée Hatufim, relatant l’histoire de militaires israéliens libérés après dix-sept ans de détention, ait tenu Israël en haleine. Des éléments des affaires Jibril/FPLP, Ron Arad et de Gilad Shalit sont clairement présents dans cette fiction, premier succès à l’exportation de l’industrie israélienne de production télévisuelle, qui a inspiré une version américaine, Homeland.

Malgré cette riche expérience, ni l’État ni la société israélienne ne semblent mieux préparés à gérer ces situations douloureuses. En revanche, au cours de ce demi-siècle, l’un et l’autre ont considérablement changé. Pour la première fois, la traditionnelle solidarité instinctive avec les otages cède parfois la place à des expressions d’indifférence. Certains ne voient en eux que des gauchistes, des kibboutzniks, des fêtards drogués, bref pas des juifs comme il faut. Ce qui faisait totalement consensus il y a trente ans – le soutien aux otages – est désormais une expression partisane. Cela rappelle que le 7 octobre a fait irruption dans une société travaillée par une crise identitaire profonde – certains disaient le pays au bord de la guerre civile. Près d’un an plus tard, et alors que la guerre continue au nord et au sud, la douloureuse question des otages montre que cette crise est toujours là.


[1] Dans la nuit du 3 au 4 juillet 1976, les forces spéciales israéliennes ont libéré et exfiltré les passagers d’un vol Air France Tel-Aviv/Paris, détourné par le FPLP et stationné sur l’aéroport d’Entebbe à Kampala. Cette opération, menée à des milliers de kilomètres d’Israël, est entrée dans la légende. Trois otages et un militaire israélien (le frère aîné de Benjamin Nétanyahou) ont été tués. Une quatrième otage a été assassinée plus tard à l’hôpital par des Ougandais.

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