Michel Barnier: Macron demande à l’ancien monde de sauver le nouveau
Après une longue période de flottement – sept semaines d’attente et de pénibles rebondissements – la droite a finalement réussi à étouffer la gauche. À ceux de nos lecteurs que la petite tambouille politicienne française n’ennuie pas assez, nous expliquons ici pourquoi le président Macron a finalement choisi le Savoyard Michel Barnier.
Les esprits lucides et pragmatiques le savaient bien : il était impossible à la gauche de gouverner dans son incarnation du Nouveau Front populaire. De fait, elle aurait été immédiatement censurée par les deux tiers restants de l’Assemblée nationale, soit le centre et la droite.
Emmanuel Macron n’a d’ailleurs jamais eu l’intention de confier Matignon à la gauche. Rien ne pouvait l’en empêcher puisque le cartel des gauches n’a pas obtenu de majorité, même relative, et ne pouvait nouer aucune alliance pour élargir sa base. Pis encore, son « alliance » était particulièrement fragile, le discours radical et sans compromis de La France Insoumise suscitant le rejet d’une bonne part des Français mais aussi de cadres historiques du Parti socialiste.
Gauches irréconciliables
L’équation posée à Emmanuel Macron était donc simple. Deux options s’offraient à lui. La première était incarnée par Bernard Cazeneuve. Elle impliquait de détacher une partie du PS du bloc du Nouveau Front populaire tout en négociant avec Les Républicains pour qu’ils ne censurent pas. Compliqué. La seconde demandait de nommer un Premier ministre issu de la droite classique qui n’entraine pas automatiquement une censure du Rassemblement national sans trop susciter de rejet dans les rangs macronistes.
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L’option Xavier Bertrand ayant été immédiatement repoussée par Marine Le Pen – les deux personnalités nordistes se détestant cordialement depuis de nombreuses années -, Emmanuel Macron a fait le choix de désigner Michel Barnier. Il a ainsi humilié la gauche comme rarement dans son histoire. Il a fait payer à ce camp son absence totale de volonté de compromis et entériné qu’il était plus simple de négocier avec le Rassemblement national. Disons-le, l’arrivée de Michel Barnier n’aurait pas été possible sans l’accord de Marine Le Pen, devenue centrale dans cette Assemblée nationale avec ses 140 députés.
Marine Le Pen : « Que le futur Premier ministre ne nous traite pas comme des pestiférés »
Plus malin encore, cette dernière a fait savoir immédiatement qu’elle ne participerait pas au gouvernement, mais qu’elle allait déposer un cahier de doléances sur des thématiques qui lui sont chères, dont l’immigration, la sécurité et le pouvoir d’achat. S’il ne s’agit pas ici d’un pacte de gouvernement comme celui négocié par Laurent Wauquiez avec l’Élysée, il y a là un genre de pacte de bonne intelligence parlementaire. Tous les acteurs de cette habile manœuvre politique pourront se targuer d’avoir évité à la France un gouvernement de gauche très engagé à un moment où nous ne pouvons absolument pas nous le permettre.
La dette est en roue libre, la France étant même menacée par une « procédure pour dette excessive » lancée par la Commission européenne. Nous aurons 110 milliards d’économies à faire, le tout sans augmenter une charge fiscale déjà tout particulièrement étouffante. Une mission complexe où les qualités de Michel Barnier pourraient s’avérer très utiles. Ce dernier fut en effet l’homme des négociations du Brexit, dont il a tiré un fort intéressant ouvrage intitulé La Grande Illusion – Journal secret du Brexit (2016-2020) chez Gallimard.
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Européen convaincu, Michel Barnier sait pourtant cibler les défauts de notre Europe. Lors des primaires des Républicains de 2021, il avait notamment déclaré : « Sur l’immigration, il faut retrouver notre souveraineté juridique pour ne plus être soumis aux arrêts de la CJUE ou de la CEDH ». Il entendait même proposer un référendum sur la question aux Français en cas d’élection à la présidence de la République. Décrit comme courtois, Michel Barnier représente l’ancien monde – ce qui est en soi une défaite pour le « nouveau », mais passons. Dans une période de troubles, il est sûrement intéressant d’avoir un faiseur à Matignon plutôt qu’un diseur.
La droite dit merci au NFP
La situation qui se présente à lui sera néanmoins d’une complexité inouïe. Le parlement est divisé, les Français ne le sont pas moins. Un véritable homme d’Etat peut s’en sortir, surtout quand il connait bien le fonctionnement interne des partis et la « tambouille ». Bien sûr, il faut s’attendre à ce que la gauche soit totalement déchaînée, à ce qu’elle provoque même un troisième tour social dans la rue, en s’opposant à tout et surtout à ce qui pourrait être bien. Le retour à la réalité sera rude pour les cadors des plateaux de télévision, après avoir joué la comédie en soutenant Lucie Castets. La France est majoritairement à droite et cela inclut les 11 millions d’électeurs du Rassemblement national. Pour la première fois, ses électeurs seront peut-être partiellement entendus par un gouvernement respectueux et capable de compromis.
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La gauche dénonce un coup de force qu’elle a elle-même voulu tenter. On serait même tenté de répondre avec un peu d’ironie que son jusqu’au boutisme a plus fait pour l’union des droites, qui ne peut passer que par le centre, que ce que les caciques de la droite ont fait en trente ans…
Le Front Populaire des élections a fait place à un rassemblement – national, serait-on tenté d’écrire – contre la gauche au parlement, savamment ourdi par un Emmanuel Macron trop heureux de garder son pré-carré international. Soyons honnêtes : ce qui est présenté comme une cohabitation ne peut pas totalement en être une avec le soutien des députés du parti présidentiel au nouveau Premier ministre. Il s’agit plutôt d’une « coalibitation » dans laquelle la droite sera le centre, quelque part entre Ensemble et le Rassemblement national… Durable ? Nous le verrons bien.
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