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La galanterie, émancipatrice ou rétrograde ? Jennifer Tamas répond dans son dernier essai

Peut-on encore être galant ? Espérons que oui, à moins que… Drôle de question en fait, parce que question piégée. Se la posant, comme si elle n’allait pas de soi, Jennifer Tamas prolonge une réflexion personnelle entamée avec son essai paru l’an dernier Au NON des femmes, libérer nos classiques du regard masculin (Seuil), qui la conduit à relire notre histoire littéraire, et politique, à l’aune du renouveau de la pensée féministe, voire de la “nouvelle civilité sexuelle” théorisée par la sociologue Irène Théry

Spécialiste de littérature française de l’Ancien Régime, professeure à la Rutgers University (New Jersey), Jennifer Tamas  éclaire dans ce court texte l’ambiguïté du terme “galanterie” à travers un double mouvement de pensée : en historicisant son usage depuis son invention au XVIIe siècle, et en consignant à la fois ce qu’il révèle et cache dans notre époque. Car depuis #metoo, la galanterie a perdu une part de sa mythologie, comme l’a analysée Alain Viala dans plusieurs ouvrages. Longtemps louée comme la facette d’un art de vivre à la française, elle reconfigura les rapports de genre et de pouvoir. “Tout comme le ‘gentleman’ incarnerait le stéréotype de l’élégance et du raffinement anglo-saxon”, l’homme galant dégage “un ‘je ne sais quoi’ typiquement français”, observe Jennifer Tamas.

Galanterie : des mœurs qui changent

La galanterie “constitua même une révolution civilisationnelle”, écrit l’universitaire, en ce sens que l’idéal galant s’élabora en réaction à la violence de la société d’Ancien Régime.  “Au sein du pays, comme dans l’enceinte de la chambre à coucher, la brutalité était la valeur la mieux partagée”, rappelle-t-elle. “Face aux guerres de religion, aux combats monstrueux et aux comportements bestiaux, la société d’Ancien Régime esquissa les contours d’un homme nouveau”, que le sociologue Norbert Elias éclaira dans son œuvre (La société de cour et La civilisation des mœurs), en expliquant notamment comment Louis XIV domestiqua les Grands Seigneurs et en fit des “courtisans”. “La galanterie est née de cette volonté de pacification, l’étymologie du mot renvoyant au jeu et à l’agrément on s’accorde généralement sur l’idée qu’elle consista avant tout en un ‘art de plaire’ qui s’érigea en civilisation des mœurs”, observe Jennifer Tamas. 

Mais, sous le vernis de ce geste civilisationnel, un loup demeurait pour certain·es. Si la galanterie peut être considérée comme émancipatrice, elle apparaît aussi rétrograde aux yeux de celles et ceux qui estiment qu’elle fait le jeu des hommes et essentialise les rapports hétérosexuels sous un vernis trompeur. “L’apparente soumission à la femme n’aurait été qu’une forme de domination masculine, redoublée par l’institution patriarcale”, observe l’autrice. Le galant d’aujourd’hui n’est-il pas “le prototype du vieil homme blanc hétérosexuel qui déplore la grandeur d’une France obsolète ?”. Il est d’ailleurs frappant d’observer que l’adjectif galant, appliqué au masculin, désigna “‘l’honnête homme’ alors qu’au féminin, il indiquait ‘la débauchée’, la ‘courtisane’ (la ‘femme galante’). Cette asymétrie lexicale résulte d’un stéréotype de genre appuyé. 

Repenser les rapports de force entre les genres

Pour Jennifer Tamas, l’urgence est bien de “repenser les rapports de force, de questionner les scripts amoureux et d’éviter de reproduire dans les rapports intimes l’hyper-structure du patriarcat”. Le combat (perdu) des “précieuses” au XVIIe siècle demeure plus que jamais d’actualité : “un droit au sexe, l’égalité et la fin des violences, la recherche de rapports fluides et non d’emprise”.

Jennifer Tamas défend ainsi cet horizon d’égalité, qui sacrifie moins la galanterie comme attitude civilisée qu’elle ne la reconfigure comme idée politique. Cherchant à se débarrasser d’une galanterie “fantasme et fantôme”, d’une galanterie “peau-de-chagrin vidée de tout sens politique”, elle s’accroche à la possibilité de “galantiser le sexe”, pour le rendre plus respecteux et joyeux, en activant sur des bases renouvelées la grande conversation des sexes, qui se cherche, tâtonne encore, au point de discuter sans fin de savoir si l’on peut encore être galant.

Jennifer Tamas, Peut-on encore être galant ? (Seuil/Libelle) 72 p, 4,9 €. En librairie.

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