Caribou, tête chercheuse de la scène electro : “Nos concerts sont un crescendo d’excitation”
En septembre, en prévision de la prochaine tournée, tu as organisé à Londres des répétitions qui se sont transformées en une série de petits concerts en public. Dans quel but as-tu créé ce concept ?
Dan Snaith – On a déjà attaqué certaines tournées précédentes sans échauffement au préalable, et ce n’était pas une bonne idée ! Sur scène, on fait le choix de jouer en live, ce qui peut entraîner pas mal de problèmes potentiels. Ça ne me dérange pas : j’aime bien cette énergie, et les imprévus peuvent parfois déboucher sur de bonnes idées. J’habite à 5 minutes à pied de la toute petite salle où l’on a joué à Londres. Au départ, je m’étais dit que ce serait un endroit pratique pour y faire nos répétitions en groupe, dans leur sous-sol. Mais au final, ce qui nous aide le mieux, c’est d’interpréter ces nouveaux morceaux en public, donc on a organisé quatre soirées sur place. La plupart de nos morceaux sont reliés les uns aux autres et se succèdent comme dans un DJ set. En ce moment, je fais aussi des DJ sets surprises, dans des endroits où je me retrouve très proche de la foule, témoin direct de leurs réactions – c’est à la fois utile et très fun ! On a retiré de notre setlist tout ce qui n’était pas de la dance music. On ne garde que ce qui nous met dans une ambiance de fête sympa. Nos concerts sont donc un crescendo d’excitation.
Est-ce avec cet objectif en tête que tu as imaginé Honey ?
Je le crois, oui. Dans un sens, c’est arrivé naturellement, mais il faut aussi prendre en compte les conséquences de la pandémie : nous avons repoussé plusieurs fois notre tournée, et dès que c’était à nouveau autorisé, on recalait nos concerts. Dans pas mal d’endroits, notamment Dublin, Vancouver, Glasgow ou au festival Green Man (au Pays de Galles), on a été le premier concert de réouverture. L’album précédent, Suddenly (2020), était davantage dans l’introspection, la mélancolie, la lenteur, et on s’est dit que personne n’avait envie d’entendre ça dans ce contexte de déconfinement ! On venait déjà de traverser un an et demi dans cet état d’esprit. En studio, ça s’est donc traduit par l’effet inverse. C’était un album vraiment facile à faire, comparé à d’autres. Mes idées fusaient, et j’ai rapidement compris qu’il fallait que je suive cette direction, que cet album allait être de la dance music amusante. Le processus a duré environ deux ans. Bizarrement, certains morceaux remontent à la période où j’ai enregistré Suddenly, mais ils ne collaient pas avec le reste, donc je les avais mis de côté.
Entre-temps, tu as aussi sorti un album en tant que Daphni…
Oui, suivi de toute une tournée. Justement, au bout d’un moment, je me suis dit qu’on ne pouvait pas continuer de faire des concerts sans sortir un nouvel album. Je savais que j’avais tous ces morceaux très fun à jouer, et j’ai décidé d’arrêter de caler des dates pour prendre le temps de préparer ce nouvel album et pour pouvoir ensuite jouer en live tous ces titres. Au fil du temps, j’ai compris que ma musique serait toujours un peu empreinte de joie, parce que c’est cette émotion que me procure la création musicale. Pour moi, la musique, c’est créer une source de plaisir et d’euphorie à partir de rien. Ça me sidère encore : je me rends dans mon petit studio merdique au sous-sol de ma maison, j’allume quelques machines, et une demi-heure plus tard, je suis surexcité et heureux. Enfin, pas toujours, sinon ces moments seraient moins précieux ! Mais quand j’ai un déclic, je suis tellement ravi que ça s’entend dans ma musique. Je cherche à retranscrire ce fourmillement.
“À 14 ans, au lycée, je vendais des cassettes sur lesquelles j’avais enregistré des morceaux. Personne n’en voulait !”
Quand as-tu découvert ce pouvoir de la musique ?
Je ne me souviens même pas. Dès mon plus jeune âge, je faisais semblant de jouer de la batterie sur tout ce qui m’entourait, avec mes couverts sur la table du dîner, et j’étais scotché à la radio et à mon Walkman pour écouter de la musique. D’ailleurs, ce nouvel album fait référence à cette période à travers la chanson Volume, qui parle de ce moment fou où j’ai entendu pour la première fois Pump Up the Volume, et où mon cerveau a explosé : c’est quoi, ce truc ? Comment c’est possible de faire ces sons-là ? Plus tard, quand j’étais ado, en parallèle de ma passion pour la musique, j’avais des questionnements comme : comment ont-ils fait ? Comment puis-je faire ? Certains morceaux que j’adorais avaient été faits loin des studios mythiques, qui me semblaient complètement inaccessibles, et plutôt dans la chambre des artistes ou dans leur cave. Quand j’ai compris ça, je me suis mis à essayer de trouver l’équipement adéquat pour faire pareil. À 14 ans, au lycée, je vendais des cassettes sur lesquelles j’avais enregistré des morceaux. Personne n’en voulait ! [Rires.] Mais c’était tout ce qui comptait pour moi : enregistrer ma propre musique, la sortir, et la faire écouter à d’autres personnes. C’est de la magie, j’en suis toujours convaincu.
Le titre de l’album, Honey (“miel” ou “chéri” en VF), provient de la chanson du même titre… Qu’est-ce qui te plaît dans ce mot ?
Pendant longtemps, j’ai passé ce morceau en version longue et instrumentale dans mes DJ sets, et Kieran Hebden de Four Tet aussi. On s’en est parlé et on s’est dit que ça pourrait être chouette d’incorporer juste un petit son chanté, juste un mot. En plus, les autres chansons de l’album que je préparais ne duraient pas plus de 4 minutes, donc je voulais réduire celle-ci un peu. J’étais donc en train de chercher un son chanté pour la compléter et une idée de titre pour l’album, et j’ai trouvé ce terme. J’aime bien sa connotation un peu romantique, son côté doux et pop. J’ai regardé si d’autres artistes l’avaient déjà utilisé, et j’ai vu que c’était le cas de Mariah Carey : c’était parfait ! Il n’y a pas d’autre signification, contrairement à d’autres albums que j’ai faits qui avaient un sens autobiographique – celui où j’ai eu mon premier enfant, celui où mon père est mort, etc. Cette fois, j’ai voulu me soustraire de l’histoire, et d’ailleurs ce n’est pas l’album que devrait faire quelqu’un qui a 46 ans et qui a mon physique. Il y a moins d’ego aujourd’hui dans ma musique. Certains me disent que cet album ressemble plutôt à un disque de Daphni, mais pour moi, ça n’a aucune importance : je veux juste m’amuser avec ma musique sans penser à un concept global.
Aimes-tu échanger avec d’autres musiciens ?
Énormément. Je connais un peu Fred Again, qui est capable de bosser sur sa musique 2 minutes avant d’aller sur scène. Il a ce don incroyable, contrairement à moi qui ai toujours eu besoin d’être au calme chez moi pour composer. Je n’ai jamais eu l’impression de faire partie d’une quelconque scène, mais à Londres, je suis quand même très proche de Four Tet et de Floating Points. Kieran Hebden a été mon premier mentor, c’est grâce à lui que je me suis fait signer. Au fil des années, j’ai dû lui poser un milliard de questions ! Avec lui et Sam [Shepherd], de Floating Points, on s’envoie plein de morceaux à écouter. On se demande entre nous nos avis et conseils sur tel festival auquel on est invités à jouer, telle collaboration qu’on nous propose…
“J’essaie de donner un coup de pouce dès que je le peux. Quand je croise des artistes débutants, je leur dis toujours de ne pas hésiter à m’envoyer leurs morceaux”
Concrètement, tu as un groupe WhatsApp à trois ?
Oui, c’est exactement ça ! Grâce à ça, on reste en contact en permanence, même si on se trouve dans différentes parties du monde. C’est une amitié très précieuse. J’essaie à mon tour de donner un coup de pouce dès que je le peux. Quand je croise des artistes débutants, je leur dis toujours de ne pas hésiter à m’envoyer leurs morceaux, à me demander conseil sur des décisions qu’ils doivent prendre ou juste un avis honnête extérieur, parce que je sais à quel point ça peut être important. On nous répète souvent que cette industrie est remplie de personnes horribles, mais j’ai eu la chance de rencontrer des soutiens adorables et authentiques, de vrais passionnés de musique qui m’entourent depuis des décennies maintenant.
Honey (City Slang/PIAS). En concert le 3 février 2025, au Zénith de Paris-La Villette.