Barnier, Attal, Retailleau : quand Emmanuel Macron prêche dans le désert
Comment ne plus l’inviter ? Une fois, deux fois, Emmanuel Macron et Michel Barnier ont déjeuné ensemble, dans les jours qui ont suivi la nomination du nouveau Premier ministre. C’est une vieille tradition de voir les chefs de l’Etat et du gouvernement partager une fois par semaine des agapes, mais évidemment pas une obligation constitutionnelle… Alors Emmanuel Macron et Michel Barnier ont trouvé d’autres moyens de travailler. Peut-être certains talents cachés du Savoyard – "On a tous quelque chose en nous de Michel Blanc", a écrit le Premier ministre après la mort de l’acteur – ont-ils échappé au président… Autant recevoir, comme l’a raconté La Tribune Dimanche, Gérald Darmanin, en passe de devenir le meilleur ennemi de Michel Barnier.
Emmanuel Macron ne mange pas, mais il boit le calice, et jusqu’à la lie. Le vendredi 4 octobre, une interview exclusive annoncée en grande pompe par TV5 Monde, RFI et France 24 est annulée à la dernière minute, pour un problème d’agenda. Le sujet prévu est le sommet de la Francophonie, qui réunit près de 50 dirigeants internationaux à Villers-Cotterêts, où se trouve la cité internationale de la langue française, grande œuvre de ce président. "Cet événement, personne n’en a parlé, l’actualité est ailleurs", lâche un proche du chef de l’Etat.
Le lendemain, le président est sur France Inter, pour une émission de près d’une heure enregistrée quelques jours plus tôt. Cette fois, il sort l’arme lourde et pas contre n’importe qui, le ministre de l’Intérieur. Bruno Retailleau a estimé que l’immigration n’est pas une chance pour la France ? Emmanuel Macron juge le propos "résolument en contradiction […] avec la réalité". Et il ironise : "On aurait pu décider qu’on aurait mieux fait de la physique nucléaire sans la Polonaise Marie Curie" ou "qu’on aurait pu danser beaucoup mieux sans Charles Aznavour". Les millions de binationaux et de Français issus de l’immigration sont "notre richesse" et "une force", insiste-t-il.
Branle-bas de combat dans l’exécutif ? On se souvient qu’en 1986, il suffisait que François Mitterrand se racle la gorge en entendant le ministre de l’Intérieur de l’époque, Charles Pasqua, qu’il émette des réserves ou fasse savoir ses désaccords, pour provoquer un tremblement de terre dans la cohabitation. Cette fois, rien. Aucune réaction, le propos présidentiel sombre dans la plus totale indifférence.
Même quand il est invisible et muet – difficile de demander plus – il réussit néanmoins à être sifflé. Lundi soir, lors de la cérémonie organisée par le Crif en hommage aux victimes un an après les attaques terroristes du 7 octobre en Israël, il suffit que Michel Barnier cite à deux reprises "le président de la République" pour que la salle se mette à huer. Le samedi précédent, le chef de l’Etat s’était prononcé en faveur de l’arrêt des livraisons d’armes à Israël pour la guerre à Gaza.
La consigne de Kohler : l’Elysée ne se mêle pas du budget
Ces jours-ci illustrent la nouvelle vie d’Emmanuel Macron, loin des projecteurs qu’il chérit tant. Le mardi 1er octobre, tous les regards sont tournés vers Michel Barnier, qui prononce à l’Assemblée nationale sa déclaration de politique générale. C’est à la nuit tombée que le chef de l’Etat convoque un conseil de défense sur la situation au Liban et les récents développements de la crise au Moyen-Orient, qui fera l’objet d’un très long communiqué publié à 1h51 du matin – il fut un temps où même la simple tenue d’un conseil de défense ne faisait l’objet d’aucune confirmation tant l’instance était supposée être secrète.
Le jeudi 3, le secrétaire général de la présidence, Alexis Kohler, réunit, comme il le fait régulièrement, les principaux membres du cabinet. Le budget approche, avec ses points sensibles, ses controverses assurées, ses arbitrages délicats. Peu importe, les nouvelles règles du jeu imposent que les collaborateurs du chef de l’Etat se tiennent à l’écart. Surtout, ne pas donner l’impression d’une cogestion. Le combat sera mené par d’autres.
Le dimanche 6, c’est Gabriel Attal qui intervient sur le sujet au 20h de TF1. Celui-là même qui s’étonne en privé que les articles sur les députés du groupe Ensemble pour la République (ex-Renaissance) les présentent encore comme des "macronistes"… Celui-là même qui, n’en déplaise à Emmanuel Macron, compte se lancer à la conquête du parti sans abandonner sa casquette de président de groupe à l’Assemblée nationale.
Mercredi, "le chef des armées" se déplace dans le grand Est, pour une visite sur le thème de la défense. Il ne lui reste plus que cela. Il devrait être accompagné par un ministre qu’il apprécie – la chose se fait rare. Sébastien Lecornu a ainsi pu sauver son portefeuille, quand Michel Barnier rêvait de le confier à Bernard Cazeneuve, quand Gabriel Attal poussait Gérald Darmanin.
Patience et longueur de temps… Il reste à Emmanuel Macron, aussi, à attendre, à espérer que les vents tournent. Lorsque s’ouvrira la campagne présidentielle, prédit un ami, les Français verront la bande des "y’a-que-ça" : parmi tous les candidats qui se bousculeront pour être le successeur, aucun n’aurait le niveau de celui qui aura présidé à la destinée du pays pendant dix ans. Alors, espère-t-il, alors commencera la réhabilitation du macronisme.