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"Je me suis fait pas mal d’argent, je fais payer le double" : le petit business des marchands d'IPTV

Pascal (*) a craqué. Jeune retraité en Auvergne, il s’est dit qu’il avait maintenant tout son temps pour s’adonner au plaisir d’avaler les matchs de sport, du football au rugby, sept jours sur sept, certaines semaines. Pas question de dilapider sa pension dans des abonnements trop onéreux. Au détour d’une conversation, un commerçant lui souffle l’idée d’installer un système de streaming pirate : l’IPTV pour Internet Protocol Television. Pascal n’y connaît rien, mais dit banco.

Etat des lieux du marché de l’IPTV pirate

La petite affaire est simple, le vendeur – dont l’activité n’est pas déclarée – se déplace au domicile de l’acheteur, prend le temps de lui télécharger une application sur sa télévision connectée, y glisse identifiant et code, et la magie agit. Voilà l’accès à des dizaines de chaînes de BeIn sport à Canal +, DAZN, un catalogue de films et séries Netflix, Prime ou Disney + activé. Le tout pour 100 euros l’année, service après-vente compris. En cas de bug de la plateforme, le revendeur s’engage à venir réparer.

Notre état des lieux du marché de l’IPTV pirate, physique à l’échelle d’une métropole comme Clermont-Ferrand, ou sur internet, permet d’établir une fourchette de prix pour un abonnement entre 25 et 100 euros en fonction du service et du matériel nécessaires. Pour bénéficier légalement des seules chaînes qui diffusent le championnat de France de football (sur DAZN et BeIn sport), il aurait versé entre 540 et 660 euros sur une année.

Un service de proximité bien rodé

Pour mesurer rapidement l’ampleur de ce piratage organisé, il a suffi de sonder un premier cercle d’amis suiveurs acharnés des rencontres de football. Sept sur dix ont basculé. Même question aux amis des amis, aux collègues de bureau, à la famille, le phénomène ne cesse de s’étendre. L’institut de sondage Odoxa s’est intéressé au sujet. Il estime qu’environ 2,5 millions de Français suivent le football illégalement. Avec pour principale explication la qualité de l’offre et surtout les prix de DAZN selon 60 % des interrogés. 37 % estiment cette pratique répréhensible.Photo Richard Brunel

Ces dernières années, ce business a explosé. Le morcellement des droits télé du foot français a alourdi la part des abonnements aux chaînes et plateformes dans le budget des consommateurs. Fin 2020, l’effondrement de Mediapro et son éphémère chaîne Téléfoot laissait les caisses du football français exsangues.

Le mirage du milliard d’euros promis envolé, les matchs basculaient sur Prime vidéo qui n’a pas souhaité rempiler lors du dernier appel d’offres. Au milieu de cette valse de diffuseurs – cinq en quatre ans – des fans incapables de suivre financièrement. Comme pour les séries, la musique ou le cinéma avant lui, le football n’échappe pas aux sirènes du streaming (lecture de vidéo ou de flux en ligne).

Bouche-à-oreille pour arrondir les fins de mois

Au bas de la chaîne de ce marché juteux, de petits revendeurs proposent un service de proximité bien rodé qui va jusqu’au service après-vente à domicile. Cette activité grâce à laquelle certains arrondissent leurs fins de mois se mue en micro-entreprise et est parvenue à mailler tout le territoire, en ville comme à la campagne. Elle repose sur le bouche-à-oreille, l’ami du pote d’une connaissance. Cadre en entreprise, ouvrier, fonctionnaire, banquier, commerçant nous ont détaillé l’envers de leur job d’appoint qui peut se révéler très lucratif.

Pour arrondir ses fins de mois, Maxime vend autour de lui des accès à des chaînes françaises et étrangères en direct, principalement pour suivre la Ligue 1, le championnat anglais, les coupes d’Europe, ou encore à Netflix et une liste infinie de films et séries issues des plateformes. Tout cela sur écran ou smartphone.

Son expérience a commencé il y a dix ans, d’abord pour sa consommation personnelle. « Je n’ai jamais payé pour des abonnements classiques », avoue-t-il. Depuis cinq ans, il en a fait un petit commerce discret. « J’ai commencé par des proches, je leur installais l’IPTV, glisse ce trentenaire, par ailleurs salarié en CDI. Petit à petit, je me suis fait une petite clientèle. Autour de moi, je ne connais personne qui paie un abonnement. »

Le cercle s’est élargi aux collègues de travail, à ceux du frère, à l’usine, aux potes de potes. Et chaque année, cet « autoentrepreneur » renouvelle les codes grâce à un fournisseur basé en Asie.

« Au départ, je lui commandais des boîtiers via Aliexpress (un site chinois de commerce en ligne). Puis on a échangé nos Whatsapp et je lui verse l’argent par Paypal. »

Pour les télévisions non connectées, ce décodeur dont l’acquisition est légale permet d’obtenir l’IPTV. Maxime les réceptionne à son domicile et les distribue. Il a fixé le prix de cette formule à 60 euros et autour de 30 euros pour le code seul. « Je me suis fait pas mal d’argent, reconnaît-il, je fais payer le double de ce que ça me coûte. »

Ecran noir un soir de Ligue des Champions et SAV à domicile

Le jeune homme ne se déplace jamais, gère tout par téléphone. En cas de problème, son contact asiatique dégote à la rescousse un nouveau sésame. Mais, il arrive que les clients néophytes se retrouvent coincés un soir de match. Pascal, notre retraité, s’est heurté à un écran noir un soir de Ligue des Champions. Quelques jours plus tard, son revendeur est passé à la maison rétablir la connexion. « Si ça se reproduit, essayez une chaîne étrangère, il y a moins de monde et le flux sera meilleur », conseille-t-il. Ce quadragénaire clermontois a vu sa demande exploser depuis quelques semaines et peine à répondre à la demande.Photo Stéphanie Para

D’autant que la traque des sites pirates et des fournisseurs d’IPTV se fait plus pressante. Un revendeur du centre de la France nous assure avoir arrêté le SAV à domicile à force d’être inondé d’appel et de plaintes pour des bugs répétés. Il a même dû changer de numéro et se contente de proposer ses services sur les réseaux sociaux comme Snapchat ou TikTok et les messageries cryptées telles que Telegram.

Que risquez-vous?? L’utilisation d’une IPTV pirate est sanctionnée par l’article 321-1 du Code pénal qui la caractérise comme du recel de contrefaçon. En clair, avec l’usage de ces services illégaux, vous encourez trois ans de prison et une amende maximale de 375.000 euros. Dans les faits, ce texte n’est pas appliqué. Rappelons que l’IPTV est utilisé par des millions de citoyens.

Le 25 septembre dernier, un tribunal grec a condamné un revendeur de boîtiers et d’abonnements IPTV à huit années d’emprisonnement, 17.000 € d’amende et a prononcé la confiscation du matériel. L’application Telegram, autre eldorado des pirates et des consommateurs de foot, est activement ciblée par les autorités depuis l’arrestation de son PDG, fin août. Les principaux streamers ont interrompu leurs services, mais les liens de diffusion des rencontres sportives n’ont pas disparu, loin de là.

Reste au moins une option légale dont l’utilisation sur la durée peut s’avérer elle aussi coûteuse : les bars. La diffusion des matchs est un atout considérable pour certains établissements, mais la souscription à toutes les chaînes (Canal +, BeIn, DAZN, Eurosport…) fait grimper la note à plusieurs centaines d’euros. Des patrons ont trouvé la parade. Plusieurs bars testés à Lyon, Paris ou Clermont-Ferrand ont opté pour… l’IPTV.

(*) Les prénoms ont été modifiés. 

Malik Kebour

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